La mondialisation du droit
Par : Pr. Ammar Belhimer, Ministre de la communication, porte parole du gouvernement (Algérie)
Cette contribution se propose de passer en revue :
– les grandes mutations constitutionnelles à vocation internationale (I) ;
– les nouveaux enjeux qui se profilent avec l’avènement de nouveaux acteurs, à côté des sujets traditionnels de droit (II) ;
– et, enfin les incidences qui découlent de ces mutations, en termes de déconstruction de l’ordre kelsénien, pour l’avènement d’une mondialisation du droit (III).
I – Nature et étendue des mutations constitutionnelles à vocation internationale
Ces évolutions sont particulièrement marquées d’un point de vue normatif (A) et dans le mode de règlement des différends (B).
A – Les mutations normatives
Elles indiquent, dans l’ordre international, la prééminence des facteurs externes sur les déterminants internes (1) et de la rationalité bureaucratique sur la légitimé démocratique dans l’ordre interne (2).
1 – Hiérarchie des conflits. Prééminence de la contradiction principale (opposant les entités étatiques) sur la contradiction fondamentale (opposant des intérêts sociaux).
Cette tendance date du tournant de la première guerre mondiale et de l’avènement du capital financier, de l’exportation de capitaux.
Elle est le signe de l’amorce d’une « gouvernance globale » et pour le juriste «l’une des manifestations de l’affaiblissement de la lecture traditionnelle du droit international, en tant que grille d’analyse pertinente » (Lucille Callejon-Sérini, p.4).
Elle résulte de « la déréglementation économique, amorcée par les Etats eux-mêmes, (qui) semble leur échapper très largement, si bien que la question d’une régulation des marchés financiers apparait comme un domaine dans lequel les Etats s’avoueraient (presque) eux-mêmes incompétents » (Lucille Callejon-Sérini, p.4).
C’est une tendance majeure qui consacre la suprématie du facteur externe sur le facteur interne : (cas du mouvement anticolonial et de l’apport déterminant du bloc de l’Est à son aboutissement).
La prééminence du facteur externe corrobore ce que Lucille Callejon-Sérini appelle « la globalisation juridique », aussi appelée «mondialisation du droit » qu’elle caractérise par deux « mouvements » concomitants : la « perméabilisation des systèmes juridiques » et l’«harmonisation des systèmes». (Lucille Callejon-Sérini, p.3).
Aussi, « la globalisation des sources du droit, particulièrement frappante dans le dialogue des juges à l’échelle planétaire, est une manifestation de la globalisation juridique. La mondialisation de la justice est particulièrement éclatante dans le domaine des droits de l’Homme, notamment dans le cadre de la motivation des décisions des juges » (Lucille Callejon-Sérini, p.3).
Ce faisant, les adaptations que l’ordre international impose aux ordres internes les met en effervescence permanente.
Dans le cas de l’Algérie on parlera de « constitutionnalisme de crise » et d’insécurité juridique.
Notre confrère Mohamed Boussoumah, professeur à la faculté de droit de l’Université d’ Alger, recense pas moins de huit Constitutions depuis l’accession à l’Independence, plus précisément quatre « Constitutions » formelles précédées chacune d’une Constitution matérielle ». Toutes ces Constitutions formelles sont « d’essence crisique, elles sont la conséquence directe de crise politique ou sociale ; ce sont des chartes de sorties de crise»; ce qui lui fait dire que « l’instabilité constitutionnelle a tendance à s’ériger en règle de gouvernance ».
Pour l’essentiel, « le cachet autoritaire du processus d’élaboration de la Constitution prédétermine la nature peu démocratique du système politique fondé sur le présidentialisme absolu (c’est l’auteur qui le souligne en italiques- ndlr) ». Néanmoins tout n’est pas complémentent blanc ou noir, sous le ciel d’Algérie : « La constitution de 1996 comme celle de 1989 renferment les ingrédients indispensables à l’instauration gouvernement démocratique et de liberté politique. Sans être exhaustif, on citera pêle-mêle la séparation des pouvoirs, la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués, le gouvernement représentatif, le contrôle juridictionnel de constitutionalité des lois, etc….. Malheureusement, la présence de ces ingrédients « ne servit pas de levain et de levier à l’instauration de la démocratie » (Mohamed Boussoumah, L’opération constituante de 1996).
2 – Dans l’ordre interne, prévalence de la norme réglementaire (elle consacre une rationalité bureaucratique) sur la norme législative (issue de la légitimé des suffrages).
Revenant sur les sources du droit en Algérie, Cherif Bennadji met l’accent sur le rôle de la circulaire « pré-formelle » comme mode de production privilégié de ce droit, des origines à nos jours (Cherif Bennadji, 2013).
Concernant les origines, il conteste la thèse qui fait encore école, alors qu’elle ne lui parait pas pertinente, et qui fixe comme point de départ de l’ordre juridique national la loi n°62-157 du 31 décembre 1962 tendant à la reconduction jusqu’à nouvel ordre (de fait, jusqu’en 1975) de la législation en vigueur au du 31 décembre 1962.
Pour tous les historiens du droit, cette loi a servi de socle à l’ordre juridique de l’Algérie indépendante de 1963 au 5 juillet 1975, date de son abrogation par l’ordonnance n° 73-29 du 5 juillet 1973 – faisant de cette abrogation « une nécessité absolue » et « un devoir impérieux et sacré »
En réalité, le fondement premier de la reconduction de l’ordre juridique français en Algérie n’est pas la loi 62-157 du 31 décembre 1962, mais une instruction du président de l’Exécutif provisoire, daté du 13 juillet 1962 et «superbement ignorée» jusqu’à nos jours. Voilà qui doit avoir pour «effet immédiat de faire descendre la célèbre loi du 31 décembre 1962 de son piédestal» et de la rabaisser à un simple « prolongement » de ladite circulaire.
Personne ne s’en offusque tant est prégnant le mépris général du droit dans une construction qui est loin de s’embarrasser de notre formalisme.
En effet, aucun autre auteur que Mohamed Boussoumah ne fixe cette instruction comme matrice de «l’esprit des lois» dans notre pays. Il le fait dans un ouvrage récent, «L’établissement public», avec le commentaire suivant : «Dépourvu de légitimité populaire du fait de sa désignation par les deux signataires des accords (d’Evian, ndlr), l’Exécutif provisoire ne veut pas s’immiscer dans une question éminemment politique, touchant de surcroît à la souveraineté, en renvoyant son règlement à la prochaine ANC (Assemblée nationale constituante) et au gouvernement provisoire qu’elle désignera» (Mohamed Boussoumah, L’établissement public, 2012).
«Cette instruction du 13 juillet 1962 semble avoir été perçue par ses destinataires comme une injonction pour utiliser sans limites aucune le droit français en vigueur en Algérie à la date du 1er juillet 1962 », conclut M. Bennadji au terme d’un inventaire exhaustif qui permet de mesurer l’étendue et la profondeur de sa portée. Les historiens du droit font remonter à un arrêt du Conseil d’Etat français du 29 janvier 1954 la distinction qu’introduit la jurisprudence administrative entre les circulaires interprétatives (« postérieures » à la loi) et les circulaires réglementaires («antécédentes» à la loi).
La circulaire «pré-formelle» figure parmi les circulaires réglementaires, «antécédentes» à la loi, qui ont pour objet de combler un vide juridique, d’édicter du droit. Ses effets sur l’ordonnancement juridique sont alors énormes.
