« QUEL AVENIR POUR LE VÉNÉZUELA ? »

Le Conseil scientifique de l’Académie de Géopolitique de Paris a organisé un colloque sur les enjeux géopolitiques liés à l’avenir du Venezuela. Ont notamment été passées en revue toutes les thématiques géopolitiques et diplomatiques issues des enjeux de l’offensive multiforme déclenchée contre le Venezuela et son Président Maduro par le gouvernement des États-Unis après la mort du Commandant Chavez.

L’Histoire récente du continent latino-américain montre l’interventionnisme des États-Unis dans cette région du monde, notamment avec la collaboration des élites locales. L’ensemble des opérations de déstabilisation, comme les sanctions économiques et leurs conséquences, n’ont pas entrainé de changement de régime (« regime change ») mais ont des conséquences dramatiques sur les conditions de vie des vénézuéliens, actuellement angle mort de la couverture médiatique.

Des problématiques telles que l’ingérence étrangère, la politique de déstabilisation, les sanctions, la tentative d’une voie vénézuélienne propre, etc. ont pu être mis en avant par les diplomates, experts et spécialistes nous ayant fait l’honneur d’apporter leur contribution à ce colloque. Les conséquences, tant stratégiques que géopolitiques, du rapport de force ainsi créé – national mais aussi régional – ont pu être analysées.

Monsieur le Président de l’Académie de Géopolitique Ali RASTBEEN a pris la parole en ouverture du colloque, après avoir accueilli les intervenants, les invités et l’audience :<

Le Venezuela est porteur d’une histoire politique riche. C’est une république fédérale dont le président est à la fois chef d’État et chef du gouvernement. L’élection législative de 2015 marque le début d’une grave crise institutionnelle entre les pouvoirs exécutif et législatif, car l’Assemblée nationale était empêchée de légiférer. La politique extérieure du Venezuela est « anti-impérialiste » et défend un monde multipolaire. L’opposition aux États-Unis a structuré la politique étrangère d’Hugo Chavez (Président de 1999 à 2013), époque durant laquelle le Venezuela se rapproche de pays tels que l’Iran, la Chine, la Russie. La promotion d’une diplomatie « Sud-Sud » s’inscrit donc dans la continuité de la diplomatie historique vénézuélienne. Parmi les membres principaux du Mouvement des Non-Alignés (dont il assure la présidence de 2016 à 2019), le Venezuela est aussi membre-fondateur de l’OPEP. La Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie, Cuba ou encore le Nicaragua maintiennent encore aujourd’hui leur soutien à Nicolas Maduro et condamnent « l’ingérence » étrangère dans les affaires internes du Venezuela.

Le Venezuela est parmi les pays disposant des plus importantes ressources pétrolières au monde (300 milliards de barils) mais traverse depuis plusieurs années la plus grave crise économique de son Histoire, en raison de la baisse sévère des cours du brut, causant l’effondrement de facto de sa production pétrolière. Sa dépendance au pétrole a révélé les faiblesses structurelles de son économie. Confronté à une hyperinflation sans précédent et à un épuisement de ses réserves monétaires, le pays a été conduit à une réduction drastique des importations. La dette du Venezuela est estimée à plus de 150 milliards de dollars.

Les sanctions unilatérales internationales ont amplifié la crise économique. Cependant, force est de constater que ces sanctions ne respectent pas le droit économique et social international car elles sont en contradiction, manifeste, avec la liberté de commerce et la souveraineté des États. La situation des droits fondamentaux de l’Homme pour le peuple vénézuélien s’est également fortement dégradée : le droit à la santé, le droit à l’alimentation, le droit au développement, sont atteints.

Forte de sa culture de gestion des crises, l’Europe tente de développer le processus de démocratisation, via une revalorisation de la transition économique ainsi qu’une coopération économique et politique. L’Europe est un sponsor majeur de la stabilité, mais elle s’aligne sur la politique étasunienne… Elle ne respecte pas sa propre politique qui devrait être axée sur le développement de la démocratie, la défense des valeurs universelles et des libertés individuelles, et sur le nécessaire maintien du dialogue entre les peuples.

