LIVRES / Balades… Là et ici !

       par Belkacem Ahcene-Djaballah

                                                                Livres

Poussières d’itinérances. Récits de voyage de Badr’Eddine Mili. Apic Editions, Alger 2023, 187 pages, 800 dinars

Il avait produit, entre 2009 et 2015 une trilogie romanesque («La brèche et le rempart», «Les miroirs aux alouettes», «Les abysses de la passion maudite»). Puis, il a produit une trilogie politique.

On pensait qu’il avait fait le tour de «la question algérienne», côté cour et côté maison, côté obscur et côté lumineux. Mais non !

Cette fois-ci, il se penche sur l’extérieur, c’est-à-dire sur toutes (ou presque toutes, ses passages à la présidence de la République puis à l’Aps n’ayant été évoqué que très brièvement) ses expériences professionnelles, en Algérie et surtout à l’étranger, lors de missions au service de son entreprise du moment. Car il est passé par plusieurs avec une affection toute particulière pour le secteur qui l’a accueilli à sa sortie de l’Université et qui l’a rattrapé en fin de parcours : la radiotélévision en particulier et l’audiovisuel en général.

Au total, 22 haltes présentées totalisant, en 40 ans, une trentaine de pays et une cinquantaine de villes. Les Balkans, Sarajevo, le Kilimandjaro, le Canada, le lac Victoria, Paris, Tunis, Casablanca, Londres, Rome, Barcelone, Dubrovnik, Palerme, l’Espagne, Chypre, Anvers, Bruxelles, Bucarest…, le veinard ! Heureusement qu’il n’a choisi de ne raconter que ceux qui «présentaient un intérêt un rapport avec la période, la durée, la portée culturelle et esthétique, les rencontres et la dimension politique concernées…». Il est vrai que certains ont fait bien plus ou bien mieux. Hélas, pour lui, comme pour bien des cadres voyageurs, mis à part quelques exceptions, il ne s’agissait pas de voyages touristiques et de loisirs mais avant tout de voyages de travail. Certes, les lieux traversés puis, à l’occasion, visités, sont décrits avec subtilité et art, tant l’auteur sait y faire avec les mots (il fut assez longtemps, éditorialiste politique à la Chaîne 3), mais le plus important se trouve dans le contenu des missions effectuées, parfois bien délicates car engageant souvent l’image et la présence internationale du pays, quelquefois périlleuses (surtout lorsque le «parapluie diplomatique» n’est pas au rendez-vous) et toujours éreintantes, sinon dangereuses. Une exception, une large visite, en famille, dans le sud de la France et au nord de l’Espagne. Après l’effort, le réconfort… bien mérité.

L’Auteur : Né à Constantine, études de Droit et de Sciences politiques (Université d’Alger). Plusieurs postes de responsabilité au sein des médias étatiques (radio, Anep, Dr au ministère de la Communication et de la Culture, Dg Aps, Chargé de mission à la présidence de la République sous le mandat de Liamine Zeroual…). Auteur d’une trilogie romanesque et de trois essais politiques : «L’opposition politique en Algérie», «Les présidents algériens à l’épreuve du pouvoir» et «Le système politique algérien. Formation et évolution (1954-2020)».

Extraits : «De ces circonvolutions autour du nombril du monde, il revint avec des impressions, des sensations et des images fabuleuses, parfois métaphysiques» (Prologue, p 7), «Mon père m’avait appris, depuis ma petite enfance, que s’habiller convenablement était le signe extérieur de la plus grande des dignités» (p 141), «Chaque voyage se suffit à lui-même, avec son charme ou son sel spécial, unique. Certains sont plus réussis que d’autres et laissent des traces, ce qui n’est valable que pour quelques-uns «(p 185).

Avis : Un long voyage dans le temps et dans l’espace… à travers le monde. Un riche circuit certes touristique, mais aussi et surtout professionnel : l’utile, parfois le futile et l’agréable. Des descriptions de lieux se doublant de réflexions et de leçons politiques.

