France / La Nouvelle-Calédonie et la perspective d’une indépendance

 

Le 24 septembre 1853, la France prend possession de la Grande Terre, que James Cook avait précédemment dénommée « New Caledonia », en référence à son écosse natale. Ce faisant, elle s’approprie un territoire déjà habité par des mélanésiens, les « Kanaks ». Elle en fait une colonie pénitentiaire où se retrouveront, entre autres, une partie des communards dont Louise Michel.

En 1864, Jules Garnier [1], jeune ingénieur des Mines français, découvre à Dumbéa une roche de couleur verte, un silicate hydraté de nickel et de magnésium : la garniérite. Pour exploiter ce minerai de nickel, le 18 mai 1880, Jules Garnier, John Higginson et Henry Marbeau s’associent pour créer la Société Le Nickel (SLN). En 1909, le bordelais Ballande crée la société des Hauts Fourneaux et inaugure en 1912, une fonderie à Doniambo (Nouméa). Après la chute mondiale des cours en 1931, les deux groupes métallurgiques fusionnent. Dès lors, l’usine de Doniambo n’a cessé de se développer.

Cet archipel du pacifique sud, aux antipodes du territoire métropolitain, est maintenant peuplé d’un peu plus de 280.000 habitants [2]. La population y est variée, métissée (Kanaks, Polynésiens, Asiatiques, Européens) et plutôt jeune. L’âge moyen y est aujourd’hui de 30 ans, nettement moins qu’en métropole (âge moyen de 40 ans). En 2014, les Kanaks sont minoritaires avec environ 40 % de la population [3]. Les européens en représentent environ 28 %. les Néo-Calédoniens sont très inégalement répartis. Ainsi, le Grand Nouméa (Province Sud) concentre 67 % de la population totale sur moins d’un dixième de la surface du territoire.

Ataï, la prise d’otages de Gossanah (Ouvéa), les accords de Matignon et de Nouméa

L’histoire coloniale de la Nouvelle-Calédonie sous la IIIe république est marquée par l’accaparement des terres par l’administration, par l’autorisation de la divagation du bétail, bétail qui inévitablement saccage les champs de taros et d’ignames des Kanaks.

Sous le commandement du chef coutumier Ataï [4], une insurrection est en préparation. Objectif initial ? Attaquer Nouméa.

Mais un ancien bagnard et sa famille sont assassinés le 19 juin 1878. Le gouverneur français arrête plusieurs chefs kanaks. En représailles, le 25 juin 1878, une première attaque Kanak est lancée contre un poste militaire. Les attaques se multiplient. Le commandant militaire appelle des renforts d’Indochine et lance la traque aux rebelles dans la chaîne montagneuse, détruisant les cultures au passage.

L’insurrection sera anéantie par trois colonnes constituées de soldats et officiers européens, d’anciens bagnards et de supplétifs indochinois et Kanaks. Le 1er septembre 1878 un supplétif kanak originaire de Canala tue le chef Ataï et lui tranche la tête. Au-delà du fait que la rébellion occasionnera deux cents morts chez les Européens et plus d’un millier chez les Mélanésiens, elle aura creusé un profond fossé entre les communautés.

Ataï aura été le grand chef kanak de Komalé, près de La Foa. Il deviendra le symbole de la lutte Kanak. Sa tête, conservée dans les réserves du Musée de l’Homme à Paris, sera restituée en 2014 [5] à son descendant, Bergé Kawa, le grand chef de la tribu de Petit-Couli près de Sarraméa.

Aires coutumières mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie (source : isee.nc)

Quelques autres dates [6] phares plus récentes vont marquer le devenir de la Nouvelle-Calédonie. Entre autres, le 18 novembre 1984 des indépendantistes kanaks s’en prennent à des Caldoches (néo-calédoniens essentiellement d’origine européenne). Cet épisode se solde par trois morts dont deux kanaks. L’ancien commissaire européen Edgard Pisani y est dépêché afin de trouver une solution. Le 6 décembre, des indépendantistes tombent dans une embuscade, avant le début des négociations. Janvier 1985, un européen est assassiné. Les Caldoches se révoltent, la situation est critique.

L’arrivée de Jacques Chirac à Matignon et l’annonce de sa candidature en janvier 1988 complique la situation car il y a une proximité politique des Caldoches avec le RPR. À la fin de la campagne du second tour des élections présidentielles de 1988, Jacques Chirac parvient à libérer les otages au Liban et espère rattraper son retard sur le président sortant, François Mitterrand. Mais, au même moment, le 8 mai 1988, une prise d’otages à Ouvéa vire au tragique.