Chez nous, elle marque l’amorce d’un processus ininterrompu de violation du formalisme juridique, lui-même révélateur d’une lame de fond sur laquelle nous reviendrons plus loin.
Certes, l’article 4 du décret n°88-131 du 4 juillet 1988 organisant les rapports entre l’administration et les administrés, interdit les circulaires pré-formelles, mais rien n’y fait, ce procédé de production ou de fabrication du droit n’a jamais cessé de renaître de ses cendres à la faveur, notamment, de la mise en place de la fonction de médiateur administratif auprès de chaque wali en 1998, des modes de gestion des services publics et de leur privatisation en 1994, de l’organisation de l’enseignement de tamazight en 1995/1996.
Ahmed Ouyahia, plusieurs fois chef du gouvernement, en fera également un usage inconsidéré, se substituant à tous les organes Créateurs du droit : une première fois le 6 février 1996 lorsqu’il annonça dans un message à la nation sa décision de procéder à une retenue sur les salaires de tous les agents du secteur public pendant onze mois, avant de formaliser la retenue plus tard par deux circulaires n°7 du 6 février 1996 et n°14 du 21 mars 1996 -précédant de quatre mois la loi de finances complémentaire du 24 juin 1996 ; puis une seconde fois en 2008 lorsqu’il bouleversa de fond en comble «l’équilibre global du code et du régime juridique des investissements étrangers» par trois instructions dont le contenu ne sera repris que bien plus tard dans des dispositions de valeur législative, notamment sous forme de «cavaliers budgétaires» insérés dans la loi de finances. La circulaire pré-formelle a ainsi ouvert la voie à «un mode de régulation juridique quelque peu perverti eu égard à la place excessive qu’occupent les circulaires et autres instructions parmi les sources du droit».
Pour notre confrère Chérif Bennadji, la systématisation du recours à la circulaire pré-formelle comme mode privilégié de création du droit est, à juste titre, un «révélateur efficient de la nature de l’Etat en Algérie».
Cela est, par certains égards, l’expression d’un appareil administratif, au-dessus des autres pouvoirs, «qui se rapproche davantage de l’Etat de police que de l’Etat de droit ».
Le réflexe du mépris de la règle de droit, et son corollaire la sous estimation de la caution juridique, ont tendance à pousser les équipes du moment à prendre des raccourcis autoritaires qui peuvent créer des situations de rupture dommageable au crédit même de force qui, à défaut d’être dominantes s’imposent comme étant dirigeantes et despotiques.
Au-delà, « l’Etat administratif» qui s’exprime à travers ce mode privilégié de création du droit résulte d’une double déficience : l’absence de pouvoir législatif et de justice indépendante.
B- Les mutations vers « l’Etat universel et homogène »
Francis Fukuyama, philosophe, économiste et politologue américain, de l’Université John-Hopkins à Washington se propose de dessiner un «schéma d’évolution de toutes les sociétés humaines», une sorte d’Histoire universelle de l’Humanité dans le sens de la démocratie libérale (Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, 1992).
Fukuyama part de ce qui s’apparente à une conviction forte: le consensus «assez remarquable» récemment formé concernant la démocratie libérale comme système de gouvernement, après qu’elle eut triomphé de toutes les idéologies rivales et des dictatures mondiales, qu’il s’agisse de la monarchie héréditaire, du fascisme ou du communisme. Cette victoire marquerait la fin de l’’Histoire, avec un grand H, comme «processus simple et cohérent qui prend en compte l’expérience de tous les peuples en même temps ». A ses yeux, cette Histoire de l’humanité, «cohérente et orientée», finira par la plus grande partie de l’humanité vers la démocratie libérale qui correspond, en tous points, à «l’Etat universel et homogène» esquissé par Hegel.
L’Etat totalitaire paraissait éternel et d’une redoutable efficacité, mais au fur et à mesure que l’humanité approchait de la fin du millénaire, les crises jumelles de l’autoritarisme et du socialisme n’allaient laisser en lice qu’un seul combattant comme idéologie potentiellement universelle : la démocratie libérale, doctrine de la liberté individuelle et de la souveraineté populaire : « Deux cents ans après avoir animé les révolutions américaine et française, les principes de liberté et d’égalité ont prouvé non seulement qu’ils étaient durables, mais qu’ils pouvaient ressusciter ».
Rien ne résisterait à la déferlante libérale. Les progrès de l’industrialisation finissent par produire la démocratie libérale pour trois raisons : d’abord, un argument fonctionnel : « seule la démocratie serait capable de traiter l’ensemble complexe d’intérêts conflictuels qui sont engendrés par une économie moderne» ; ensuite, la tendance des dictatures ou des régimes à parti unique «à dégénérer avec le temps, et à dégénérer plus rapidement lorsqu’ils ont à diriger une société technologiquement avancée»; et, enfin, parce que la réussite de l’industrialisation produit des sociétés à fortes classes moyennes qui exigent «la participation politique et l’égalité des droits».
L’Histoire universelle tracée par Fukuyama est un processus de changements « à la fois orientés et universels » qui a pour puissant régulateur ou mécanisme d’orientation et de cohérence la physique moderne. Celle-ci détermine l’Histoire par un premier biais : les rivalités militaires, à cause de l’omniprésence de la guerre et des conflits dans le système international. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces rivalités constituent une grande force d’unification pour les nations. Elles les contraignent à accepter la civilisation technicienne moderne et les structures sociales qui la sous-tendent. Un second biais permet à la science physique moderne de régler la direction de l’Histoire : le développement économique, «en établissant un horizon des possibilités de production constamment changeant». Des changements, constants et à grande échelle, sont régulièrement requis par les exigences de l’organisation rationnelle du travail. Une rationalisation calculée en fonction des principes de l’efficacité économique.
La «logique des sciences physiques modernes» à la différence de la lutte des classes incarnée par l’école marxiste – conduirait au capitalisme plutôt qu’au socialisme comme résultat final. C’est là que le concept de progrès comme acquisition cumulative et infinie de connaissance trouverait ses origines.
Pour l’essentiel, «le développement de la modernisation économique induite par la technologie détermine de fortes incitations à accepter les termes fondamentaux d’une culture capitaliste universelle, en autorisant un vaste secteur de compétition économique et en laissant les prix se fixer librement en fonction du marché. Aucun autre chemin ne s’est révélé viable à ce jour pour atteindre la pleine modernité économique».
Quel cheminement empruntera le processus projeté par Fukuyama ?
Au moins jusqu’en 2025, les Etats-Unis et le dollar resteront les meilleurs refuges économiques, financiers et politiques, avec Los Angeles comme centre technologique et culturel, Washington comme capitale politique et New York comme métropole financière. D’ici 2035 prendra fin la domination de l’empire américain.
Ces prédictions sont de Jacques Attali (Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, 2006).
La mondialisation des marchés et la puissance des entreprises, en particulier celles des compagnies d’assurances et des industries de la distraction, viendront à bout de la puissance américaine pour lui substituer un monde polycentrique fait de juxtaposition de démocraties de marchés.
