LIVRES / L’ALGERIE EN DRAMES

     par Belkacem Ahcene-Djaballah   

                                                                                               Livres

Le seuil du moment. Roman de Leila Hamoutene. Casbah Editions, 171 pages, 750 dinarsPlusieurs personnages, plusieurs vies, à travers l’histoire de Warda. Résidant en plein centre-ville (Alger), elle voit, de sa fenêtre, se dérouler les manifestations populaires et pacifiques du Hirak. Ayant vécu, dans un quartier populaire, les drames d’une famille instable et partagée (un père aimant mais «lointain», une mère «odieuse», n’ayant d’yeux que pour les deux frères islamo-terroristes), elle a réussi quand même à réussir ses études grâce à un couple d’enseignants progressistes, et elle a vu, plus tard, son époux et des amis, très chers, assassinés pour leurs idées. Aujourd’hui journaliste, elle assiste, d’abord de loin, puis de très près, à la naissance d’une nouvelle Algérie à laquelle elle n’y croyait presque plus. Tel Orphée descendant dans les profondeurs de l’enfer pour ramener Eurydice à la vie, l’héroïne du roman s’immerge dans les souvenirs.

D’abord étonnée, puis curieuse et enfin décidée, elle rejoint les manifestants et redécouvre d’autres amitiés, d’autres engagements.

Tout cela sans oublier les douloureux (et/ou doux) moments du passé. Dans sa quête de liberté (plus que de bonheur, celui-ci étant parti avec son défunt époux), elle cherche l’espoir d’un mieux-être, se suffisant souvent du bonheur des autres, plus jeunes, moins «pollués», plus engagés. Encore qu’il lui était très difficile de se débarrasser des traumatismes dus à la décennie noire. Tout le nœud de la problématique d’une société (en tout cas celle des plus âgés) encore gravement perturbée et encore angoissée à l’idée de «retours de manivelle» qui enfoncent plus qu’ils ne libèrent.

L’Auteure : Auteure de plusieurs ouvrages, romans, recueils de nouvelles et de poésie. Prix Escale littéraire d’Alger (2015) pour son roman, «Le châle de Zeineb». Elle vit à Alger.

Extraits : «L’essentiel est le partage, la symbiose, la volonté de changer les choses, la jovialité bon enfant qu’accompagnent pourtant des slogans péremptoires et sans appel» (p 51), «Une enveloppe sans timbre ni oblitération, une feuille blanche, quelques mots et la mort est à votre porte» (p 63), «Le manque d’amour dont souffre d’une manière générale la société dont l’équilibre doit forcément pâtir de toutes ces insatisfactions et ces souffrances et que tout cela a sûrement joué un rôle dans la tragédie que nous vivons» (p 94).

Avis : Un beau roman… inachevé (?), nous laissant sur notre faim. Si ce roman se veut d’abord une fiction, il est ponctué par quelques dates historiques qui nous plongent d’emblée dans la réalité cruelle du passé de l’Algérie avec ses vagues d’attentats et d’assassinats de journalistes et d’intellectuels tous azimuts. On a l’impression que ce roman se veut surtout un hommage à ces disparus pour que nul n’oublie.

Citations : «Chez nous, le monde des hommes et celui des femmes sont des univers parallèles qui, tels qu’ils sont définis chez nous, ne devraient pas se rencontrer; à ce titre, le mariage a l’apparence d’une altération de l’ordre des choses» (p 73), «Le Hirak a opéré un téléportage de la lutte pour l’indépendance à celle pour la démocratie, pour une vie meilleure, comme nous les avions souhaitées et défendues pendant la décennie noire» (p 105), «Les intégristes assassinaient les intellectuels, alors les idées se mouraient» (p 119), «Ce Hirak, c’est mieux qu’une leçon d’histoire» (p 134), «Savoir que tu redonnes l’espoir à des gens qui se sentent moins seuls grâce à toi, c’est enivrant» (p 147), «Avoir peur, trembler pour les siens, lutter contre cette insidieuse fatalité qui s’installait dans les esprits annihilant toute résistance, voir régner la corruption et être impuissant devant sa propagation, ce n’était pas cela vivre» (p 151).

