Viêt Nam : La leçon

par Kaddour Naïmi

En ces jours où l’on doit se remémorer le 1er mai comme jour de la dignité des travailleurs de la planète, une autre remémoration s’impose, à propos d’un événement capital pour les peuples : il eut lieu juste quelques jours auparavant, à la fin avril : la victoire totale du peuple vietnamien qui mit fin à l’agression impérialiste états-unienne.

Ce fut la victoire de l’intelligente dignité contre la stupide cruauté, de la conscience spirituelle contre la bestialité criminelle, de la pauvreté matérielle contre l’hyper-richesse technologico-militaro-industrielle. Et cette victoire fut complète : militaire, politique, idéologique, éthique, celle d’un peuple qui revendiquait « Rien n’est plus précieux que l’indépendance et la liberté ! » (Ho Chi Minh) contre l’oligarchie dont un des généraux osa déclarer « On va les bombarder jusqu’à ce qu’ils retournent à l’âge de pierre. »1

Les « néo-cons » sont-ils vraiment des « néos » ?

Voici l’explication de la mentalité du général sus-mentionné :

« Après la Seconde Guerre mondiale, les caractéristiques dominantes des plus hauts responsables des forces armées américaines étaient devenues l’arrogance professionnelle, le manque d’imagination et de sensibilité morale et intellectuelle. C’est ce qui avait amené des hommes, par ailleurs intelligents (…) à se conduire comme des imbéciles. On y trouvait les symptômes d’une maladie institutionnelle qu’on pourrait appeler le « syndrome du vainqueur », car elle découlait de la riposte victorieuse au défi lancé par l’Allemagne et le Japon. Cette maladie n’affectait pas seulement la caste militaire, mais aussi toute la bureaucratie civile, CIA, State Department et toutes les autres agences gouvernementales mineures qui, aux côtés de l’armée, supervisaient les intérêts américains au-delà des mers pour le président. Bien plus, la maladie avait gagné la majeure partie de l’élite politique, universitaire et du monde des affaires des États-Unis. La Seconde Guerre mondiale s’était terminé par le triomphe unique des ressources, de la technologie, du génie industriel et militaire de ce pays. La prospérité, que la guerre et la domination extérieure après-guerre avaient apportée, après la longue détresse de la dépression, était telle que la société américaine était devenue la victime de sa propre réussite. L’élite du pays était abasourdie et engourdie par trop d’argent, trop de ressources matérielles, trop de pouvoir et trop de succès. »2

Cette constatation ne reste-t-elle pas encore actuelle ? Dans mon essai3, j’écrivais :

« On impute généralement les résultats négatifs de la politique extérieure US à la personnalité d’un président particulier, par exemple Bush jr. On ignore ou on oublie la démonstration de David Hauberstam, dans son fameux libre de 1972 : « The Best and The Brightest » (Les meilleurs et les plus brillants). Il y démontre comment les dirigeants U.S. des années 1960 étaient les hommes parmi les meilleurs et les plus intelligents aux États-Unis, et, malgré cela, ils ont conçu et conduit au Vietnam la guerre la plus sanguinaire et la plus désastreuse. Hauberstam écrit :

« Ils avaient atteint leur maturité dans un système qui avait presque toujours réglé les problèmes internationaux suivant leurs vues, et ils avaient du mal à admettre que cette fois-ci ils ne réussiraient pas. La pensée de tout ce qu’ils avaient investi dans cette guerre [du Vietnam] les incita encore plus à résister. »4

Parmi les dirigeants US qui ont suivi ceux des année 1960, la leçon fut-elle apprise ?

Président Richard Nixon :

« Je n’ai pas l’intention d’être le premier président des États-Unis à perdre une guerre ! »5

En cette année 2023, l’actuel président Joe Biden ne répète-t-il pas le même refrain ? Et ceux qu’on appelle les « néo-cons » manifestent-ils une mentalité différente de leurs prédécesseurs « libéraux » ?… Ces questions contiennent leurs réponses : considérer l’équipe actuelle qui dirige la politique états-unienne comme une « nouveauté » de « néo-cons » manifeste un oubli du passé, celui de la guerre US au Viêt Nam.

