L’industrie automobile algérienne est née en 2012 quand les autorités ont conclu un partenariat avec la marque française Renault, qui s’est concrétisé, fin 2014, par l’ouverture de l’usine qui produira la première voiture présumée “made in Algéria”. Entre-temps, et à partir de la mi-2014, la baisse des prix du pétrole, qui fournit 95% des recettes en devises de l’Algérie, a propulsé la filière automobile nationale en tête des priorités pour réduire la facture des importations qui siphonnent les réserves de change. Les autorités ont donc contraint les concessionnaires automobiles à se doter d’unités de production locale. Trois ans après, le bilan dressé par le ministre chargé de ce dossier, M. Bedda est catastrophique : aucun impact positif sur les réserves de change ou la création d’emploi, mais un coût important pour l’Etat en termes d’aides et d’avantages fiscaux pour les pseudos constructeurs. Sur le terrain, rien n’est perceptible, à part une hausse des prix des véhicules soi-disant assemblés par rapport à ceux qui étaient importés, et même ceux vendus dans leurs pays d’origine, avec une qualité supérieure.
Le paradoxe
La voiture « présumée produite en Algérie » coûte plus chère que dans les pays de provenance. A titre d’exemple : la Renault Symbol « made in Algeria » coûte environ 200.000 dinars (1.600 euros) de plus que sa jumelle importée, la Dacia Logan. Le prix de la petite Hyundai i10 , assemblée en Algérie, commence à presque 2.000 euros plus cher qu’en France. Les importations de véhicules ont atteint un pic historique en 2012 (605.000 unités) avant de diminuer, notamment avec la mise en place du système de quotas. En 2016, uniquement 98.000 véhicules sont entrés en Algérie. Cette baisse des importations, non compensée par la production locale, a engendré une pénurie de voitures neuves dans un pays où la demande annuelle est évaluée à 400.000 unités. Ainsi, les prix des voitures neuves ont connu une hausse impressionnante de 40% entre 2014 et 2017”.
Le faux label « made in Algeria »
Le fiasco de l’industrie automobile en Algérie est principalement dû, selon les observateurs, au système adopté: le SKD (semi knocked down) qui consiste à importer le véhicule en kits pré-montés, simplement rivetés ou boulonnés sur place. “Le véhicule arrive semi ou complètement fini, donc il n’y a rien à assembler”, a déclaré au quotidien El-Watan, Mohamed Baïri, patron d’Ival, importateur d’Iveco. D’ailleurs, des images diffusées sur les réseaux sociaux avaient créé le scandale en Algérie: on y voyait arriver à l’usine Hyundai des voitures quasi complètes, sur lesquelles ne restaient à monter que les roues.
Une autre révélation, l’association roumaine des fabricants automobiles a précisé, dans ses statistiques rendues publiques récemment, que 8 000 véhicules de marque Dacia Sandero ont été exportés vers l’Algérie. L’information rapportée par le quotidien arabophone El-Bilad confirme ainsi que l’histoire du montage automobile «inaugurée» en grande pompe par la marque française Renault en Algérie n’est qu’une supercherie encouragée par les autorités publiques. Le quotidien Algérie patriotique a appris de sources concordantes que la marque au losange a tenté d’approcher certains médias pour tenter de berner l’opinion publique nationale, après ce scandale. (www.algeriepatriotique.com/2018/03/31/renault-medias-scandale) La rapidité avec laquelle s’est effectué le «transfert» de la très complexe technologie de fabrication automobile en Algérie montrait clairement qu’il y avait anguille sous roche. Les observateurs dénoncent surtout le très faible “taux d’intégration” (c’est à dire de pièces produites localement- de 15%), imposé aux industriels.