Aujourd’hui, le système mondial est fondé sur le multilatéralisme mais les mesures coercitives unilatérales contraires au droit international et à la Charte des Nations Unies compromettent ce postulat. C’est en tout cas notre hypothèse. La question centrale est de savoir si les sanctions unilatérales des États-Unis et leurs alliés contre le Venezuela sont légitimes, au regard du droit international et humanitaire. D’un côté, le Venezuela ne saurait vivre à l’écart de la communauté internationale pour assurer son développement. De l’autre côté, le monde a besoin du Venezuela pour garantir sa stabilité et sa prospérité. Le peuple vénézuélien porte le drapeau de la paix, celui de la coopération et de la croissance.

Professeur Michel MUJICA RICARDO, Ancien ambassadeur de la République Bolivarienne du Venezuela en France, « Le Venezuela brisé par les sanctions. Les défis d’aujourd’hui » :

Après la mort du Commandante Chavez (mars 2013) et surtout après le décret du 9 mars 2015 – dans lequel le Président étasunien Barack Obama a qualifié le Venezuela de « menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale » de son pays et qui fut précédée de 148 autres déclarations et communiqués contre le gouvernement du Venezuela, battant ainsi tous les records d’ingérence américaine contre le pays pour l’année 2014 et en moins de quarante jours – une guerre multiforme et une politique de pression maximale a été déclenchée contre le Venezuela et son Président Maduro. Comme le gouvernement Chavez, ce dernier a été soumis dès le début aux pressions extérieures visant un changement de régime. Plus encore, Washington a réservé un traitement différencié au Venezuela, avec des actes de déstabilisation encore plus intenses et tenaces que ceux auxquels furent confrontés les autres gouvernements latino-américains progressistes (de la « marée rose ») : tentative de coup d’État (2002) ; grève générale de 2 mois qui était en fait un « lock out » (2002-2003) ; tactiques « foquista » de violences de rue (2003) sur allégation que Chavez allait assurer bientôt un pouvoir dictatorial ; incident du Daktari Ranch (2004) et l’arrestation de 153 colombiens dont une action militaire imminente allait tenter de renverser le gouvernement ; violences de rue (2007) contre la fermeture d’une chaîne TV d’opposition qui avait soutenu le coup d’État de 2002 ; violences aléatoires après les élections présidentielles (2013) après des déclarations incendiaires du candidat défait sur de prétendues allégations de fraude ; paralysie de zones urbaines stratégiques pendant 4 mois, appelée « guarimba » en vue de provoquer le changement de régime (2014) ; reconnaissance de Juan Guaido (auto-proclamé président à Caracas, le 23 janvier 2019) par Macron, Sanchez, Trump et des gouvernements de l’Union Européenne ; ou encore attaques au drone contre Maduro et Cilia Flores. La déstabilisation au Venezuela a donc commencé avant 2015, mais s’est endurcie après le décret Obama.

Chavez était un leader charismatique et mondialement reconnu que Washington considérait agressif car il remettait en question le monde unipolaire (autrement dit, l’impérialisme étasunien) et parce qu’il s’engageait dans une politique étrangère activiste visant à renforcer la coopération « Sud-Sud » et la création d’entités régionales sans le soutien et la participation des États-Unis et leurs associés. La dimension politique de la stratégie défensive de Maduro reposait sur le principe selon lequel le changement de régime n’est pas le seul objectif de Washington, mais également l’usage des sanctions comme « levier » pour obtenir des concessions en faveur des intérêts commerciaux américains. Sa politique s’est donc adressée, en plus de Washington, à l’opposition modérée ainsi qu’aux intérêts commerciaux, nationaux et mondiaux.

Les sanctions sont très douloureuses pour le pays, surtout pour les citoyens ordinaires, et l’auteur des sanctions doit être tenu responsable de la crise qui en résulte. Les sanctions contre la compagnie pétrolière nationale (PDVSA) en 2019 visaient à étrangler l’économie vénézuélienne et ont porté un coup dur au gouvernement de Maduro. En plus de sanctionner le Venezuela et les pays-tiers qui commercent avec lui, et en plus de soutenir une marionnette à la présidence du Venezuela, l’imposition des sanctions a entrainé une détérioration radicale des conditions de vie du peuple vénézuélien. L’arrogance et la clarté avec laquelle les USA sont intervenus pour étrangler l’économie d’un pays souverain, sans égard pour sa population, est une violation claire de la Charte des Nations Unies et du Droit international. Le Venezuela est visé par une guerre multiforme et les sanctions ont joué un rôle décisif. Le grand défi de Maduro fut de concilier une politique défensive favorable à l’entreprise privée et l’ouverture économique, avec une orientation vers le bien-être du peuple vénézuélien.