Bons et « mauvais élèves »

Le succès éclatant du peuple vietnamien fut le résultat d’une action qui débuta dans les années vingt du siècle dernier, en commençant par la guerre populaire prolongée d’abord contre le colonialisme français, ensuite contre l’invasion impérialiste japonaise, enfin contre l’agression militaire états-unienne.

Les dirigeants vietnamiens savaient et déclaraient qu’ils ne luttaient pas uniquement pour leur nation, pour leur peuple, mais pour tous les colonisés de la planète. Dans le journal Le Paria, fondé en 1924 par Nguyen Aï Quoc (nom de Ho Chi Minh), on lit :

« À mes amis du Paria Algériens, Antillais, Malgaches, Sénégalais : éduquer les masses pour les conduire à l’indépendance. »6

Dans la conclusion victorieuse du peuple vietnamien, le plus important fut la réunion harmonieuse, complémentaire et dialectique de conditions précises : un peuple et un parti politique dirigeant totalement unis, apprenant l’un de l’autre, se soutenant l’un l’autre, en suivant une orientation stratégique précise : embrasser tous les aspects de la vie sociale, connaître parfaitement les faiblesses et les atouts des deux adversaires en conflit, en tirer convenablement les méthodes de combat, compter sur ses propres forces, en transformant les carences matérielles en atouts psychologiques qui deviennent, en définitif, matériels.

Cependant, comme l’affirma Nguyen Giap, le général vietnamien vainqueur des trois agressions militaires impérialistes successives : « Les impérialistes sont de mauvais élèves ». La réalité lui donne raison : ces impérialistes, malgré la cuisante défaite militaire et morale au Viêt Nam, ont continué et poursuivent encore leurs agressions contre d’autres peuples, avec le meme entêtement d’imbéciles qui se croient les plus intelligents. Et, pourtant, aujourd’hui, leur arme suprême, base de toute leur puissance matérielle, vacille : la domination du dollar. Et l’on ne doit pas s’étonner de l’existence de quelque général états-unien qui songerait à réduire la planète à « l’âge de pierre » pour ne pas perdre l’impériale domination oligarchique états-unienne.

Reste, donc, aux peuples et à ceux qui les dirigent ou veulent les diriger, à ne pas être, eux aussi, des « mauvais élèves ». Ils doivent apprendre correctement la leçon vietnamienne, ce qui, hélas, a manqué dans tous les pays qui ont été agressés et occupés par des forces impérialistes. L’explication de cette situation est claire : le motif n’est pas dans la force matérielle de l’armée qui agresse, mais, dans la nation agressée, par l’absence d’une équipe dirigeante qui a l’intelligence de sa mission : être en symbiose réelle avec son peuple, et, pour les deux (équipe dirigeante et peuple), être conscients de leur mission historique, établir et assumer une résistance correctement conçue, de longue, même de très longue durée, et quel qu’en soit le prix, car, au-delà de la lutte d’un peuple, il s’agit d’une lutte pour l’émancipation de l’humanité toute entière.

Que, donc, la victoire éclatante du peuple vietnamien soit remémorée chaque année partout dans le monde afin que les peuples de la planète finissent par se débarrasser totalement des criminelles oligarchies colonialistes, néo-colonialistes et impérialistes, avec leurs « règles » (de la prédation), leur « civilisation » (une barbarie de l’âge de pierre), leur démocratie (un mono-parti bicéphale) et leur « liberté de la presse » (qui emprisonne le plus exemplaire des journalistes libres : Julian Assange) !

  1. Curtis Le May, chef de l’aviation US, in Neil Sheehan : « A Bright Shining Lie » (Un lumineux étincelant mensonge), Édition Random House Inc., New York, 1988, , p.453.
  2. Idem, p.352 e p.348-349.
  3. « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ? »
  4. p. 852.
  5. Idem, p. 867.
  6. La Fourmi et l’Éléphant

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