La Pieuvre. Roman de Salima Mimoune. Editions Les Presses du Chélif, Chlef, 2021. 149 pages

Un roman inspiré d’une histoire réelle, nous dit-on. On peut les croire tant il est vrai que, durant la période décrite, l’histoire s’est retrouvée répétée mille et une fois dans la plupart de nos villes et villages, juste avant puis après 1988 et durant les années 2000. Aujourd’hui encore, il y a de mauvais»restes».

La vie en société s’est donc retrouvée, peu à peu, insidieusement, puis brutalement, «contrôlée» par des individus, seuls ou en groupes, qui s’étaient arrogés le droit de décider de la façon de penser et de vivre des jeunes d’abord (au niveau des écoles et des établissements scolaires) puis des moins jeunes (dans la rue, dans les mosquées). La brutalité verbale et les menaces furent suivies par l’agression physique puis par l’assassinat.

Dans le village de notre héroïne, la bête immonde, une véritable pieuvre intolérante et assassine, a commencé à étaler ses tentacules un peu partout, mais tout d’abord à l’école avec la complicité de certains enseignants (importés), aidés en cela par les «voyous» du coin en recherche de «rédemption» ou seulement de «coups» à faire. Premières cibles, les femmes ! Frustration quand tu nous tiens ! Ils traquent Yousra et Yanis, deux jeunes lycéens qui découvraient les prémisses de l’amour… allant jusqu’à tenter de les assassiner. Ils échapperont de justesse à l’attentat mais leur jeune enseignant «coupable» de les comprendre et de les aider à progresser grâce à la science et à l’art est égorgé. Le cauchemar de la décennie rouge allait commencer. «Les mercenaires vont multiplier les alliances et tenter d’imposer leurs lois. Le pays ne fonctionnera plus alors que sous le règne des rapaces et des charlatans. Leurs attaques continueront à être dirigées en premier lieu contre les femmes et les porteurs d’espoir». Une seule issue? Partir? Ou continuer la résistance comme le fait déjà le moudjahid Hedda ?

L’Auteure : Née à Taher (Jijel), diplômée en Sciences économiques. Déjà deux romans, «Les Ombres et L’Echappée belle», «Le Bal des mensonges».

Extraits : «Le petit fait divers prend l’allure d’un scandale et fait l’objet de palabres (…). C’est qu’on y brode fort ! La rumeur y est reine ! La condamnation souveraine. Il faut l’appliquer même en l’absence de faute» (p 23), «Nous vivons des moments de grande crise, une période à même d’ébranler la société. De quoi rêvent ces contrevents de voiles d’avenir ? D’un futur unisexe, unijambiste, où l’espace est exclusivement occupé par l’homme ? De quoi la société accouchera-t-elle dans les années à venir ? Jusqu’où iront ces imposteurs ? Est-ce que le pays s’en relèvera ?» (p 122).

Avis : Un récit de vie (s) plus qu’un roman. Ecrit avec sincérité, un style incandescent, sans détour, poétique aussi et révolte contenue contre le grand, le terrifiant drame que le pays allait connaître.

Citations : «Malheureusement, les temps changent (…). Une camelote planquée sous de fausses raisons religieuses tente aujourd’hui d’exclure l’intelligence et toutes les forces qui œuvrent pour l’émancipation et le progrès; l’ignorante crasse veut s’ériger en modèle de vertu, imposer son bazar dans les affaires de la cité, aux femmes, aux hommes et aux enfants aussi» (p 33), «On ne répond pas par la répression à un peuple qui réclame ses droits sans s’exposer à sa colère ni on ne blesse une adolescente sans risquer d’amplifier sa révolte» (p 89).