«La mise en place d’élections libres ne suffira évidemment pas à instaurer durablement ces démocraties de marchés : les exemples irakien, algérien ou ivoirien démontrent que des élections, même libres, si elles ne sont pas accompagnées de la mise en place d’institutions stables, économiques et politiques, et s’il n’existe pas un véritable désir des citoyens de vivre ensemble, peuvent au contraire faire reculer la démocratie. Il faudra que, progressivement, ces pays, comme l’ont fait tous les autres avant eux, se dotent de constitutions laïques, de parlements, de partis politiques, de systèmes juridiques et policiers respectant les droits de l’homme, d’une véritable pluralité de l’information.» Entre 2025 et 2035, avec l’effacement de sa neuvième forme (Los Angeles), l’ordre marchand sera polycentrique, sans maître, consistant en une juxtaposition d’un nombre croissant de démocraties de marchés vaguement coordonnées par quelques relatives puissances dominantes.
Vers 2050, le marché, par nature sans frontières, l’emportera sur la démocratie. S’ensuivra une succession, ou une imbrication, de trois vagues – dont deux a priori mortelles (hyperempire et hyperconflit), puis une troisième a priori impossible (hyperdémocratie).
Première vague de l’avenir : l’hyperempire.
Elle commencera, vers 2050, par déconstruire les services publics, puis la démocratie, puis les Etats et les nations mêmes.
L’éducation, la santé, l’environnement, la souveraineté, sortiront des domaines des services publics pour offrir de nouvelles sources de rentabilité aux marchés. Le contrat l’emportera de plus en plus sur la loi, les mercenaires sur les armées et les polices, les arbitres sur les juges. En somme, un marché sans Etat.
Des objets nouveaux, les auto-surveilleurs, verront le jour pour assurer ces fonctions de l’Etat suivant un processus qui se déclinera en deux étapes: l’hypersurveillance et l’autosurveillance – avec une autoréparation.
Le premier accompagne les entreprises privées dans leur conquête des services publics d’éducation, de soins, de sécurité, puis de justice et de souveraineté. Un peu plus tard, vers 2050, le marché ne se contentera pas d’organiser la surveillance à distance : des objets industriels produits en série permettront à chacun, entreprise ou personne privée, d’auto-surveiller sa propre conformité aux normes. Le nouveau scénario qui se met en place est dans le droit-fil de l’Histoire : un marché sans démocratie.
Le marché, par nature planétaire, finira par transgresser les lois de la démocratie, par nature locale. Le nouveau capitalisme a deux béquilles : les compagnies d’assurances et les industries de la distraction.
Les compagnies d’assurances (et les institutions de couverture de risques des marchés financiers) deviendront les premières industries de la planète par leurs chiffres d’affaires et par les profits qu’elles réaliseront.
Les industries de la distraction (tourisme, cinéma, télévision, musique, sports, spectacles vivants, jeux et espaces coopératifs) seront tout aussi importantes par le temps qu’occupera la consommation de leurs produits et de leurs services.
Déséquilibres extrêmes et grandes contradictions feront prendre l’hyperempire dans ses propres filets. Confronté à une coalition critique, il succombera à la colère «laïque et rationnellement fondée» des peuples.
La seconde vague qui succédera à l’hyperempire, celle de l’hyperconflit, aura raison de lui vers 2060, «au plus tôt», les deux premières vagues étant insoutenables, un rééquilibrage entre démocratie et marché à l’échelle du monde, installera aux commandes de nouvelles forces, altruistes et universalistes, déjà à l’œuvre aujourd’hui. Ces forces prendront le pouvoir mondialement, sous l’empire d’une nécessité écologique, éthique, économique, culturelle et politique. C’est l’hyperdémocratie. Cette évolution a néanmoins une trame, une matrice et une âme. Dans la très longue histoire de l’humanité, une même force est en marche : celle de la libération de l’homme vis-à-vis de toutes les contraintes. De siècle en siècle, l’humanité impose la primauté de la liberté individuelle sur toute autre valeur. Elle le fait suivant des constantes, un continuum d’enseignements pour l’avenir que l’auteur insère à intervalles réguliers dans ses démonstrations. Deux d’entre eux méritent d’être méditées:
– Une doctrine religieuse – si influente soit-elle -ne réussit pas à ralentir la marche de la liberté individuelle,
– Aucun empire, même s’il paraît éternel, ne peut durer à l’infini.
II – Nouveaux enjeux, nouveaux acteurs, nouveaux sujets
A – Des Etats de plus en plus fragiles
On a commencé à parler d’Etats faillis, on parle aujourd’hui, plus sobrement, d’Etats fragiles.
La notion d’État en déliquescence, État défaillant, État failli, État déstructuré ou État en échec (Failed State en anglais) est proposée par le Fund for Peace qui a construit un indicateur composé de 12 variables 2 pour tenter de caractériser un État qui ne parviendrait pas à assurer ses missions essentielles, particulièrement le respect de l’état de droit.
« Qu’est-ce qu’un État fragile ? », s’interrogent Anne-Lise Klausen et Ella Humphry, sur le site de la Banque mondiale (Anne-Lise Klausen et Ella Humphry, « Qu’est-ce qu’un État fragile ? », 2015).
« Chaque État a sa propre façon d’être fragile », avertissent-elles en se basant sur les travaux de la même institution (la Banque mondiale), plus particulièrement sur ceux de Michael Woolcock professeur à la Harvard Kennedy School, auteur d’une formidable enquête sur la question qui date de juillet 2014 (Michael Woolcock »Engaging with Fragile and Conflict Affected States », 2014).
Pour Michael Woolcock les Etats les plus fragiles sont ceux- là mêmes qui sont confrontés à des conflits qui, au-delà des considérations éthiques ou géostratégiques, soulèvent deux questions épineuses :
« Tout d’abord, sur quelle base défendable un pays donné, à un moment historique donné, est réputé être (ou ne pas être) «fragile»? Deuxièmement, si une caractéristique déterminante de la fragilité des États est leur faible capacité à assumer des responsabilités de base, comment les institutions internationales peuvent elles mieux assister les organismes publics nationaux pour acquérir cette capacité? »
L’OCDE qui publie chaque année depuis 2005 un rapport sur les États fragiles afin de suivre les apports d’aide à un ensemble de pays considérés comme les plus fragiles du monde nous livre cette année un rapport novateur qui « dessine une vision globale de la fragilité qui dépasse les seuls États fragiles et en conflit ».
Le changement de titre (Rapport sur les États de fragilité au lieu de Rapport sur les États fragiles) illustre bien cette évolution, sans se départir de la retenue habituelle puisqu’il se veut une simple contribution « au débat plus large pour définir et mettre en œuvre les objectifs de développement durable post-2015 (ODD). Il souligne que la lutte contre la fragilité dans le nouveau cadre sera cruciale et des progrès dans la réduction de la pauvreté doivent être faits.
Il plaide en faveur de la proposition de promotion de sociétés pacifiques et inclusives qui visent à réduire la violence de toutes ses formes ».
La fragilité est évaluée « comme une question de caractère universel qui peut affecter tous les pays, pas seulement ceux qui sont traditionnellement considérés comme «fragiles» ou touchés par un conflit.
Cinq indicateurs sont privilégiés :
-la réduction de toutes les formes de violence ;
– l’accès à la justice et la promotion de la place du droit ;
– des institutions responsables et inclusives qui rendent des comptes et fonctionnent de façon transparente, avec comme axe d’effort appuyé la lutte contre le crime organisé et les flux illicites de capitaux ;
– des fondations économiques (bâties sur l’inclusion économique et la stabilité, avec une attention particulière pour la lutte contre le chômage des jeunes) ;
– et des capacités pour prévenir et réduire la vulnérabilité aux chocs et aux catastrophes qui entravent le développement social, économique et environnemental (résilience).
