Mars 2018, le gouvernement chinois a lancé un plan de modernisation de ses médias par la création d’un mastodonte de l’information nationale appelé «Réseau central de radio et de télévision» et «Voix de la Chine (VOC) » servira à la communication extérieure.
Dans un pays où l’accès à Internet est limité, contrôlé, surveillé et sanctionné, apparait le tout dernier vecteur de propagande, déjà utilisé 76 ans auparavant par les Américains. Pâle copie ?
La tradition chinoise vénère la reproduction, conçue comme un hommage au Maître, une adoration envers les artistes. Dans cette logique, d’aucun ne pourrait lire dans le projet chinois une référence au modèle « Voice of America » de 1942. Pour autant, dans un contexte de violente guerre commerciale entre ces deux puissances, et étant donné la place de la Russie dans l’échiquier géopolitique mondial actuel, on pourrait raisonnablement penser à un rapprochement Chine – Russie contre États-Unis.
Les retombées de la confrontation informationnelle entre les Etats-Unis et la Russie
L’objectif affiché de Voice of China (VOC) est de « propager les théories, les orientations, les principes et les politiques du parti» et de «raconter de bonnes histoires chinoises», selon le document publié par l’agence de presse, Xinhua et a une vocation internationale. VOC est née de la fusion de trois grands réseaux nationaux gérés par l’État : China Central Television (CCTV), Radio Chine Nationale et Radio Chine Internationale.
La société emploiera près de 14,000 employés et dépendra Conseil des affaires d’Etat, pouvoir exécutif du gouvernement et supervisée par le Département de la Propagande.
Pour le Parti Communiste Chinois (PCC) , il s’agit de «renforcer le leadership du parti dans tous les domaines et améliorer la structure de l’organisation du Parti», notamment dans les médias. Le gouvernement a confirmé que toutes les institutions et entreprises de l’industrie cinématographique et de la presse seront placées sous la direction du département central de la publicité du comité central du PCC.
Cette annonce intervient quelques semaines après la réélection de Xi Jinping au plein pouvoir et sa nomination de président à vie le 11 mars 2018. M.Xi avait déjà exprimé son intention de créer un seul media chinois fin 2016 :
“In a congratulatory message to launch of CGTN on Dec. 31, 2016, Chinese President Xi Jinping said, “The world today is an open world, and today China is an open China. The relationship between China and the world is undergoing historic changes. China needs a better understanding of the world and the world needs a better understanding of China.”
Ce projet revient sur le devant de la scène alors que de sévères tensions commerciales sévissent entre Washington et Pékin.
États-Unis vs Chine, changement de paradigme.
La référence au « Voice of America » de 1942, est évidente.
Dans un contexte de violent affrontement commercial, il serait raisonnable de penser que la Chine a voulu renforcer sa position de leader face aux États-Unis. Si l’ambition affichée de devenir la nation la plus influente et promulguant la paix à travers le monde est partagée, en revanche, les objectifs cachés et leviers associés, eux, sont sans doute légèrement divergents.
Le rapport de force s’inverse. Après une période incontestée de domination des États-Unis dans un contexte post guerre froide, depuis plusieurs années, l’Empire du Milieu a lui, pris de plus en plus de poids dans l’échiquier mondial.
Depuis 2014, la Chine est reconnue Première Puissance Économique mondiale selon le Fond Monétaire International (FMI).
Cette inversion du rapport du faible au fort entre États-Unis et Chine est clef dans la compréhension de la stratégie informationnelle chinoise. Il convient alors de comprendre comment la Chine a connu la croissance et les alliances géopolitiques qui lui ont permis de trouver sa place.
Le chemin d’une alliance sino-russe
La Russie a un rôle très particulier dans le développement de la Chine. Pourtant, la relation n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Dans les années 50, les deux nations se sont significativement rapprochées avec la prise de pouvoir du Parti Communiste et de nombreux accords de coopération sur le plan technique, humain et technologique (d’après Peter Layton, Fellow au Griffith Asia Institute, interrogé par CNN), dans le contexte de guerre froide, chacun a pris ses distances, porté par la crainte d’une attaque de leur voisin nord-coréen.
La dernière décennie a vu un vrai renouveau des relations des deux géants, notamment alimenté par un vrai rapprochement militaire affiché au Sommet de Moscou en Juillet 2017. La Chine avait d’ailleurs déclaré à l’occasion que les « Relations entre Chine et Russie n’ont jamais été aussi bonnes ».
Plus globalement, depuis sa nomination, M. Xi a rencontré plus d’une vingtaine de fois son homologue russe et a signé en 2014 un accord pour devenir le premier géant mondial en approvisionnement en gaz naturel. Ce contrat, estimé à 400 milliards de dollars a été signé pour 30 ans et les échanges commerciaux explosent.
Depuis, les relations sino-russes se portent au beau fixe. M. Xi et M. Poutine partagent beaucoup, et ne s’en cachent pas.
Le 4 avril dernier, M. Wang Yi, Ministre des affaires étrangères chinois a déclaré :
“The Chinese side has come (to Moscow) to show Americans the close ties between the armed forces of China and Russia … we’ve come to support you”.
Leaders politiques charismatiques, la relation entre les deux hommes fait couler beaucoup d’encre. Le 3 mars 2018, Le Monde titre même son article: Xi Jinping monte en puissance et « se poutinise ». Un rapprochement évident de deux superpuissances.
« Voice Of China », une arme informationnelle en faveur d’un « Grand Est » sino-russe.
Selon le principe philosophique du rasoir d’Ockham, la corrélation du sujet VOC à celui de Russia Today (RT) et des médias russes semble évidente.
Les médias chinois poussent des messages positifs de Poutine, comme en témoigne la campagne de la chaine YouTube China TV en 2015 « Putin is Nice », « Welcome Uncle Putin ».
Pour information, nulle présence de la Russie n’est à constater sur le site VOC là où figurent les onglets de recherche tels que « Asie Pacifique », « Malaisie », « Amériques », « Europe », « Moyen Orient » et « Afrique ».
Radio Free Asia, financée par le Congrès des États-Unis, accuse Pékin d’une tentative de « couver encore davantage la dissidence » dans le débat public. Elle accuse la Chine de copier RT en créant un média étatique unique financé par le gouvernement dans un but de propagande.
La Chine de M. Xi veut renforcer sa position prépondérante dans l’échiquier mondial. Pour cela, la propagande via un seul et unique media mainstream est un levier d’influence incontestable.
La synergie sino-russe nous ramène au principe du Tao, le Ying et le Yang : d’un côté le pouvoir financier chinois et de l’autre, la puissance militaire de la Russie. La Syrie en est le parfait exemple. Comme le précise Sputnik, l’intervention chinoise est avant diplomatique et économique. La guerre froide n’a jamais cessé, opposant toujours Bloc de l’Ouest et Bloc de l’Est élargi.
Mathilde Perdaems / INFOGUERRE / 08.05.2018