   Aux origines de la guerre de libération nationale: La «hogra» de la dépossession de la paysannerie algérienne…

      par Abdelkader Khelil*

 Dans les livres d’histoire on apprend aux petits Français, qu’Alger était au commencement du 19ème siècle, un repère de pirates et que plusieurs nations avaient même dû se résigner à payer un tribut humiliant au dey d’Alger, pour obtenir qu’aucun de ses pirates ne touchât à leurs navires de commerce. […] En 1830, il se passa un événement qui eut de grandes conséquences. Le dey se permit en public d’injurier le consul de France : il le frappa dit-on, de trois fois avec le manche de son chasse-mouches. Pour essuyer cet affront, 103 vaisseaux de guerre, escortés de 400 vaisseaux de transport, débarquèrent 30.000 soldats Français à Sidi Fredj. Et c’est ainsi que commença l’occupation de l’Algérie…

Avant de rétablir certaines vérités par rapport à cette histoire, je dois tout d’abord dire, que lorsque j’ai été invité par l’Office du Tourisme de Tlemcen (OTT) pour donner une conférence de quinze minutes à l’occasion de la commémoration du premier Novembre 1954, c’est avec plaisir que je me suis prêté volontiers à cet exercice fort utile pour la mémoire collective de notre peuple, et tout particulièrement pour notre jeunesse. Ceci d’autant plus que j’ai toujours considéré qu’il y a urgence à revisiter au plus vite notre passé. C’était aussi pour moi, une heureuse occasion pour parler en filigrane de la sortie de mon dernier roman historique, « L’insurgé », dont je venais de déposer quelques exemplaires à la «librairie Alili» de Tlemcen en vue de sa promotion. Quelle heureuse coïncidence !, me suis-je dis. À partir d’un fait connu, celui des révoltes paysannes en cette fin de 19ème siècle et au moment où la colonisation s’érigeait en force dominante, je me suis attelé à retracer l’itinéraire de cet insurgé que fut Bouziane El Kalaï, le résistant natif de Kalaat Béni Rached dans la région des Béni Chougrane, ce porte voix de la petite paysannerie réduite à la famine qui ronge les muscles de gens «anorexiques». Cet ouvrage constitue «en toile de fond» un épisode majeur et très douloureux de la longue résistance de notre paysannerie à la dépossession de ses terres par la violence et la sauvagerie coloniales.L’écriture de ce lourd plaidoyer en faveur des luttes paysannes contre l’oppression, était pour moi, un besoin mémoriel et un devoir dont je devais m’acquitter. Il fallait rappeler aux gens haineux, qui en France, se targuent d’être des citoyennes et citoyens du pays des «droits de l’homme», que l’Algérie a obtenu son indépendance de dure lutte et que ce n’est absolument pas, un cadeau qu’a fait le général De Gaulle aux Algériens. Déjà au mois de mai 1836, le maréchal Bugeaud, l’homme arrogant à l’air graveleux, est envoyé en Algérie pour guider le corps expéditionnaire qui traquait les résistants de l’Émir Abd-el-kader. Bien souvent, ce dernier avait mis ses ennemis en déroute, grâce à la promptitude dans l’exécution de ses opérations de harcèlement. Il avait pour lui, l’avantage de la connaissance du terrain, des cavaliers acquis à sa cause, chevauchant d’élégants et endurants barbes, d’où cette facilité de déplacements par rapport aux troupes françaises lourdement chargées par leur artillerie guerrière.