En mettant l’accent sur les cinq paramètres ci-dessus recensés, l’OCDE entend servir un objectif fondateur : « En nous appuyant sur les faits et l’expérience concrète, nous recommandons des politiques dont le but est d’améliorer la vie de tous (. ..) Tous nos travaux ont pour point commun un engagement partagé en faveur du développement durable, de l’emploi et des échanges, reposant sur la coopération internationale et visant le bien-être de tous. Chemin faisant, nous nous efforçons aussi de rendre la vie plus dure aux terroristes, aux fraudeurs fiscaux, aux entrepreneurs véreux et à tous ceux qui sapent les fondements d’une société juste et ouverte.» (OECD, States of Fragility 2015).
La fragilité des affectes l’Etat moderne ne permet pas de penser le droit international contemporain à l’aune du paradigme de la souveraineté absolue. Cela conforte un des piliers du cosmopolitisme juridique qui repose sur « l’idée que cette mutation du droit international classique n’a plus vocation à appréhender l’Etat comme l’alpha et l’oméga de l’ordre juridique international. Le recentrage est opéré autour de l’individu, ce qui engage inévitablement une nouvelle réflexion sur la place des droits de l’Homme (Lucille CALLEJON-SERENI, 12).
B – Des acteurs de plus en plus influents
On peut déduire de ce qui précède que, comme l’écrit Lucille Callejon Sereni, « les évolutions du droit international tendent à démontrer que l’Etat ne détient plus la maîtrise absolue des normes internationales (Lucille CALLEJON-SERENI, 3).
Ici encore « ce n’est pas l’Etat, en tant que sujet originaire du droit international, qui est remis en cause, mais bien sa souveraineté en tant que compétence absolue et générale (Lucille Callejon Sereni, 4)
De nouvelles entités vont suppléer les bulles résultant de ces remises en cause. «Ces entités, qu’il s’agisse d’ONG ou de firmes internationale peuvent être qualifiée de sujets dérivés du droit international.
Sur la distinction acteurs/sujets dans l’ordre juridique international, et le possible dépassement de celle-ci, on lira avec intérêt Pierre-Marie DUPUY « Sur les rapports entre sujets et « acteurs » en droit international contemporain » 2003 et son Cours général de Droit international public», 2002).
– Les institutions financière et bancaires :
Lloyd Blankfein, le P-dg de Goldman Sachs, qui règne sur la finance mondiale dans le plus grand secret, a raison de dire : « Je ne suis qu’un banquier qui fait le travail de Dieu».
Goldman Sachs est le grand gagnant de la crise financière de 2008 qui a accentué un peu plus les tendances monopolistiques du système. De nos jours, le nouvel état-major de l’impérialisme mondial est réduit à quelques aïds comme Goldman Sachs, JP Morgan, Barclays, Crédit Suisse et Deutsche Bank.
Le nouvel oligopole nourri par les recapitalisations publiques -opérées au prix d’un alourdissement des dettes des Etats -, la liquidation de centaines de grosses banques concurrentes, la mise en faillite de larges secteurs industriels et la ruine de nombreux autres spéculateurs et gros épargnants, un tel oligopole est le produit le plus élaboré de l’abolition du Glass-Steagall Act en 1999 et de la déréglementation totale des places financières qui l’a précédé depuis le milieu des années 1980.
Héritée des années 1930, cette législation opérait une séparation hermétique entre les banques commerciales ordinaires et les établissements d’investissement (selon la terminologie anglo-saxonne) ou banques d’affaires (selon l’expression européenne).
Selon Marc Roche, journaliste financier français du quotidien Le Monde, en poste successivement à New York, Bruxelles, Washington et Londres, «Goldman est partout : la faillite de la banque Lehman Brothers, la crise grecque, la chute de 1’euro, la résistance de la finance à toute régulation, le financement des déficits et même la marée noire du golfe du Mexique» (Marc Roche, LA banque : comment Goldman Sachs dirige le monde, 2010).
Banque d’affaires, Goldman est sur tous les fronts avec un appétit insatiable : la vente de titres obligataires émis par les multinationales la maîtrise des privatisations comme des fusions-acquisitions, la gestion d’actifs, le marché des actions, la banque-conseil, le trading d’obligations et de matières premières, etc. Goldman Sachs -le saint des saints de la finance internationale -est sur tous les fronts. En 1999, il est aux côtés du gouvernement grec qui le rémunère grassement en qualité de banque d’affaires chargée d’«optimiser la gestion » de ses comptes – de fait maquiller ses bilans et dissimuler l’ampleur de ses déficits -afin de pouvoir adhérer à la monnaie unique (l’euro) conformément aux critères édictés par le Traité de Maastricht (dette inférieure à 60 % du PIB et déficit budgétaire sous les 3 %). Dans l’affaire, c’en est vraiment une, Goldman Sachs aura servi de «passeur» à un passager clandestin de l’union monétaire européenne.
L’arrogance de Goldman Sachs se comprend : elle sait sur qui compter pour avoir méthodiquement placé ses hommes aux postes-clés des gouvernements. Il place à Washington, le secrétaire au Trésor de George W. Bush, Hank Paulson, qui était l’ancien P-DG de Goldman ainsi que d’anciens de ses dirigeants qui entouraient Tim Geithner … le secrétaire au Trésor d’Obama. L’Europe n’échappe pas à ses filets : sont passés par elle certains anciens commissaires européens (Mario Monti, Peter Sutherland), un ancien de la Bundesbank (Otmar Issing) et Mario Draghi, gouverneur de la Banque centrale italienne et patron du Conseil de stabilité financière chargé de coordonner les efforts mondiaux de régulation. Le monde est entre de bonnes mains.
– Les sociétés multinationales
Au début des années 1980, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), on comptait : 7 000 multinationales. En 2002 elles étaient 64 000 contrôlant 870 000 filiales employant 54 millions de personnes et représentant 70 % des flux commerciaux mondiaux.
De même, les IDE, investissement- directs à l’étranger sont passés de 1 600 milliards de dollars en 1990 à 6 600 milliards en 2001.
Certaines firmes sont désormais considérées comme étant comparables à des États. Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), en 1999, financièrement, la société américaine Ford équivalait à la Norvège, et les japonaises Mitsui et Mitsubishi respectivement à l’Arabie saoudite et à la Pologne. A cette époque, sur les 100 premiers acteurs économiques mondiaux, 55 étaient des multinationales.
Les multinationales jouissent d’un poids très important comparées aux États dans certains domaines. Ainsi, en 2000, 208 milliards USD ont été employés vers les pays en développement par ces entreprises contre seulement 53 par les États.
- Les ONG,
L’article 71 du chapitre 10 de la Charte des Nations unies qui donne un rôle consultatif à des organisations qui ne sont ni les gouvernements ni les États membres.
La définition de l’ « ONG internationale » (OING) est donnée dans la résolution 288 (X) de l’ECOSOC le 27 février 1950 : elle est définie comme « toute organisation internationale qui n’est pas fondée par un traité international ».
En l’absence de critères objectifs de la nature d’une ONG, la plupart des organisations intergouvernementales internationales (ONU, Union européenne, etc.) ont dressé une liste des ONG qu’elles reconnaissent comme des interlocuteurs valables. L’entrée, et éventuellement la sortie, d’une organisation de ces listes est soumise à un processus complexe. Le Conseil économique et social (ECOSOC) à l’ONU possède un comité permanent, le comité chargé des ONG qui est chargé de valider le statut des ONG en vue de leur collaboration avec cette instance. Le statut consultatif est divisé en plusieurs catégories : générale, spéciale et roster.