Les attaques contre le modèle néolibéral se multiplient, mais s’articulent souvent à travers des processus contradictoires et exclusifs, influencés par des pouvoirs externes. La Révolution Bolivarienne, malgré ses luttes économiques et socio-politiques, fait face à des pressions extérieures, avec des alliés historiques qui prennent désormais leurs distances, ce qui restera un défi pour le gouvernement Maduro. Les sanctions unilatérales étasuniennes violent le droit international, entravant notamment les droit humains, notamment le droit à l’alimentation, à la santé, à la sécurité. Ces mesures constituent une forme de guerre et violent les principes de souveraineté des États ainsi que de non-intervention dans les affaires internes des pays souverains. Les sanctions secondaires affectent non seulement le gouvernement ciblé, mais aussi des acteurs économiques et sociaux tiers, venant encore porter atteinte à l’indépendance économique et diplomatique des États concernés, et menaçant au passage les conditions de vie de leurs populations.

Le grand défi pour les peuple et les autorités du pays consiste à garantir un processus électoral transparent dans le cadre de la Constitution pour les prochaines élections présidentielles (28 juillet 2024), y compris face aux attaques extérieures et tentatives de déstabilisation interne. C’est là que réside l’avenir de la Révolution Bolivarienne.

Recteur Gérard-François DUMONT, Professeur à la Sorbonne et vice-président de l’Académie de Géopolitique de Paris, « Les diasporas vénézuéliennes et leurs effets géopolitiques » :

Je vous propose d’examiner la question des diasporas vénézuéliennes et de leurs effets géopolitiques. Pour avoir des données relativement correctes, il faut des recensements récents, ce qui n’est pas vraiment le cas. Deuxièmement, il faudrait idéalement un recensement des personnes qui entrent et sortent du pays, et sur ce point le Venezuela ne fait pas mieux que la France, ce qui n’est pas un reproche en la matière. Nous utiliserons donc les statistiques données par les divisions de la population des Nations Unies. Ce sont des estimations, qui nous apprennent que la population du Venezuela a bel et bien diminué durant ces dernières années. Comme il y a eu plus de naissances que de décès, l’explication à cette diminution réside forcément dans des flux migratoires sortants, suffisamment importants pour engendrer une baisse de la population. Des années 1970 aux années 1990, l’ONU donne un solde nul (les sorties de vénézuéliens, pour raisons diverses, étaient compensées par l’entrée de colombiens cherchant un travail) et nous observons dès les années 2010 un changement de dynamique, avec le passage à un solde négatif. Comment l’expliquer ? Par les pénuries alimentaires, les difficultés hospitalières (et ses conséquences), l’hyperinflation, etc., un contexte pouvant engendrer des taux de criminalité importants et des crises politiques. Il est intéressant de comparer le Venezuela avec l’Ukraine (ou certains autres pays) en ce sens que ces pays ont connu des difficultés similaires (pénuries, hyperinflation, etc.) ainsi qu’un phénomène d’émigration massive lié aux conditions économiques, rendu possible parce que les dirigeants n’ont pas fermé leurs frontière (sauf à quelques périodes). En ce qui concerne l’importance et la géographie de ces diasporas, on note que les vénézuéliens de l’étranger étaient 700 000 en 2015, un peu plus d’1,6 millions en 2017, et sont aujourd’hui 7,7 millions : une augmentation considérable des diasporas vénézuéliennes. Ces personnes se trouvent en Colombie (3 millions), le pays le plus grand et proche ; le Pérou (avec transit par la Colombie) ; le Brésil (qui a parfois essayé de fermer sa frontière) ; l’Équateur (presque 500 000) ; le Chili (presque 500 000) ; ensuite d’autres pays d’Amérique latine un peu plus loin du Venezuela (Argentine, République dominicaine, Mexique, Panama, etc.). Parmi eux, 1,2 millions vivent en dehors d’Amérique latine. La géographie met en évidence la proximité avec la Colombie (liens humains importants et anciens, « Grande Colombie »). On note que les pays d’accueil ont été globalement accueillants. Parmi les 7,7 millions, 4,5 millions sont dans des situations régularisées, que nous retrouvons dans les pays déjà cités, à quelques différences près. L’Espagne apparait à la 7ème place (170 000 personnes), puis les USA (122 000), mais le chiffre réel peut être plus élevé. 1,2 millions de demandes d’asile ont été déposées, 300 000 acceptées à l’heure actuelle, le Pérou en tête suivi des USA, avec l’Espagne en 4ème position. Les différences tiennent aux modalités d’application de la Convention de Genève qui peut changer selon les pays, et la plupart des réfugiés se trouve en Espagne, au Brésil et aux USA.