Si Bugeaud est devenu célèbre auprès de ses hommes, de sa soldatesque et des colons ses protégés, il ne le doit qu’à son travers de criminel, lui, l’inventeur bien avant Adolf Hitler, de la chambre à gaz, «l’enfumade» et non, à ses exploits guerriers et faits d’armes obtenus à la loyale sur les champs de bataille. La grande trouvaille de ce fou furieux se disant défenseur de la France impériale des lumières, consistait à enfermer les femmes, les hommes et les enfants par centaines dans des grottes avec des fagots de bois et de la broussaille, avant de les enfumer «comme des renards» disait-il, jusqu’à ce que mort s’en suive. Il n’était en fait, qu’un sinistre génocidaire rongé par la cruauté et un homme sans humanisme. N’est-ce pas lui, qui le 14 mai 1840, disait dans son discours à la Chambre des Pairs vouloir faire en Afrique ce que faisaient les huns et les francs en Europe ? N’est-ce pas aussi, lui qui ordonna à ses généraux : «de détruire les villages, de couper les arbres fruitiers, de brûler ou d’arracher les récoltes, de vider les silos à grains, de fouiller les ravins et les grottes, pour y saisir femmes, enfants, vieillards et troupeaux» ? «…Dévastations, poursuite acharnée jusqu’à ce qu’on me livre les arsenaux, les chevaux et même quelques otages de marque… disait-il ! Les otages sont un moyen de plus, nous l’emploierons, mais je compte avant tout sur la guerre active et la destruction des récoltes et des vergers… «Drôle de guerre aurait dit ces petits français de l’innocence, s’ils étaient correctement renseignés sur la guerre que menèrent leurs ainés en Algérie ! N’est-ce pas ? Et de continuer dans sa fougue meurtrière ! «Le but n’est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile; il est de les empêcher de semer, de récolter, de pâturer, de jouir de leurs champs. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes, ou bien exterminez-les jusqu’au dernier…» C’était là, les instructions données par ce maréchal démoniaque, le 24 janvier 1843, au général Lamoricière.

Mais dites-moi donc ! Que vaut dans ce cas, le sacro-saint principe des Droits de l’Homme, si cet esprit satanique et sa horde sauvage préférant faire la guerre plus à de pauvres paysans sans défense qu’à des résistants difficilement saisissables, ne soient pas jugés pour ses crimes de guerre, contre des populations civiles à titre posthume ? Et dire que cette armée d’apparat se vantait de ses exploits «guerriers» devant la gent féminine des salons dorés de l’aristocratie française venue écouter leurs fanfaronnades, en «coqs» gaulois bombant le torse devant ces dames admiratives et jubilantes face à ces officiers d’opérette ! Ces courtisanes étaient acquises à leurs délires machistes et racistes, en mode séduction féminine garantie, sachant que l’impunité leur était totalement acquise et que leurs actes étaient de surcroît, bénis par l’église et la Chambre des pairs. Ces saint cyriens étaient aussi devenus par élan de barbarie assumée mais jamais dénoncée, cette «mafia» sanguinaire et immorale du 19ème siècle qui s’était acoquinée à de vulgaires collectionneurs de crânes et d’oreilles d’Algériens, alors qu’ils prétendaient être les porte-drapeaux de la France dite «civilisatrice». C’est là forcément, un comportement sauvage qui n’a rien de civilisé et que le corps expéditionnaire a eu, pour réprimer dans le sang, par l’incendie des «gourbis» et des récoltes, la résistance des Algériens en faisant d’eux, un peuple affamé et errant, mais jamais soumis à l’ordre colonial établi.

La France coloniale a voulu asservir le peuple algérien en le réduisant à une communauté de «gueux» après l’avoir dépossédé de ses terres. Elle voulait le travestir en «peuple gaulois» à la peau basanée, sans identité propre et totalement soumis, par le fil de l’épée, la force des baïonnettes et l’incendie de maigres moissons. «Nif wal kh’sara !», ont pour habitude de dire les Algériens depuis la nuit des temps ! Cela ne date pas d’aujourd’hui ! Car même vaincus par faute de moyens, ils ont toujours gardé leur dignité intacte.

