Washington reconsidère sa décision : Doutes sur la vente d’armes au Maroc

      par Houari Barti

Le projet de vente de drones et d’autres équipements militaires au Maroc par les Etats-Unis est en train de tomber à l’eau. C’est ce qu’a révélé le journal espagnol El Confidential, dans son édition du 1er août, évoquant même des «tensions» dans les relations entre Washington et Rabat.

Un retournement de situation qui intervient dans le sillage de «plusieurs scandales internationaux impliquant le Royaume Chérifien, dont celui de l’affaire Pegasus», mais aussi, en réaction «des violations croissantes du Maroc des droits de l’homme au Sahara occidental». Toutes ces dérives ont conduit l’administration Biden «à reconsidérer la vente, bloquée actuellement dans des commissions clés du Congrès et du Sénat». L’establishment américain, tant démocrate que républicain, est «de plus en plus mal à l’aise avec son allié à Rabat», écrit le journal espagnol.Le sénateur Leahy, père de la loi Leahy, une législation qui interdit essentiellement aux départements d’État et de la défense des États-Unis de fournir une assistance militaire aux armées étrangères qui violent les droits de l’homme, préside actuellement la commission des crédits, qui influence les éventuels transferts et ventes d’équipements militaires.

Sa position initiale commence à être renforcée par les récents développements. «À l’heure où nous écrivons ces lignes, plusieurs responsables de commissions clés du Congrès et du Sénat usent de leur autorité pour bloquer la vente, ils ont donc demandé à l’administration Biden de leur fournir davantage d’informations sur les drones», écrit El Confidential.

Doute sur l’utilisation réelle des armes américaines

Le fait est que le MQ-9B Skyguardian et les bombes JDAM sont bien plus meurtriers que l’armement conventionnel que les États-Unis vendent généralement à Rabat. Leur potentiel destructeur élevé exige le niveau de responsabilité que les Américains exigent de leurs alliés de l’OTAN. Le Maroc ne fait pas partie de l’Alliance atlantique et, de plus, la reprise du conflit militaire avec le Front Polisario sahraoui (en  » état de guerre  » depuis la violation du cessez-le-feu en novembre 2020), fait douter de l’utilisation réelle que le Maroc pourrait faire de cet armement pour poursuivre ses objectifs militaires.

Le drone MQ-9B Skyguardian est, pour rappel, l’un des joyaux de l’US Air Force. Cet aéronef sans pilote, doté de matériel et de logiciels de pointe, conçu pour survivre à toutes sortes d’impacts dans les conditions météorologiques les plus défavorables, est en quelque sorte le drone parfait. Il transporte et livre les munitions les plus meurtrières, comme les bombes à guidage de précision JDAM, dont le système GPS leur confère une efficacité maximale.

Washington avait l’intention de vendre quatre de ces drones et des munitions JDAM au Maroc. Un projet scellé fin 2020 par Donald Trump, en échange d’une normalisation du Maroc de ses relations avec l’Etat Hébreu. Le président sortant avait même, dans un de ses gestes de diplomatie sur Twitter, reconnu la pleine souveraineté du royaume sur le Sahara occidental.

Cette reconnaissance dans les arrêts de jeu avait généré un sentiment d’impunité à Rabat, ce qui l’a conduit à accentuer ses violations des droits de l’homme dans le territoire sahraoui. «Les tortures, les viols, les passages à tabac et les disparitions n’ont jamais cessé, mais se sont maintenant intensifiés depuis que le Maroc a rompu en novembre 2020 un cessez-le-feu qui durait depuis 1991. Il n’y a pas de liberté de la presse ou de liberté de mouvement au Sahara occidental, mais ces violations des droits de l’homme finissent par être connues à Washington», affirme le journal espagnol citant Suzanne Scholte, présidente de la Defense Forum Foundation, une organisation basée à Washington qui se concentre sur la protection des droits de l’homme dans des endroits comme la Corée du Nord et le Sahara occidental lui-même.

C’est également à cette époque, dans le compte à rebours de l’ère Trump, que Washington a décidé de vendre au Maroc les drones MQ-9B Skyguardian et les bombes JDAM.