Il faut maintenant en considérer les effets géopolitiques. La perte de ressources humaines jeunes et diplômées est un désavantage, qu’elles aient été favorables au régime ou non. Ces personnes ne sont pas électrices, comme d’autres diasporas, ce qui aurait pu modifier la situation. Aussi, la perte d’habitants fait que la rente pétrolière est désormais à partager entre un nombre d’habitants moindre, ce qui pourrait augurer un meilleur partage, et il bénéficie par ailleurs de remises (envois d’argent par la diaspora, aides en tout genre). L’inquiétude récente de Joe Biden concernant l’arrivée des vénézuéliens l’a contraint à négocier avec Maduro, donnant un atout à ce dernier, et la diaspora vénézuélienne peut avoir des conséquences sur les scrutins internes des pays d’accueil (l’État de Floride de plus en plus républicain par la croissance des populations hispaniques, dont les vénézuéliens ; le mécontentement des chiliens lors de l’arrivée des vénézuéliens dans le pays, qui s’est traduit dans les urnes ensuite). Aussi, on considère trop l’Amérique latine via le Brésil et l’Argentine, or la Colombie est aujourd’hui le 2ème pays démographique en Amérique du Sud et prend une importance significative. Enfin, cette immigration peut être un atout économique pour l’Espagne, dont la fécondité est très faible (hiver démographique) et dont la population active diminue. L’immigration crée l’immigration, puisque dès qu’une diaspora est installée quelque part, elle peut servir de comité d’accueil pour d’autres immigrants originaires du même pays. Les vénézuéliens sont la population étrangère la plus importante dans la région tout au Nord-Ouest de l’Espagne (La Corogne, Saint-Jacques-de-Compostelle, toute une partie de la Galice). En général les diasporas sont durables : quelles que soient les politiques conduites, il est peu probable que ces 7,7 millions reviennent au Venezuela un jour, à moins de crises plus importantes encore dans ces pays-ci. Elles seront à mon avis plus importantes pour les pays de résidence que pour le pays d’origine, et elles auront un impact dans les relations entre le Venezuela et ces pays de résidence.

Arturo GIL PINTO, Ambassadeur de la République Bolivarienne du Venezuela auprès de la République française et des Principautés de Monaco et Andorre, « Une perspective diplomatique de la situation du Venezuela » :