Cette France impériale, disaient ses propagandistes, a pris la peine de venir civiliser ces «sauvages» qu’étaient selon eux, nos vénérables aïeux. Mais qui leur a demandé de le faire ? Toute cette peine donnée et cette armada mobilisée pendant 132 ans, l’était-elle que par charité chrétienne? C’est ce qu’ont osé dire des théologiens, des historiens, des officiers, des dirigeants, des savants et des intellectuels, dans leur rôle de partie prenante dans cette propagande mensongère. À ce propos, écoutons ce que disait Victor HUGO: «… Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde …». Disons tout de même, merci à l’auteur des «misérables» pour avoir eu l’amabilité de nous suggérer que Bugeaud le génocidaire «civilisé» était en campagne contre l’Émir supposé être le «sauvage», bien que cet illustre personnage tenait sa notoriété et son prestige de sa grande culture, nourrie par son impressionnante bibliothèque de 5.000 manuscrits des plus rares et des plus anciens, qu’il a eu pourtant tant de mal à se les procurer. Les soldats français et leurs officiers autant ignorants que cruels, les avaient déchirés et brûlés sans état d’âme, lors de la prise de la «smala» de l’Émir, le 16 mai 1843 du côté de Ksar Chelala.

Quant à nos ancêtres «barbares», qu’en était-il vraiment ? De l’aveu de la commission française de 1833, presque tous les Algériens savaient lire et compter et la plupart des Français avaient moins d’instruction que les «sauvages» qu’ils venaient éclairer selon les propos de Victor HUGO, mais aussi, d’Alphonse DE LAMARTINE, d’Alexandre DUMAS, d’Alexis DE TOCQUEVILLE, de Jules FERRY et de bien d’autres… Et même de nos jours, d’Eric ZEMMOUR le polémiste haineux qui en rajoute une couche, à chacune de ses sorties médiatiques. Ce berbère juif d’origine algérienne, déverse sur nous son venin en guise de retour d’ascenseur à la France coloniale, qui à la faveur du décret Crémieux du 24 octobre 1870 a attribué d’office la citoyenneté française à 30.000 «Israélites indigènes». L’on comprend aisément que ce complexé des temps modernes, veuille paraître encore plus royaliste que le roi, c’est-à-dire, plus raciste que Marine Le PEN qui se prend pour Jeanne d’Arc et autres ultras impénitents…

Oui ! Couper des têtes d’indigènes en les exposant sur les places publiques pour semer l’effroi auprès de la population, vendre des bracelets de femmes attachés à des poignets coupés et des boucles d’oreilles pendantes à des lambeaux de chair au marché de Bab Azzoun à Alger, est-il à considérer comme un acte digne de gens venus pour instaurer la civilisation en Algérie? Est-il nécessaire de rappeler au Président Emmanuel MACRON qui semble où feint d’ignorer l’Histoire de notre pays, qu’à l’arrivée des Français en 1830 il y avait plus de 100 écoles à Alger, 86 à Constantine, 50 à Tlemcen, 6 à 7 collèges secondaires et 10 zaouïas («universités») dans cette Algérie qui selon lui n’existait pas?

Dans son ouvrage : «Des indigènes d’Algérie, en 1883», l’écrivain français BANDICOURT en voyage en Kabylie, précise que chaque zaouïa avait pour but l’instruction. En plus de l’apprentissage du coran par mémorisation, du «fikh» et de la théologie, on y étudiait l’arithmétique, la géographie, l’astronomie, la langue arabe et la grammaire. En outre, les zaouïas accueillaient des gens démunis et des voyageurs dans le cadre de l’assistance sociale sans contrepartie attendue. Cela se faisait des siècles avant la création du refuge de l’abbé Pierre, cet élan du cœur de la charité chrétienne à géométrie variable, par calcul matériel du «donnant-donnant».