Mais Biden n’est pas Trump. Le cadeau «empoisonné» laissé par Trump a, dès le début, constitué un casse-tête pour l’administration Biden, cherchant à se sortir de ce pétrin.

Depuis son investiture, le nouveau président américain, Joe Biden, a, en effet, souligné que son pays revenait aux principes du droit international et au soutien des droits de l’homme. Bien que les Sahraouis n’aient jamais figuré en bonne place dans l’agenda des États-Unis, qui se contentent d’apprécier la stabilité pro-occidentale qu’offre le statu quo entretenu par la monarchie alaouite. Mais la cause Sahraoui ne passe pas non plus inaperçue : elle suscite une sympathie lointaine.

Le Maroc se rabat sur des drones turcs

La vente de drones américains s’est arrêtée. C’est peut-être la raison pour laquelle le dernier achat de drones de Rabat – une douzaine de Bayraktar TB2 d’une valeur de 70 millions de dollars, qui doivent arriver à Rabat dans deux mois – a été effectué auprès de la Turquie. Ankara maîtrise cette technologie militaire et offre au Maroc deux avantages : ses drones sont moins chers que les drones américains, et ses procédures de ventes militaires sont moins restrictives que celles des États-Unis ou d’Israël.

Mais l’achat par le Maroc de drones à la Turquie pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase de la patience américaine. La législation américaine ne se contente pas de contrôler ses exportations de défense, mais surveille également l’éventuel double usage de la technologie militaire par les acheteurs potentiels, que les États-Unis leur aient ou non vendu cette technologie.

En l’état actuel des choses, le débat à Washington sur la question marocaine prend de l’ampleur. La sous-secrétaire d’État aux affaires politico-militaires doit vérifier si, selon ses normes juridico-éthiques, les drones et les bombes peuvent être vendus au royaume alaouite. Une résolution n’interviendra probablement pas avant 2022. Le débat de fond qui circule actuellement dans les couloirs du Capitole pourrait se résumer à la dichotomie suivante : vaut-il la peine de leur vendre l’armement ? Le « oui » serait en raison de leur utilité dans la lutte contre le terrorisme, le « non » parce que ces drones et bombes pourraient être utilisés contre des civils sahraouis.


      Washington peut bloquer la vente de drones et d’armes au Makhzen

                                Les Sahraouis en proie à une répression terrible

Dans la foulée de la reconnaissance par l’ancien président Trump de la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en contrepartie de la normalisation des relations cachées du Makhzen avec l’Etat sioniste, Washington avait donné le feu vert à la vente de quatre drones MQ-9B Skyguardian et des munitions JDAM au Maroc. C’était avant les évènements qui ont mis en évidence les peu recommandables manoeuvres du royaume marocain aussi bien avec l’Allemagne que l’Espagne soumis à de véritables chantages, l’une étant «bannie» au plan des échanges économiques et politiques et l’autre «envahie» par des milliers de migrants marocains prestement poussés vers les enclaves de Ceuta et Melilla.

Selon le journal espagnol El Confidencial, l’administration Biden aurait reconsidéré ce contrat en raison des actions scandaleuses du Makhzen, notamment la récente affaire d’espionnage des dirigeants européens ainsi que des politiques et journalistes de nombreux pays par le logiciel espion Pegasus.
En outre, le département d’Etat n’a pas été convaincu après les échanges entre Antony Blinken et le MAE du royaume Nasser Bourita, pour ce qui est des violations systématiques des droits de l’homme au Sahara occidental.
Le journal espagnol parle de «tensions» entre les Etats-Unis et le Makhzen pour dire que le contrat de ventes d’armes sophistiquées a été suspendu par le Sénat et le Congrès américains, au niveau des commissions concernées. Si pour l’administration Trump, seul comptait l’engagement à entretenir les meilleurs échanges possibles avec l’Etat sioniste, tel n’est pas uniquement le souci de l’administration Biden, et plus largement du parti démocrate, qui font du respect des droits de l’homme et du droit international des conditions plus ou moins incontournables.