Nous remarquons que dans les médias nous n’entendons aujourd’hui plus parler du pétrole. À l’inverse, durant la crise politique vénézuélienne (en 2002-2003 sous Hugo Chavez) avec le coup d’État etc., le pétrole était toujours évoqué et présent dans les analyses politiques sur le Venezuela. Le coup d’État en question était même dirigé par les mangers de l’entreprise pétrolière vénézuélienne, attachés aux intérêts étasuniens, dont les premières mesures prises par le gouvernement (installé pendant 48 heures) furent de changer les managers de l’entreprise pétrolière nationale (PDVSA) et de réorienter les exportations vers les USA… avant que Chavez n’en reprenne le contrôle avec l’appui du peuple et puissent y mener des changements. Aujourd’hui on évoque les élections, les droits humains et conditions sociales, mais pas du pétrole, or la réalité est que ce dernier continue d’être au cœur d’être le principale facteur de tensions politiques dans le pays. En 2002, les États-Unis ont été contraints de négocier après que Chavez ait menacé de couper ses exportations pétrolières vers le territoire, et cette menace avait alarmé tout le monde. Ce qui est différent aujourd’hui tient à la séquence 2008-2015, durant laquelle les États-Unis ont engagé leur « révolution énergétique » (production de pétrole et gaz de Schiste). Le coût de cette production étant très important (techniquement et financièrement) elle a besoin de prix élevés du pétrole pour être soutenable. Ceci est une condition fondamentale qui change : dès ce moment, les USA ont besoin de maintenir élevés les prix du pétrole. On les a vu intervenir en ce sens à l’OPEP (réduction production pour augmentation des prix) alors qu’ils avaient auparavant besoin de la production vénézuélienne pour faire baisser les prix sur leur marché intérieur, ce qui n’est plus le cas désormais. Cette contradiction entre les prix du pétrole et la sécurité économique des États-Unis, c’est cela qu’ils ont commencé à travailler. On voit que les sanctions commencent dans la même période que celle de l’augmentation de la part du pétrole de Schiste aux USA. Malgré les observateurs du monde entier, les USA ne reconnurent pas le résultat des élections et imposèrent des sanctions coercitives et unilatérales. Quand on regarde les sanctions, les plus importantes sont contre les entreprises pétrolières et leurs ressources, techniques et financières. Dès ce moment on voit chuter la production pétrolière (1,2 millions de barils/jour) jusqu’à atteindre 0 dollars de revenus (2020)… Aujourd’hui, 930 sanctions sont imposées au Venezuela (57 % des USA ; 14 % Canada ; 9 % Panama ; 7 % UE) dont la plupart aux États-Unis. 441 mesures unilatérales et coercitives contre le Venezuela, 2 lois de sanctions et 7 « orders » du Président des États-Unis. Les sanctions visent les entreprises publiques (92 %, et 64 % contre les entreprises à capital vénézuélien). Même si les prix étaient élevés, les USA ont trouvé d’autres marchés pour écouler leur gaz très cher : l’Europe… C’est-à-dire que nous finançons la sécurité énergétique des USA, l’Europe en payant son pétrole aux USA à prix très élevé, et le Venezuela en payant le prix des sanctions… En 2018, après l’élection de Maduro, l’opposition (qui avait pourtant décidé de ne pas y participer) ne reconnait pas la victoire de Maduro, comme les États-Unis quelques jours après, et reconnait Juan Guaido. À ce moment, le pétrole réapparait avec les USA qui prennent le contrôle de CITGO (filiale de PDVSA aux USA), nous faisant voir clairement l’objectif des États-Unis : le contrôle stratégique du marché pétrolier vénézuélien afin de contrôler les prix du pétrole et le marché global. L’économie se détériore en 2017-2018, des tentatives d’assassinat visent Maduro (2018), un coup d’État échoue (2019), une tentative d’invasion du Venezuela depuis la Colombie, le sabotage du système électrique national pendant cinq jours, etc. C’est une guerre, on ne voit pas cela ailleurs, et ce sont donc des conditions géopolitiques particulières autour du pétrole et de la question énergétique au Venezuela, qui ont mené à cette stratégie des USA.

Aujourd’hui, le Venezuela retrouve de la stabilité malgré les difficultés, avec moins de violences de rue depuis 2018. Le Venezuela doit changer ses conditions de production, de financement, d’exportation pétrolières, et c’est cela que nous avons commencé de mettre en place entre 2018 et aujourd’hui. Il y a aussi des initiatives pour lever les sanctions sur certains secteurs, mais le plus important est la doctrine du multilatéralisme, du monde multipolaire, portée par le Venezuela, dont Chavez parlait déjà (1999) et qui consistait à trouver un équilibre entre les différents pôles du monde, et la production ne doit plus aller uniquement aux USA comme avant (en 1998, environ 95 % de la production était exportée aux USA). Depuis 2010-2016 c’est 60 % vers les USA, mais cela va aussi vers la Chine, l’Inde, d’autres pays. En 2018-2020, le Président Donald Trump disait que « toutes les cartes sont sur la table ». Aujourd’hui nous savons que les actions militaires contre le Venezuela étaient sur la table, qu’il essayait d’utiliser la Colombie pour mener à des invasions au Venezuela, il n’y a pas eu de guerre malgré des tensions, non plus avec le Guyana (litige territorial lié aux ressources pétrolières). C’est donc un succès pour la diplomatie vénézuélienne et son Président Maduro (qui a beaucoup de patience) que d’avoir évité cette situation, maintenant stables et aux conditions économiques bien meilleurs que durant la période (2014-2017) avec la meilleure croissance d’Amérique du Sud (en 2023, et attendue pour 2024). La solidarité et l’organisation de la population a aussi grandement aidé à la résilience dans les conditions difficiles traversées (mise en place de coopératives, soutien du gouvernement). Je pense que les enjeux de la diplomatie vénézuélienne sont de donner à tous les pays une sortie de cette folie « Guaido », et on peut se demander pourquoi ces pays n’ont pas les moyens de savoir ce qu’il se passe réellement au Venezuela, ce qu’il s’y passe maintenant. Il y aura des élections le 28 juillet 2024. Pour ce qui concerne la diaspora, il nous faudra des vrais chiffres, et peut-être réfléchir aux méthodologies de comptage (car la frontière Venezuela-Colombie est très dynamique). En conclusion, nous sommes engagés sur une diplomatie de paix, de stabilité du Venezuela et dans les relations avec les autres pays, car c’est cela qui a amené les conditions dans lesquelles nous sommes aujourd’hui.