Dans un extrait du rapport de la commission française, il est écrit ceci à propos de la colonisation en Algérie : «En fait, ce fut une véritable extermination culturelle, nous avons débordé en barbarie les barbares que nous venions civiliser». L’ethnocide culturel (destruction de l’enseignement, tentative d’effacement de la culture, de la langue et de la religion) a débuté en même temps que le génocide. Suite à cela, des professeurs, des lettrés Algériens et l’intelligentsia d’une manière générale, durent fuir par milliers au Maroc, à Fès ou au Caire. N’était-ce pas là, une première fuite des cerveaux qu’a connu notre pays, bien avant celle de la décennie noire des années 1990 ? Et pour les édifices religieux, Albert DEVOUX notait en 1865 : «Des 132 mosquées de 1830 à Alger, nous n’en avions laissé que 12 et une seule à Oran.»

Il faut ajouter à ce désastre, qu’après l’application de la loi WARNIER du 26 juillet 1873, l’intérêt de la colonisation a repris le dessus sur l’espace agricole traditionnel, où la petite paysannerie développait ses activités vivrières de première nécessité. Cette loi scélérate a boosté les transactions imposées entre colons et Algériens, qui se multiplièrent à la faveur de la liquidation du séquestre infligé aux insurgés et des expropriations pratiquées en mode illicite. L’objectif consistait en la création ou l’extension des centres de colonisation au profit des seuls Européens. Cette expropriation s’est traduite par le refoulement, la prolétarisation des populations rurales, la dislocation des cadres traditionnels et la réduction des complémentarités économiques. De cet amenuisement de l’espace agricole, s’en est suivie une obligation d’exploiter les terres déclives des zones de montagne à faible fertilité, un déclin de la transhumance chez les populations pastorales par limitation des possibilités de rotation des parcours et une perte des droits d’usage sur les forêts… En 1895, DE FONTENELLE estimait qu’à la faveur de l’application de cette loi, les musulmans avaient perdu la jouissance de plus de 5.000.000 d’hectares depuis la conquête coloniale, alors que le séquestre a porté sur un territoire de 2.360.000 hectares, soit l’équivalent de cinq départements français. C’est là, la meilleure explication à donner à la crise écologique et sociale profonde des zones montagneuses et pastorales qui traînent à ce jour, les outrages qu’elles ont subi durant la colonisation. Si en Algérie l’équilibre écologique a été rompu, au point de rendre aléatoire notre sécurité alimentaire, force est d’admettre la responsabilité entière de la France coloniale dans cet état de fait calamiteux. C’est ainsi qu’en dehors des grandes plaines irriguées de la prospérité coloniale qui ne profitait qu’aux Européens et à la métropole qui se nourrissait des céréales, des fruits et légumes de la terre d’Algérie en même temps que les Algériens étaient dans la dèche, tous les autres territoires sur lesquels essayait de vivoter notre paysannerie, étaient devenues des montagnes, des steppes et des oasis oubliées. C’est dire que si notre paysannerie n’avait pas les bonnes âmes de son côté, c’est elle qui a pourtant écrit par sa sueur, ses souffrances, ses sacrifices et ses privations, le roman de l’Histoire mouvementée de notre Peuple, certes affamé, mais jamais soumis à l’ordre colonial. Et c’est là, le principal enseignement qui souligne son trait de caractère comme «marque de fabrique» à mémoriser et à retenir pour ne plus retourner en situation de colonisés, à défaut d’apprentissage de l’Histoire de notre peuple et d’éveil citoyen …