Actuellement, 2 727 ONG ont le statut consultatif dit ECOSOC et 400 sont accréditées auprès de la Commission du développement durable.
- L’opinion publique
L’opinion publique dans les États-membres de l’Union européenne est suivie régulièrement par la Commission européenne depuis 1973. Ce suivi constitue une aide à la préparation du travail de la Commission.
– Les individus
En 1999, Kofi Arman exprimait très clairement qu’à côté de la souveraineté des Etats s’érigeait désormais la souveraineté des individus. Hors du cadre des droits de l’Homme.
II- La déconstruction de l’ordre kelsénien ?
Il s’opère ainsi une déconstruction de l’ordre juridique sacré, sous l’impulsion du cosmopolitisme juridique.
Y participent aussi bien la résurrection de Grotius que celle des Stoïciens et de la pensée kantienne.
Ce sont les Stoïciens, au IIIème siècle avant J-C qui sont à l’origine de la philosophie cosmopolitique.
Il s’agit de penser le monde comme formant une unité, une communauté englobant l’ensemble des êtres humains.
La notion d’étranger n’existe pas, puisque chaque homme, en tant que citoyen du monde fait partie d’une même communauté : l’humanité (Lucille CALLEJON SERENI, 6-7).
Hugo Grotius participe aussi du cosmopolitisme juridique car il était, dès le début du XVIIe siècle, « convaincu (…) de l’existence d’un droit commun à tous les peuples ».
La Seconde scolastique a posé les premiers jalons de cette perspective de l’unité du genre humain.
Leur actualité est aujourd’hui largement appuyée, au-delà du lien indéfectible de leurs perspectives avec le Christianisme : « Le droit naturel est une règle qui nous suggère la droite raison, qui nous fait connaître qu’une action, suivant qu’elle est ou non conforme à la nature raisonnable, est entachée de difformité morale ou qu’elle est moralement nécessaire et que, conséquemment, Dieu, l’auteur de la nature, l’interdit ou l’ordonne » (Hugo GROTIUS).
L’approche de l’unité de l’ordre international par la conscience de l’unité du genre humain connaît un développement conséquent dans les écrits contemporains » (Lucille CALLEJON-SERENI).
Enfin, les juristes revendiquant une lecture constitutionnaliste du droit international – et plus généralement de la société internationale quasi-systématiquement la pensée kantienne comme source de réflexion (Lucille CALLEJON-SERENI, 6).
« La pensée cosmopolitique qui nous intéresse plus particulièrement – car elle possède une portée normative – est celle du philosophe des Lumières Emmanuel Kant.
Sa perspective cosmopolitique permet en effet de construire projet politique de paix perpétuelle, qui ne s’accompagne absolument pas de la création d’un Etat mondial supprimant les entités étatiques, mais bien d’une Fédération d’Etats libres.
Les droits de l’Homme correspondent ainsi au projet politique kantien d’une Constitution cosmopolitique, puisqu’ils amorcent ce mouvement de relativisation d’une souveraineté absolue » ( Lucille CALLEJON-SERENI, 43).
A – L’avènement de l’Etat-Europe
Les différents éléments qui ont permis de créer les conditions de possibilité du constitutionnalisme international partent de la possibilité désormais acquis penser le constitutionnalisme au-delà de la figure étatique.
Cela suppose tout d’abord de rationaliser le lien entre « Etat » et « Constitution ». Cette rationalisation s’opère par la relativisation de leur association. En effet, alors que l’approche classique considère la Constitution n tant que norme de l’Etat-et de lui seul-1’étude retient une perspective ancrée la philosophie des Lumières, dont nous retrouvons une bonne expression dans l’article XVI de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
En d’autres termes, « selon l’article 16 de cette Déclaration, l’objet de la constitution n’est pas l’État mais la société (…). « Toute société », donc, et on pas « tout État !».
Ce recadrage permet de penser la Constitution au-delà de l’Etat, comme l’atteste le constitutionnalisme régional européen, alors que de l’autre côté de l’Atlantique, la dissociation du lien entre « Etat » et « Constitution » s’opère également.
«Qu’il s’agisse de l’Union européenne ou du droit de la Convention européenne des droits de l’Homme, ce sont à la fois les juges, puis les membres de la doctrine qui ont pris acte de la constitutionnalisation de ces deux ordres juridiques. À cet égard, force est de constater le lien
évident entre l’introduction d’une garantie efficace des droits de l’Homme d’une part, et d’autre part la constitutionnalisation d’un ordre juridique (Lucille CALLEJON-SERENI, 19)
La Cour européenne a très tôt qualifié la Convention d’« instrument constitutionnel de l’ordre public Européen »
C’est « l’introduction de la protection des droits fondamentaux (qui) a permis de constitutionnaliser le droit de l’Union européenne (Lucille CALLEJON-SERINI, 20),
La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal) posait cependant le principe de la primauté des normes communautaires, originelles ou dérivées, sur toutes les normes de droit interne, donc même les constitutions nationales.
Les principales dispositions de cet arrêt opposant l’Administration des finances de l’État italien à la Société anonyme Simmenthal :
« L’applicabilité directe du droit communautaire signifie que ses règles doivent déployer la plénitude de leurs effets, d’une manière uniforme dans tous les états membres, à partir de leur entrée en vigueur et pendant toute la durée de leur validité. Les dispositions directement applicables sont une source immédiate de droits et d’obligations pour tous ceux qu’elles concernent, qu’il s’agisse des Etats membres ou de particuliers ; cet effet concerne également tout juge qui a, en tant qu’organe d’un Etat membre, pour mission de protéger les droits conférés aux particuliers par le droit communautaire ».
« En vertu du principe de la primauté du droit communautaire, les dispositions du traite et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des Etats membres, non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante, mais encore – en tant que ces dispositions et actes font partie intégrante, avec rang de priorité, de l’ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des Etats membres – d’empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes communautaires.
« Le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, à l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée de sa propre autorité, toute disposition contraire de législation nationale,
même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel.»
B – La mondialisation du droit
Parallèlement aux droits de l’Homme, moteur d’une interaction des ordres juridiques, il se dessine à grands traits l’ébauche d’un constitutionalisme économique mu par la dérégulation économique.
1 – Les droits de l’Homme
La « construction du nouveau jus gentium du XXIème siècle, ou droit universel de l’humanité » est déterminée par le fait que « le développement du droit international public dans la deuxième moitié du XXe siècle a fait preuve d’une évolution remarquable en passant d’un simple système de régulation à un système qui tient compte de l’individu ». Désormais, la nécessité de lire le droit international à l’aune du paradigme de l’humanité est présentée comme inéluctable (Antonio A. CANCADO TRINDADE, 358).
Le paradigme de la souveraineté ne permet plus d’expliquer les évolutions du droit international positif. Il englobe désormais la protection de l’individu et des peuples, englobés dans le terme générique d’«humanité ». Ici, on s’appuiera particulièrement sur le consensus global relatif à la prohibition de la torture.
Aux côtés du paradigme de la «Société des Etats Souverains », s’érige celui de la « Société humaine universelle ».
Ainsi s’opère la réorientation du droit international vers le statut de l’individu, en tant que sujet principal de l’ordre juridique universel.