Stéphane WITKOWSKI, Ancien chef du service « Amériques » du MEDEF International, Directeur des relations institutionnelles du groupe ALTADIS et des relations internationales européennes de l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie (Paris ; Bruxelles), Président du Conseil d’orientation stratégique de l’IHEAL (Sorbonne-Nouvelle). « La France et l’Amérique latine : Quelles perspectives ? » :

Les relations entre la France et l’Amérique latine reposent sur des liens historiques, culturels, politiques, économiques et migratoires très anciens. La mise en exergue de cette même « communauté de valeurs » et une « civilisation en partage », dans leur diversité et leur spécificité, s’identifiaient à cet « Extrême Occident » défini par Alain ROUQUIE (Président de la Maison de l’Amérique latine, Président du centre d’études et recherches Amérique latine et Europe au CERALE, Directeur de recherches au CERI – Sciences Po et ancien Ambassadeur de France au Brésil, Mexique et Salvador, ancien directeur Amérique – Caraïbes au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères). De part et d’autre de l’Atlantique, de fortes personnalités politiques en ont défini les bases, les principes, et ont structuré cette relation bilatérale. Qu’en est-il en 2024 ? L’objet de cette communication est de rappeler l’état des lieux, dans les grandes lignes, des relations entre la France et l’Amérique latine et les Caraïbes pour esquisser de nouvelles perspectives d’avenir. Un nouveau contexte géopolitique où, malgré un regard médiatique biaisé, notre pays et le sous-continent n’échappent pas aux rapports de force internationaux, à la polarisation des sociétés, les alternances majeures, la réaffirmation d’une vision régionale et l’expression d’une autre voix de ce « sud global » dans le concert des nations.

Jure VUJIC, Diplomate et géopoliticien franco-croate, Directeur de l’Institut de Géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Chercheur à l’Académie de Géopolitique de Paris, « Les enjeux des terres rares en Amérique latine » :

Même si le marché des terres rares est actuellement dominé par la Chine, qui produit environ 60 % des terres rares au niveau mondial, et en transforme et raffine environ 80 %, l’Amérique du Sud présente de nombreuses potentialités en tant que région productrice, ce qui est susceptible d’intensifier la compétition entre les acteurs mondiaux. En effet, le « triangle du lithium » couvre des régions de Bolivie, d’Argentine et du Chili, zone qui abrite 63 % des réserves mondiales de lithium, alors qu’on trouve presque 3 millions de tonnes supplémentaires au Pérou et au Mexique. En Amérique latine, c’est donc le lithium (indispensable pour la production de nouvelles technologies et les batteries des voitures électriques) qui attise la convoitise des grands capitaux et les ingérences étrangères. L’Amérique latine tire en grande partie son poids géopolitique et géoéconomique sur la scène internationale des ressources naturelles et des matières premières qu’elle possède et exporte. Ces ressources (terres rares) pourraient constituer á long terme un facteur important de positionnement géopolitique sur la scène internationale, à l’heure où la guerre notamment économique, la transition énergétique et les nouvelles technologies prennent une ampleur considérable.

Maurice LEMOINE, Journaliste, Spécialiste « Caraïbes et Amérique latine », ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, « Aux racines du conflit avec le Guyana » :

Depuis le XIXème siècle et l’époque coloniale, un différend territorial au sujet de « l’Essequibo » a opposé le Venezuela à la Guyane britannique, puis, à partir de 1966, au Guyana, devenu indépendant. À ce jour non résolu, le conflit a pris de l’ampleur en 2015 avec la découverte d’importants gisements de pétrole au large de la zone disputée. Depuis quelques mois, une brutale montée des tensions a alerté une « communauté politico-médiatique internationale » qui a eu vite fait – pour le plus grand bonheur de la multinationale Exxon Mobil et du Gouvernement des États-Unis – de désigner l’ « agresseur » : la République Bolivarienne du Venezuela. Et si l’affaire n’était pas aussi simpl(ist)e que cela ?