C’est pourquoi, une place importante se doit d’être accordée aux référents historiques, ces éléments fondamentaux de l’identité de notre Grand Peuple Martyr. L’Algérie, ce pays en construction, se doit donc de se ressourcer en puisant dans ses racines la sève nourricière, c’est-à-dire, les enseignements qui lui permettront de façonner son image épurée et authentique. Cela veut dire qu’il devient fondamental de scruter notre passé avec tout ce qu’il porte comme mythes fondateurs, évènements marquants et glorifications. Nos jeunes doivent s’imprégner de cette grande injustice dont faisaient l’objet leurs aïeux lorsqu’ils allaient par exemple, prélever dans les forêts avoisinantes des rondins de bois pour conforter leurs demeures ou pour des usages domestiques, à l’insu du garde champêtre. Ce délit somme toute mineur, commis par besoin vital urgemment ressenti, pouvait valoir à son auteur (en application du code de l’indigénat) une très lourde peine, voire pour donner l’exemple et dissuader les plus téméraires qui bravaient l’interdit, une déportation dans les bagnes de la lointaine Nouvelle Calédonie à plus de 22.000 kms. N’est-ce pas là, une méprise de la part de cette France coloniale qui a utilisé les moyens les plus barbares et les plus abjects, aux fins du déni du droit à tout un peuple ? Et pourtant ! Quelle que put être sa grande douleur et son extrême misère, le peuple algérien est resté égal à lui-même, c’est-à-dire, un peuple épris de justice et de liberté.

Après ces quelques rappels historiques qui soulignent de façon éloquente la saga d’un peuple dépossédé de ses richesses, affamé, déshonoré et humilié, Mr MACRON saura-t-il nous dire cette fois-ci de quel côté se trouve la haine ? Quant à nous, nous avons compris que son souci premier est de chercher à briguer un second mandat, au détriment du respect de notre mémoire en osant dire à ce sujet, un grand mensonge indigne d’un chef d’État. Non ! Nous ne sommes pas si naïfs pour croire qu’une réponse positive sera faite par celui qui a déjà rejeté la repentance, d’autant plus qu’à chaque fois, un esprit colonisé accourt pour essayer de le sortir du bourbier dans lequel il patauge! Le dernier en date à lui offrir ses services après que de nombreux médias français aient pris pour cible l’Algérie, est le sieur Bensaâd, cet universitaire aigri et revanchard à qui RFI a offert son micro pour interpréter dans le sens du poil en mode politiquement correct, les attaques de Macron à l’égard de l’Algérie. Quel dommage ! Quelle ingratitude de la part de ce vendu à qui l’Algérie à tout donné !

Nonobstant les traîtrises enregistrées çà et là qui ont pour avantage de faire tomber les masques et de savoir réellement qui est qui le cas échéant, disons qu’un effort considérable reste à faire au titre de la réhabilitation de notre mémoire, à partir de l’implication la plus large possible de la société civile, sans que nous soyons toujours dans l’attente de signaux des pouvoirs publics. Chaque entité territoriale de notre vaste pays se doit au sein d’une cohérence nationale, comme dénominateur commun, d’apporter une contribution utile à l’écriture de l’Histoire la plus proche possible de la réalité à travers des témoignages, des récits d’acteurs, des films et documentaires, des bandes dessinées, des reportages, des poèmes, des galeries d’exposition de tableaux et de photos, des conférences dans les collèges, les lycées, les universités, et à la faveur de l’édition de romans et d’essais… C’est là, un énorme chantier à lancer en toute urgence !

Cet acte citoyen tout à fait à la portée de notre élite en activité ou en retraite, est un ferment nécessaire à la vitalité de notre société qui se doit de se réapproprier sa vraie Histoire épurée de scories malsaines qui ternissent la noble image de notre Grande Révolution… Ce pari d’une Algérie en mouvement qui compte sur toute sa ressource humaine sans exclusive, se doit d’être relevé par chacune de nos Wilayas. Car s’il y a aujourd’hui urgence à revisiter notre passé, c’est que le rapport à notre Histoire et à notre Mémoire collective est significatif pour notre jeune nation, l’Algérie, en proie à des crises identitaires, à des tentatives ourdies et malsaines de division d’un peuple uni et autrefois très solidaire …

Gloire à nos valeureux Martyrs et que vive l’Algérie éternelle!


*Professeur


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