Les droits de l’Homme représentent ainsi la clé de voûte du constitutionnalisme cosmopolitique pour deux raisons : parce qu’ils sont constitutionnels par nature et parce qu’ils influent sur la Constitution internationale elle-même.
Autrement dit, les droits de l’Homme ne sont pas uniquement l’objet du constitutionnalisme cosmopolitique ; ils en sont également la condition de possibilité.
2 – Le constitutionnalisme économique
Parallèlement aux droits de l’Homme, il se dessine à grands traits l’ébauche d’un constitutionalisme économique, à partir de conventions matérielles ou formelles.
Dans la tradition libérale, seule la liberté de commerce et d’industrie, la protection de la propriété privée et d’autres catégories juridiques sacrées du marché trouvaient place dans le texte de la loi fondamentale beaucoup centré sur l’ordonnancement de l’ordre démocratique fondamental et l’organisation des pouvoirs.
La démarche a prévalu pendant le long intervalle de contestation de la domination des théories keynésiennes, entamée par Milton Friedman (prix Nobel d’économie en 1976) et menée par Robert Lucas, et consistant principalement à éloigner l’Etat du fonctionnement de l’économie.
Les Etats régissent habituellement leurs rapports bilatéraux ou multilatéraux, relevant de la sphère économique, par la voie des traités qu’ils placent au-dessus de leurs constitutions et lois nationales. L’idée qui s’impose aujourd’hui est de «constitutionnaliser les règles du pacte de stabilité », le pacte étant introduit dans les constitutions nationales sous forme d’une « règle d’or » afin de rendre contraignantes les règles budgétaires communes (on parle d’union budgétaire), avec un pouvoir de sanction dévolu aux cours constitutionnelles.
a – Une convention matérielle : la dérégulation économique
Utilisée pour la première fois en 1989, l’expression « Consensus de Washington » recouvre la feuille de route de l’ordre néoconservateur triomphant et conquérant depuis l’arrivée de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher aux commandes. Adopté par les organisations financières internationales, y compris interétatiques, il régit leurs conditions d’assistance aux pays en difficulté en instaurant notamment un contrôle de performance établi sur une batterie de critères qui fondent le menu libéral : démantèlement du secteur public, privatisation des services publics, interdiction des subventions, flexibilité et précarisation de l’emploi, soumission aux lois du profit pour la satisfaction des besoins élémentaires (basic needs) en eau, éducation et santé. Qu’advient-il de ce «consensus» aujourd’hui ? John Williamson, l’auteur concept, un keynésien déclaré, revient sur les traces de son bébé pour étudier ce que les grands pays industrialisés lui réservent comme avenir (John Wïlliamson, 2009).
Il le fait pour réagir à l’idée émise par le Premier ministre britannique Gordon Brown que l’ancien « Consensus de Washington» serait déjà mort et enterré et qu’il est désormais remplacé par un nouveau consensus atteint à Londres, à la faveur du Sommet du G20 de Londres.
L’exercice auquel il se livre à nouveau consiste à comparer les dix commandements fondateurs du « Consensus de Washington » avec les nouvelles recommandations de Londres.
Le communiqué de Londres comporte, en effet, un engagement à travailler pour un «nouveau consensus mondial sur les principales réformes et les principes qui soutiendront une activité économique durable» (paragraphe 21).
John Williamson révèle qu’au-delà des déclarations d’intention et des saupoudrages à la crise rien de substantiel ne semble affecter l’ordre dominant des choses. Retour aux sources et rappel des dix mythes fondateurs du «Consensus de Washington:
- Discipline budgétaire. L’idée est que les gouvernements devraient éviter de financer des tensions inflationnistes et chercher à financer par des mécanismes dits de «taxation honnête» ce qu’ils dépensent.
- Réorientation des dépenses publiques. Un déficit excessif devrait être corrigé par une diminution des dépenses publiques ou une augmentation de la fiscalité. Les seules dépenses publiques censées couvrir des besoins utiles, sont celles destinées à la santé, l’éducation et l’infrastructure, par opposition (comme c’est souvent le cas) à la défense, la bureaucratie, ou la subvention de productions industrielles étatiques.
- Réforme fiscale. L’idée était d’améliorer les mesures d’incitation, sans aggravation de la répartition des revenus, avec une réduction des taux marginaux d’imposition et l’élargissement de l’assiette d’imposition fiscale.
- Libéralisation financière. La circulation des capitaux est libre.
- Taux de change compétitif.
- Libéralisation du commerce et abolition des subventions à l’exportation.
- Libéralisation des investissements directs étrangers (IDE), avec abolition des restrictions sur les entrées et les sorties d’IDE.
- Privatisation des industries d’Etat.
- Déréglementation (au sens de suppression des barrières douanières faires à l’entrée et à la sortie). Cette expression sera ultérieurement associée à celle de mondialisation.
1O. Droits de propriété.
Le « Consensus de Washington » portait initialement sur l’extension des droits de propriété au secteur informel. John Williamson a raison de rappeler que, même dans les années 1990, les participants au Sommet de Londres adhéraient tous au «Consensus de Washington», et que certains d’entre eux étaient même parties prenantes de ce même consensus.
En déclarant sans ambages au paragraphe 3 que «la prospérité est indivisible», les participants au Sommet de Londres réitèrent qu’ils n’ont pas l’intention de renoncer à la mondialisation de ces dernières décennies.
L’importance de maintenir un système commercial ouvert est par la suite soulignée dans les paragraphes 12, 22, 23 et 24. Le même graphe 3 mentionne les trois fondements d’une mondialisation «durable et de prospérité» : l’ouverture, l’adoption des lois du marché et, seul fait apparemment nouveau, « Une réglementation efficace».
S’agissant des questions majeures constitutives du «Consensus de Washingtom », à savoir la mondialisation, l’économie de marché et la discipline fiscale, le communiqué de Londres est considéré « plus comme un développement que comme une réfutation » du Consensus de Washington.
b- Les conventions formelles
l – La règle d’or
L’Allemagne et la France ont convenu d’inscrire la «règle d’or » dans les traités européens ; la règle sera «harmonisée » au niveau européen et applicable dans les mêmes termes dans chacun des dix-sept pays de la zone euro. Il s’agit d’une stricte «règle d’or», intégrée dans chaque dispositif législatif national. C’est à cette seule condition que Berlin a renoncé à faire jouer la cour de justice un rôle de gendarme institutionnel. Parce qu’elle a très tôt inscrit les restrictions budgétaires (un déficit inférieur à 3% du PIB) dans sa loi fondamentale, l’Allemagne n’était plus disposée à faire du fédéralisme, à venir en aide aux régions retardataires d’Europe sans autre forme que des prêts pour leur vendre ses produits, au risque de subir les foudres de guerre de sa Cour constitutionnelle.
Le point de départ de toute la création juridique actuelle est, rappelons le, le traité de Maastricht de 1992. Faute d’issue fédéraliste, le seul moyen de détourner les traités reste la monétarisation des dettes publiques, donc leur rachat par les banques centrales respectives, ce qui appelle à faire de la monnaie, ou encore d’emprunter le chemin de croix du Fonds monétaire international.
Les plans de rigueur qui accompagnent le dispositif comportent des mesures de coupes drastiques en matière de dépenses publiques, d’indemnités de chômage et de salaires couplées à une politique monétaire restrictive par peur de l’inflation.