En effet, depuis le 22 avril 1988, vingt-deux gendarmes de Fayahoué et un magistrat sont retenus en otage dans la grotte de Gossanah, au nord de l’île d’Ouvéa. La gendarmerie, sous l’égide du Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale, tente de libérer les otages. L’opération Victor [7] ensanglante l’île : dix-neuf indépendantistes et deux militaires tués.

François Mitterrand sera réélu président de la République et demandera à Michel Rocard d’instaurer le dialogue avec les indépendantistes. Ceci mènera aux accords de Matignon, conclus le 26 juin 1988 par une délégation indépendantiste menée par Jean-Marie Tjibaou et une autre anti-indépendantiste dirigée par le député Jacques Lafleur.

A la question : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le Président de la République et portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 ? », les Français approuvent par référendum en date du 6 novembre 1988. Un second accord dit « accord de Nouméa » est signé le 5 mai 1998 sous l’égide de Lionel Jospin : il repousse l’autodétermination à une période comprise entre 2014 et 2018.

Il prévoit en outre un transfert progressif à la Nouvelle-Calédonie, jusqu’en 2014, de toutes les compétences sauf la défense, la sécurité intérieure, la justice et la monnaie qui restent des compétences de la République française. Trois épisodes référendaires au maximum sont prévus. A l’issu d’un éventuel 3e référendum repoussant l’indépendance, le statut d’une Nouvelle-Calédonie statutairement largement autonome, mais restant française serait acté. Un territoire de son propre genre.

Épisodes référendaires

En 2018, un 1er référendum [8] sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie est organisé le 4 novembre 2018 dans le cadre de l’accord de Nouméa. Avec une participation de 81 %, le « NON à l’indépendance » l’emporte avec 56,6 %. A noter, l’opposition marquée entre, d’un côté, la Province Nord et la Province des Îles et, de l’autre, la Province Sud rassemblant la majorité de la population.

Carte de la répartition des votes lors du 1er référendum de 2018 (source : miscellanees.me)

En 2020, un 2e référendum [9] donne encore le « NON à l’indépendance » victorieux, mais avec seulement 53,3 %. L’évolution de ces scores alimente l’espoir dans le camp de l’indépendance pour le 3e et dernier épisode référendaire prévu dans les accords de Nouméa. Elle échauffe malheureusement les esprits les plus radicaux des deux camps.

La structuration des votes répond à une logique ethno-démographique. Au niveau communal, il y a une corrélation quasi parfaite entre les Kanaks recensés et le « Oui à l’indépendance ».

Les indépendantistes sont donc sortis confortés du 2e référendum, les barrages posés un peu partout dans le pays pendant la semaine du 7 décembre 2020 ressemblent à une démonstration de force face à un État qui marche sur des œufs, soucieux qu’il est d’éviter un dérapage malheureux qui conduirait à une potentielle guerre civile.

Les accords de Matignon et de Nouméa ont permis aux néo-calédoniens de vivre ensemble de manière relativement apaisée, de faire de la Nouvelle-Calédonie, une terre de parole et de partage. C’est en tout cas le leitmotiv affiché au fronton des administrations calédoniennes. Il est cependant à craindre que les semaines et mois qui viennent soient marqués par des blocages, des exactions et des violences. Il est à craindre que, quel que soit le résultat du 3e référendum, il y aura toujours un camp qui se sentira lésé, un camp qui aura des comptes à rendre à une base plus ou moins radicalisée.

JB

Fronton du bâtiment du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (source : gouv.nc)

Sources :

  1. https://www.sln.nc/histoire-de-jules-garnier-a-aujourdhui
  2. https://www.isee.nc/population/demographie
  3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Démographie_de_la_Nouvelle-Calédonie
  4. https://www.herodote.net/almanach-ID-3474.php
  5. https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/08/29/le-crane-de-l-insurge-atai-retourne-aux-mains-de-ses-descendants-kanaks_4478873_3224.html
  6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Élection_présidentielle_française_de_1988
  7. https://la1ere.francetvinfo.fr/assaut-grotte-ouvea-nouvelle-caledonie-grand-format-582367.html
  8. https://www.elections-nc.fr/elections-2018-2019/referendum-2018/les-resultats
  9. https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/Politiques-publiques/Elections/Elections-2020/REFERENDUM-2020/Les-resultats/Resultats-definitifs
  10. https://miscellanees.me/2018/12/12/referendum-nouvelle-caledonie/
  11. https://gouv.nc/gouvernement-et-institutions-le-gouvernement/le-fonctionnement-du-gouvernement

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