Alain CORVEZ, Conseiller en Stratégie internationale, Membre de la Fondation Charles de Gaulle, ancien Secrétaire-Général de la Fondation de la France Libre, « Analyse de la situation actuelle au Venezuela » :

Dans les années 90, après l’effondrement de l’URSS et le démembrement délibéré de la Russie voulu par le bloc atlantique dirigé par les États-Unis, Washington a cru pouvoir, et devoir, diriger la planète entière, aucune force sérieuse ne semblant être en mesure de s’opposer à ce projet dominateur mondial. Mais, la Russie d’une part, est sortie peu à peu de ce marasme économique et structurel grâce à la direction inspirée et visionnaire de Vladimir Poutine qui a su mobiliser et organiser les forces vives de son pays et, d’autre part, la Chine, renforçant sa puissance économique et son influence, et a proposé de nouvelles coopérations au monde avec son projet des Nouvelles Routes de la Soie (OBOR) sur le principe « gagnant-gagnant », offrant une alternative respectueuse des particularismes des nations.

C’est dans cette conjoncture nouvelle que le Venezuela, objet de l’hostilité récurrente des États-Unis pour ses choix de résistance à l’impérialisme, à l’instar de Cuba entre autres, a subi des sanctions et des blocages, et surtout des opérations clandestines de renversement des gouvernements élus démocratiquement, notamment depuis la direction de Chavez et de son successeur, qui ont mené des politiques non pas hostiles aux États-Unis mais de nationalisations des richesses du pays capturées par les capitalistes américains, au profit du peuple dépossédé.

Si le chavisme de son fondateur et de ses successeurs n’a sans doute pas été une réussite économique, cet échec dû aux difficultés d’une transition d’un système économique capitaliste au socialiste, renforcées en grande partie par les blocages divers de Washington, la philosophie politique chaviste rencontre l’assentiment majoritaire du peuple qui attend cependant une amélioration de son niveau de vie grâce à une gestion plus réaliste des richesses nationales.

Dans sa résistance à l’impérialisme atlantique, le Venezuela a reçu aide et appui de nations fortes en lutte également contre l’impérialisme atlantique, telles que l’Iran, la Russie et la Chine.

Aujourd’hui, l’effondrement en cours de cet impérialisme, en échec en Ukraine comme à Gaza, la montée en puissance de la Chine, laissent entrevoir une nouvelle géométrie du monde dans laquelle les nations, grandes ou petites, seront délivrées des coercitions des blocs idéologiques et établiront des relations équilibrées, où les rivalités d’intérêts inévitables seront résolues par la diplomatie et non par la coercition. Ainsi devrait être réglée la question de l’Essequibo.

Le Venezuela dispose de tous les atouts pour être un acteur important du nouvel ordre mondial en gestation dans une Amérique Latine souveraine, libérée des coercitions de son grand voisin du Nord devenu raisonnable, avec lequel elle pourrait établir des relations de respect mutuel.

Jean-Luc PUJO, ancien fonctionnaire français du Ministère des Affaires étrangères, Président du réseau national des Clubs « Penser la France » et auteur de nombreux articles politiques, « Les relations franco-vénézuéliennes : continuité et rupture (1811-2024) » :

L’intervention consistera non pas à exposer l’histoire des relations diplomatiques de nos deux pays, ni même l’histoire des relations entre nos deux peuples, nos deux nations, mais de tenter par quelques touches impressionnistes de dresser un tableau des relations entre nos deux civilisations, la France et l’Amérique Latine, en me concentrant bien sûr principalement sur Caracas. Il s’agira de montrer la richesse de cette relation, au moins jusqu’en 1945 ; de rappeler les tentatives françaises de renouer ce dialogue – De Gaulle, Mitterrand, Chirac ; de relever surtout l’effondrement actuel de la diplomatie Française et nous permettre de nous interroger sur les conditions d’un renouveau de ces relations et, pourquoi pas, d’un nouveau « dialogue amoureux » entre Paris et Caracas, puisqu’il y eut – les Français l’ont oublié – une intense relation entre nos deux pays.

Débat avec le public

 

 

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