La démarche s’inscrit dans la perspective tracée par Finn Kydland et Edward Prescott (Nobel 2004) préconisant d’imposer des règles aux hommes politiques pour éviter les mauvaises décisions (Finn Kydland et Edward Prescott, 1977). La thèse de Kydland et Prescott est très forte : elle consiste à dire que même dans les conditions les plus favorables, toute politique économique discrétionnaire est destinée à échouer. Les conditions les plus favorables sont les suivantes :
– il existe un objectif collectif, partagé par tous :
– les décideurs politiques connaissent le timing et l’ampleur des effets de leurs actions.
Le problème vient de ce qu’il n’existe pas de mécanisme permettant de faire en sorte que les futurs décideurs politiques prennent en considération l’effet de leurs décisions, par l’intermédiaire des anticipations, sur les décisions actuelles des agents. Dans ce cadre, il est plus sûr de recourir à des règles. Et, pour plus de sécurité, on peut inscrire ces règles dans la loi, voire dans la Constitution, pour qu’elles ne puissent pas être modifiées par chaque majorité politique, ainsi que l’indiquent Kydland et Prescott en conclusion.
Kydland et Prescott trouvent en Angela Merkel une disciple résolue à aller jusqu’au bout de cette logique. Après avoir fait de l’équilibre budgétaire une vertu constitutionnelle (elle est inscrite dans sa loi fondamentale), elle part à la chasse aux déficits chez les voisins dès le printemps 2010.
2- La protection de l’environnement
Aujourd’hui, 147 Etats (sur 193) inscrivent la protection de l’environnement dans leur constitution (David R. Boyd, 2012).
L’environnement auquel on aspire est:
– « meilleur »,
– « exempt de pollution »,
– « écologique, équilibré et sain »,
– « sain et agréable ».
Ces vertus sont mises au service :
– « de l’homme »,
– « de chacun »,
– « de tout le monde ».
On peut y voir la consécration juridique d’un effort doctrinal construit autour de la théorie des biens communs.
La Banque centrale de Suède a attribué pour la première fois à une femme le prix Nobel d’économie en 2009 à Elinor Ostrom (en compagnie de Oliver Williamson, les deux chercheurs ayant mené leurs travaux indépendamment l’un de l’autre).
Le véritable trait commun entre les deux économistes est d’avoir travaillé au-delà du marché. Elinor Ostrom a «donné des preuves des règles et des mécanismes d’application qui gouvernent l’exploitation de gisements de biens publics par des associations d’utilisateurs».
Olivier Williamson, lui, «a proposé une théorie pour clarifier pourquoi certaines transactions ont lieu au sein des entreprises et non sur les marchés».
L’histoire retiendra certainement davantage le nom d’Elinor Ostrom, cette femme de 76 ans qui, – elle, tient la chaire Arthur F. Bentley de sciences politiques à Indiana University, à Bloomington, a consacré ses travaux gestion de la propriété collective, qu’il s’agisse de forêts, pêcheries ou pâturages, et aux arrangements qui ont permis de gérer les différents établissements communautaires.
Ostrom montre que des organisations de pêcheurs ou de forestiers sont capables d’exploiter les ressources d’une région en poissons ou en arbres sans les piller, en assurant leur renouvellement, souvent plus sûrement qu’une activité purement privée ou une régulation publique.
Elle a «remis en cause l’idée classique selon laquelle la propriété commune est mal gérée et doit être prise en main par les autorités publiques ou le marché», salue le comité Nobel.
En se fondant sur de nombreuses études sur la gestion par des groupes d’usagers des ressources de la mer, des plaines, des forêts ou des lacs, la lauréate américaine a montré que leur organisation était souvent meilleure que ne le croit la théorie économique d’essence libérale, souligne le comité Nobel. Selon ce dernier, Elinor Ostrom «a démontré comment les co-propriétés peuvent être efficacement gérées par des associations d’usagers», tandis que Oliver Williamson, de l’Université californienne de Berkeley, « a montré que les marchés et les organisations hiérarchiques, à l’image des entreprises, ont des structures de gouvernance alternatives qui diffèrent dans leur façon de résoudre les conflits d’intérêt ».
«Au cours des trois dernières décennies, ces contributions séminales ont fait passer la recherche sur la gouvernance économique de la marge au premier plan de l’attention scientifique», a estimé le comité. «Ils veulent comprendre des organisations qui ne sont pas des marchés […] et ils montrent comment ces institutions résolvent les conflits», a salué de son côté Tore Ellingsen, membre du comité Nobel, lors de l’annonce du prix à la presse.
De l’avis de Paul Krugman, le récipiendaire de l’année précédente, cette consécration annonce le retour de l’économie institutionnelle, avec un intérêt intellectuel accru pour les interactions entre les acteurs, en comparaison avec celles des marchés. Chose rare, une non économiste obtient ce Nobel (elle n’est toutefois pas la première). Elinor Ostrom n’est pas une économiste. Sa spécialité est la science politique.
D’autres, notamment les psychologues l’ont précédée dans cette distinction pour consacrer la part d’irrationalité qui préside à la décision économique. Dans l’ensemble, ils ont tempéré la «rationalité économique» qui prévaut dans les constructions mathématiques à la mode au cours de la décennie précédente. Autrement dit, le marché, dont le jury de Stockholm a longtemps eu la réputation d’être un fervent partisan, n’explique pas du tout. Il ne suffit pour le moins pas.
La « théorie des biens communs» entre ainsi de plain-pied dans le Panthéon des idées. Les érudits disent «les Communs», pour évoquer cette forme de propriété et de gouvernance qui place les décisions collectives de «communautés» au centre du jeu socio-économique. Les biens communs ne se gèrent pas sous le modèle du marché ni de la hiérarchie, mais d’une troisième forme de socialisation : la réciprocité. On donne à la communauté parce qu’on en attend qu’elle vous donne.
On l’attend de quoi ? De la coutume plus que de la coercition.
La notion généreuse de redistribution qui organise la gouvernance des biens communs repose sur la force du consentement, de la réputation, de la « grandeur » (les émigrés finançaient les constructions de mosquées de leurs villages sur leurs deniers, y compris lorsqu’ils étaient tirés d’activités pas très hallal ).
L’origine du mot tient au latin munus (au double sens cumulé de charge et de don), qui a donné : commun, communauté, communisme, municipalité, etc…
Désormais, il y a un avant et un après-Ostrom. L’avant-Ostrom est entièrement dominé par le socio-biologiste Garrett Hardin, rendu célèbre par un article d’histoire économique publié en 1968, The Tragedy of the Commons (La tragédie des communs), dans lequel il explique que, faute de d’accès, limitant la jouissance des champs de pâturage, les «communaux » auraient été surexploités. Hardin soutenait que l’usage abusif de pâturages communs par des bergers, résolus à y nourrir le plus grand nombre d’animaux chacun de son côté, avait pour conséquence de réduire la quantité d’herbe disponible. L’image utilisée est celle du «passager clandestin », qui profite d’un bien commun sans avoir, en contrepartie écrite, à s’acquitter de devoirs envers la communauté. Idéologiquement ancré à droite, le modèle de Hardin aboutissait à la conclusion que «le libre usage des communs conduit à la ruine de tous».
Elinor Ostrom fit œuvre programmatique, au sens socio-anthropologique, en sollicitant la coutume et l’usage pour entourer les «biens communs» de règles qui les entretiennent et les reproduisent, non sans difficultés.