Le sentiment d’impunité est devenu tel, chez les dirigeants du Makhzen, estime le journal espagnol, qu’ils n’hésitent plus à bafouer ouvertement les droits humains et les exigences de relations politiques et diplomatiques transparentes.
C’est ainsi que El Confidencial écrit que «la torture, les viols, les coups et les disparitions n’ont jamais cessé, mais maintenant, ils se sont intensifiés, depuis que le Maroc a rompu un cessez-le-feu qui durait depuis 1991, en novembre 2020».

«Il n’y a pas de liberté de la presse ni de liberté de circulation au Sahara occidental, mais les violations finissent par être connues à Washington», avait déclaré dernièrement Suzanne Scholte, présidente de US Western Sahara Foundation, citée par El Confidencial. Le fait que le drone MQ-9B Skyguardian, un avion sans pilote, conçu pour résister à toutes sortes d’impacts dans les conditions météorologiques les plus défavorables et doté de bombes de précision JDAM, au GPS maximal, constitue une arme de pointe réservée à l’OTAN pose problème quant à la solvabilité des dirigeants marocains, eu égard à la loi Leahy dont le sénateur-auteur préside la Commission des crédits et n’a jamais caché son attachement au droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.

Au Makhzen qui prétend avoir besoin de telles armes pour «lutter contre le terrorisme», la décision du Congrès américain qui ne tombera pas avant 2022 pourrait retenir le fait qu’elles viseront, sans aucun doute, les civils sahraouis revendiquant leurs droits, malgré une terrible répression.

Chaabane BENSACI


          La prunelle de ses yeux

                        par Brahim Taouchichet

Dans le conflit du Sahara Occidental, dernière portion d’une Afrique morcelée, qui reste à décoloniser, y a-t-il eu une sérieuse énigme dans le rôle que s’évertue de jouer la France ? L’arrogance de mise.
Giscard d’Estaing n’avait pas hésité à lancer ses Jaguar bombarder les combattants sahraouis, à coups de bombes au phosphore, une arme chimique incendiaire qui provoque un embrasement généralisé de l’air. Beaucoup de Sahraouis succomberont dans cet apocalypse. «Le Petit prince» de Saint-Exupéry aurait été horrifié, d’autant plus que son créateur, tombé en panne d’avion au Sahara Occidental, a dû la vie sauve à des Sahraouis de passage. Il en témoignera d’ailleurs. À l’inverse, l’élite française, sportifs, artistes et assimilés, de grande ou moindre envergure, font du Maroc de papa la terre de prédilection de leurs plaisirs débridés, sans tabous. En toute sécurité du petit peuple, tenu à une distance respectueuse. Qu’elle soit de droite ou de gauche, l’élite française vient « souffler » du stress des joutes politiques parisiennes. Une thérapie de luxe garantie sur le dos du contribuable marocain. Tant et si bien que notre voisin est transformé en exutoire d’échecs refoulés, de fantasmes cachés. Mais cela est de notoriété publique.

Ce qui nous fait mal, par contre, est que cet esclavage des temps modernes fait de nos frères et sœurs marocains une masse à disposition. Sans possibilité de recours. Les voix discordantes font l’objet d’une répression propre aux plus sanguinaires des dictatures. Les Chleuhs du Rif ont de tout temps fait les frais de la collusion Paris-Makhzen. Pour les Marocains, le libre arbitre n’existe pas. Car, le maître du jeu, depuis toujours, veille – l’arme au poing – à garder son jardin d’Eden. À bien y voir, la mainmise de la France d’hier et d’aujourd’hui a quelque chose de terrifiant. Elle a créé le Makhzen dont elle assure la longévité, le perpétue. Plus qu’aucun autre pays, arabe ou européen, ne soutient autant la monarchie dans l’affaire du Sahara Occidental. L’on est tenté même d’affirmer, plus que le Maroc lui-même. Ce serait le drame, pour la France, de perdre un atout capital de sa politique néocoloniale, qu’elle impose à ses ex-colonies lesquelles n’ont de pouvoir que celui de s’y soumettre. De ce point de vue, il sera extrêmement difficile d’envisager, pour l’heure, un retrait du Maroc de ce territoire qu’il occupe depuis plus de quarante ans. Parce que Paris y tient comme à la prunelle de ses yeux ! Plus que les Marocains eux-mêmes…/
Brahim Taouchichet


 

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