LETTRE OUVERTE À IBRAHIM BOUBACAR KEÏTA

                Par PIERRE SANÉ

LETTRE OUVERTE À IBRAHIM BOUBACAR KEÏTA

Monsieur le président, vous vous devez de cultiver l’espérance en proposant une sortie de crise qui puisse mobiliser la population et offrir une vision qui transcende les appétits politiques et matériels des uns et des autres

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M. le président,

Je vous présente mes respects et espère que vous vous portez bien. Comme tous mes compatriotes africains, je suis avec angoisse les développements politiques et sécuritaires chez nos frères maliens. Bien que n’ayant pas une maitrise totale d’une dynamique assurément complexe, j’aimerais vous soumettre quelques suggestions qui pourraient alimenter votre réflexion et votre gestion de la crise que traverse le Mali a l’instar de beaucoup de nos pays.

Tout d’abord, je me réjouis que les Maliens aient pu exprimer librement et pacifiquement leurs points de vue. Dans beaucoup de pays africains, y compris le mien de telles manifestations auraient été interdites ou réprimées violemment par les forces de l’ordre. Je vous exhorte donc à demander aux services de sécurité de continuer à faire preuve de retenue républicaine et de respecter le droit d’expression des manifestants. Même si les manifestants refusent pour l’instant vos ouvertures, le dialogue a lieu en public et par presse interposée.

M. le président,

Une crise profonde et multidimensionnelle comme celle que traverse le Mali (et beaucoup de pays dits « francophones » d’Afrique) offre aussi une opportunité unique d’enclencher un processus de ré-enchantement des imaginaires à travers une démarche audacieuse visant à refonder le Mali :

1. Tout d’abord, je ne pense pas que devriez démissionner. Vous avez été élu démocratiquement au suffrage universel et votre légitimité est inattaquable.

Démissionner ne ferait qu’ajouter un chaos institutionnel et ouvrir la voie a toutes les incertitudes et aventures. Il faut s’attaquer aux causes profondes de la crise plutôt qu’à ses symptômes récurrents.

2. Ainsi, vous pourriez envisager la mise sur pied d’une Assemblée constituante vraiment représentative de toutes les composantes du pays chargée de rédiger

une nouvelle constitution afin de refonder la nation et les institutions : aller vers un régime parlementaire et s’éloigner de la présidence impériale héritée des Français, une justice intègre et sincèrement indépendante, une décentralisation de développement qui rapproche les populations de la prise des décisions et une réduction générale du train de vie de l’Etat.

3. Je vous félicite pour votre décision d’ouvrir un dialogue avec les groupes armés et vous encourage dans cette voie difficile mais inévitable. Les armées étrangères n’ont jamais gagné une guerre contre le « terrorisme ». Il suffit de voir l’Afghanistan ou l’Irak. Mieux, tous ces conflits se terminent autour d’une table de négociations mais en attendant, ce sont les populations de nos pays qui se trouvent entre deux feux opposant des Maliens a d’autres Maliens. Ne nous laissons pas enfermer dans cette rhétorique de « guerre mondiale contre le terrorisme » qui n’est que le bras arme du néolibéralisme utilisant la « stratégie du choc » si bien analysée par Naomi Klein dans son livre du même nom. Bien entendu, le dialogue n’exclut pas le travail de modernisation de l’armée en coopération avec tous les partenaires de bonne volonté dans l’attente de la création d’une armée fédérale ouest africaine ;

4. Il me parait tout aussi indispensable de revoir en profondeur le plan de développement économique et social du Mali et de le soumettre à la critique des populations pour qu’elles y adhèrent. La réduction de la pauvrete, la réforme du système d’éducation et de santé, les infrastructures privilégiant les plus démunis devraient se traduire par des stratégies mobilisant toutes les populations et donc coproduites avec elles et non pas seulement avec les ex-puissances coloniales et les institutions internationales qu’elles contrôlent.

M. le président ;

Ramener la paix, renforcer la démocratie, mettre le Mali sur le chemin du développement et de la justice dans un contexte de contraintes fiscales,

sont évidemment des objectifs extraordinairement difficiles à atteindre mais vous vous devez de cultiver l’espérance en proposant une sortie de crise qui puisse mobiliser la population et offrir une vision qui transcende les appétits politiques et matériels des uns et des autres.

Nelson Mandela en son temps y était parvenu.

En toute solidarité et me tenant a votre disposition pour contribuer à la réussite de votre mandat.

Pierre Sané est président d’Imagine Africa Institute


 

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