Ce faisant, elle accompagne et entretient une théorie qui s’impose depuis la fin des années 1990, période qui correspond au tournant de l’économie numérique dans laquelle Internet s’impose comme le principal commun,
partagé par tous les usagers, et auprès duquel chaque usager a des droits (libre accès au savoir, neutralité d’Internet, production coopérative, à l’image de Wikipedia, …) comme des devoirs. Ces communs de la connaissance ont donné lieu à l’émergence de nombreux mouvements sociaux du numérique, à des pratiques communautaires dépassant les cercles restreints pour peser sur toute l’organisation de la société en limitant l’emprise du marché et des monopoles dominants sur cette nouvelle construction collective du savoir.
3 – La normalisation
Autre piste de la mondialisation du droit : la normalisation.
Se référant à la documentation de l’Organisation internationale de normalisation ISO, on peut définir la norme comme « un document qui arrête des exigences, des spécifications, des lignes directrices, des caractéristiques à utiliser systématiquement. »
Dans le domaine industriel, le processus vise à assurer l’élaboration d’une norme à partir des usages et des meilleures pratiques.
L’objet de la normalisation est de « garantir des produits sûrs, fiables et de bonne qualité ». Aussi, constitue-t-elle pour l’entreprise un outil stratégique pour baisser les coûts, et pour les Etats « le moyen d’accéder à de nouveaux marchés, de faciliter le libre-échange et le commerce équitable dans le monde ».
L’intérêt de la norme est donc multiple : accéder aux marchés, améliorer la qualité des produits et des services, ainsi que la compétitivité des entreprises, rassurer les clients et les consommateurs, promouvoir l’innovation et la recherche, protéger les marchés.
La norme contribue, en effet, à réduire les déchets, à diminuer les coûts des approvisionnements, à améliorer le processus de sélection et d’évaluation des fournisseurs, à réaliser des économies de ressources, à optimiser les résultats de la recherche et développement et des transferts d’information à travers des spécifications unifiées.
Des études comparatives ont établi l’impact de la normalisation sur la croissance et le PIB. Selon l’’Organisation pour le Commerce et le Développement Economique (OCDE) et le Département américain au commerce les normes ont un impact sur 80% du commerce mondial des marchandises.
Des travaux couvrant la période 1961-1990 établissent que la normalisation a contribué pour 27,7% dans la croissance du PIB en Allemagne, 11% au Royaume Canada, 21,8% en Australie, 23,8% en France et. . . à 0,04% en Algérie.
On estime que l’intégration des normes pourrait permettre à l’Algérie de gagner 2,4% de croissance de son PIB prévisionnel à l’horizon 2050. Aussi, la norme contribue à hauteur de 5-33% du chiffre d’affaires annuel des entreprises.
L’Organisation internationale de normalisation (en anglais : International Organzation for Standardization) ou ISO, est un organisme de normalisation international composé de représentants d’organisations nationales de normalisation de 165 pays. L’ISO est le plus grand organisme de normalisation au monde. C’est une organisation non gouvernementale représentant un réseau d’instituts nationaux, selon le principe d’un membre par pays.
Cette organisation créée en 1947 a pour but de produire des normes internationales dans les domaines industriels et commerciaux, appelées normes ISO. Elles sont utiles aux organisations industrielles et commerciaux économiques de tout type, aux gouvernements, aux instances de réglementation, aux dirigeants de l’économie, aux professionnels de l’évaluation de la conformité, aux fournisseurs et acheteurs de produits et de services, dans les secteurs tant public que privé.
4- L’arbitrage commercial
Le droit de l’arbitrage commercial international se rapporte à un mode alternatif, privé, de règlement des différends qui a longtemps irrité la communauté des juristes de l’ordre ancien.
Parce qu’il écarte les juridictions étatiques, il est associé à une forme de privatisation, et heurte le sentiment souverainiste fortement ancré en leur sein. L’arbitrage est à distinguer de deux institutions qui lui sont proches : l’expertise et la conciliation ou la médiation.
Son évolution en Algérie est marquée par deux étapes : celle de son rejet et celle de sa légalisation.
Le rejet ou l’hostilité allant approximativement des années 1960 à 1980 « trouvait une justification tant dans le contexte politique que sur un plan purement juridique» (Noureddine Terki, 2015). Au titre des fondements politiques du rejet, on recense notamment la volonté d’opposer sa souveraineté à la puissance économique et financière des sociétés multinationales opérant sur le territoire.
Ce rejet a par ailleurs une base juridique, s’agissant de l’Algérie : l’article 442, alinéa 3, du code de procédure civile de 1966 qui dispose que «l’Etat et les personnes morales publiques ne peuvent compromettre».
Toutefois, dérogation à cette disposition était toutefois accordée dans certains types de contrats internationaux, comme les contrats de vente des hydrocarbures liquides ou gazeux, les contrats «clefs en main» ou «produits en main» ou les contrats d’achat et de montage d’équipements. La seconde étape, celle de la légalisation, va emprunter la voie du droit conventionnel (qu’il soit bilatéral ou multilatéral) et du droit interne.
Depuis 2008 donc, en vertu de l’article 1006, alinéa 3, du nouveau code de procédure civile, « les personnes morales de droit public ne peuvent pas compromettre, sauf dans leurs relations économiques internationales et en matière de marchés publics».
Cette innovation est rattachée à trois raisons :
– le fait que de nombreuses sociétés étrangères investissent en Algérie dans le cadre de filiales de droit algérien (la localisation de leur siège social en Algérie leur interdisait de recourir à l’arbitrage commercial interne dans leurs relations commerciales avec l’Etat, des collectivités territoriales ou des entreprises publiques) ;
– l’émergence de puissants entrepreneurs locaux (ils peuvent ainsi «échapper à la compétence du juge étatique – et par la même à son éventuelle partialité – en incluant une clause compromissoire dans leurs marchés publics les plus importants») ;
– la plupart des juges locaux n’ont pas reçu de formation adéquate leur permettant de dominer ce type d’affaires.
La légalisation de l’arbitrage international n’est pas étrangère au fait que les tribunaux de droit commun sont pour la plupart surchargés et mal préparés à la spécificité de l’activité économique» et au risque de les voir submergés par l’augmentation sensible du nombre de litiges».
L’arbitrage obéit aujourd’hui au modèle proposé par une organisation internationale : la Commission des Nations Unies pour le droit commercial (CNUDCI), qui a adopté une loi-type à l’issue de sa dix-huitième session le 21 juin 1985.
Deux résolutions successives de l’assemblée générale (40/72 du 11 décembre 1985 et 61/33 du 4 décembre 2006) recommandent à tous les Etats d’abord de la « prendre dûment en considération », ensuite «d’envisager de l’adopter ».
Parallèlement, la clause CIRDI consiste à soumettre les litiges éventuels à l’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements.
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– Nour-Eddine Terki, L’arbitrage commercial international en Algérie, Editions AJED, Alger mars 2015, 182 pages, préface d’Ali Becheneb. L’ouvrage est disponible dans toutes les librairies de l’Office des publications universitaires (OPU).
– John Wolliamson, Global Financial Crisis, The Washington Consensus, Another Near-Death Experience ? Peterson Institute for International Economics April 10th, 2009
– Michael Woolcock, “Engaging with Fragile and Conflict –Affected States” HKS Faculty Research Working Paper Series RWP14-038, July 2014.
https://research.hks.harvard.edu/publications/workingpapers/citations.aspx?PubId=9462&type=WPN