Lobbys et barrons de l importation déguisée²
Les observateurs n’incombent pas les conséquences de cette hémorragie, uniquement aux décisions politiques du gouvernement. Ils l’expliquent aussi par la forte présence des lobbys, et hommes d affaires influents, et en veulent pour preuve la facilité avec laquelle ces « présumés » assembleurs qui ne sont en réalité que des importateurs de produit presque fini, ont réussi à se conformer aux textes de présélections, produits à leur mesure. Le feuilleton de la révision du cahier des charges, de qualification des pseudos opérateurs économiques, perdure. Un délai de plusieurs années est consenti pour enfin arriver a un semblant d’intégration. Bien qu’au rythme ou vont les choses, et devant les sommes astronomiques qu’ils vont spolier au trésor public durant ce délai, on se demande s’ils auront réellement besoin de continuer à travailler. Et ce sans parler des opportunités d’exportation, à l’image de l’usine TMC/Hyundai, qui a reçu le feu vert de la maison mère, pour exporter ces véhicules vers 4 pays.
Avantages fiscaux, fonciers et crédits bancaires
Les concessionnaires, qui se sont lancés dans les projets de présumés montages d’automobiles, bénéficient d’avantages fiscaux et fonciers colossaux et de crédits bancaires importants. En plus, la cherté des véhicules présumés montés en Algérie, sans aucun taux d’intégration locale, mine le trésor public. Cette situation rocambolesque a eu même comme effet collatéral, une flambée des prix sur le marché automobile d’occasion. En 2017, les pertes du trésor public en matière des droits et taxes, dont les « faux » constructeurs automobiles (taux d intégrations moins de 15 %) ont été exonérés, s’élèvent à 80 Milliards de dinars ( 60 millions d euros). C’est dire à quel point cette supercherie est une hémorragie pour l’économie nationale.
Report de la mise en application de l’instruction du 14 décembre 2017
Le report de la mise en application de l’instruction du premier ministre relative au montage de véhicules, du 14 décembre 2017 dans laquelle, on cite une dizaine d’entreprises seulement agréées pour exercer l’activité d assemblage de véhicule alors que d’autres ont été écartées faute de qualification, soulève des interrogations, quant aux raisons qui ont poussé le premier ministre à une telle décision ( le report) . Ce report peut être vu sous deux angles ; soit comme une « faille » dans le système de prise de décision au niveau de l’exécutif ou plutôt des pressions qui peuvent provenir de milieux ayant des intérêts à protéger dans ce secteur?
La deuxième hypothèse qui semble la plus probable est celle des pressions des parties qui ont des intérêts dans ce secteur. Deux cas attirent l’attention : la société créée par le groupe Souakri en partenariat avec Renault Trucks. La création de cette joint-venture a même fait l’objet d’un accord signé à Alger le 10 avril 2016 au cours du 3e Forum de partenariat Algéro-français. Les deux partenaires déclaraient à l’époque que cette joint-venture « contribuera au développement d’un outil industriel compétitif permettant la production et la commercialisation de véhicules Renault Trucks et Volvo Trucks. L’entrée en vigueur de cet accord s’accompagne d’un transfert de technologie et d’un haut niveau de contenu local. La société, qui s’appuiera sur le savoir-faire, l’expérience et la technologie du groupe Volvo. Lorsqu’on connait le réseau d’influence dont dispose Abdenour Souakri, le patron du groupe, on peut comprendre aisément qu’il ne peut pas rester spectateur sans faire bouger son réseau pour « intégrer son projet » sur la liste. Le deuxième cas est celui de Global Group et son usine Gloviz/Kia, devant assembler 40 000 unités dès fin 2018, pour atteindre 100 000 unités après cinq années de mise en service. Son patron Hassen Larbaoui est connu pour ses relations avec l’ex-ministre de l’Industrie Abdeslem Bouchouareb.
Compagnes de boycott
Les clients algériens, dégoûtés par l’arnaque dont ils sont victimes, ont multiplié les campagnes, ces derniers temps, pour dénoncer les marges élevées engrangées par les marques installées en Algérie, mais aussi, la qualité douteuse de certains véhicules, qui constitueraient même une menace pour la sécurité publique vu le non-respect des normes en vigueur dans les pays occidentaux. Des compagnes de boycott ont été aussi lancées par les citoyens sur plusieurs réseaux sociaux
Karim Alibey