Une petite erreur à signaler (il fallait bien en trouver une) : Mohamed Benzeghiba n’a jamais été Dg de l’Anep (il a été par contre DG/pi de l’Aps) (p 84). C’est votre serviteur qui avait succédé, durant moins d’une année, à Madani Haouès, avant d’aller à la Dg de l’Aps et remplacé par Mohamed Raouraoua. Un genre d’ouvrage à encourager pour maintenir les mémoires trop rapidement oublieuses de ce qui s’est fait «avant».

Citations : «Il y a comme cela des circonstances qui se croisent et nous rappellent combien, fatalement, nous demeurons prisonniers de nos vieux mythes et de nos vieilles querelles, incapables de nous en libérer» (p 49), «Derrière les lumières d’une Révolution forte de son peuple résistant, de ses intellectuels avant-gardistes et de ses brillants systèmes de santé et d’éducation, j’ai vu se profiler l’ombre de la faim, les démons de l’autoritarisme et la tentation d’exporter le «modèle» (A propos de Cuba, p 64), «Si je ne me trompe pas, dans voyage, il y a à voir» (p 185), «Le voyage est la réalisation, sinon la continuation, d’un rêve qui débouche toujours sur le savoir» (p 186).

Talelat. Mystères de «la Main du Juif». Roman-essai de Djamel Laceb. Editions Frantz Fanon, Boumerdès, 2023, 181 pages, 1.000 dinars

Ni roman, ni essai, mais les deux, ce qui est tout de même une performance pas toujours réussie ailleurs. En fait, l’auteur n’a pas voulu raconter une histoire mais plutôt raconter le quotidien d’une «population unique», de par sa culture, ses travers, ses peines et ses espoirs…, de raconter un monde «sur la route de l’absence», avec des cimes qui s’évacuent chaque jour un peu plus «avec des partants qui emportent avec eux les dernières coutumes d’une culture ancestrale non pour les perpétuer, mais pour les corrompre dans des bourgs informes».

Bien sûr, il y a, hélas, plusieurs «populations uniques» en Algérie qui empruntent ce chemin, avec, peut-être des mentions particulières pour certaines d’entre-elles.

L’auteur, donc, raconte, en fait, le quotidien, triste mais vivable et bien (ce qui ne veut pas dire obligatoirement bon) vivant d’un lieu et d’une population attachée à sa terre, à sa langue et à ses us et coutumes, bonnes et (ou) mauvaises. Une terre devenue ingrate car trop abandonnée (sauf le «Grand Parking national» et ses singes, très, trop bien gardés), une langue riche mais complexe, des traditions parfois gênantes mais nécessaires… poussant au départ vers des ailleurs pourtant incertains. On a donc, au final, un roman-essai parsemé d’informations puisées dans des lectures et autres sources dont la tradition orale n’est pas des moindres. Sans oublier un penchant pour l’histoire de l’Egypte antique ainsi que pour la mythologie.

Au départ du récit, il y a, au milieu de l’immense et imposant Djurdjura, «la Main du Juif» (Talelat), un rocher à plusieurs pointes, sorte de «paluche géante», baptisée ainsi par les Français, dont tout le monde, à Dawdar (1.100 mètres d’altitude, parle avec vénération…, car, semble-t-il, liée à d’anciennes civilisations ayant enfoui on ne sait quels secrets. Il y a, aussi, un Sphinx gigantesque que ne peuvent voir que les initiés…, soumis au silence… Des rochers «qui parlent d’eux-mêmes», et, paraît-il, il suffit de tendre l’oreille et de regarder dans la bonne direction. Tout un mystère bien gardé (et transmis par bribes) par des personnages originaux : Dda Slimane, Moh Pompidou, Cheikh Mohand…

L’Auteur : Né à Souk Ahras, inspecteur d’administration dans l’Education nationale, conseiller au Haut-Commissariat de l’amazighité, lauréat du grand prix Assia Djebar pour son roman «Nna Ghni» et il a publié un recueil de chroniques (2019), «Escapades en terre amazighe».

Extraits : «Un Sudiste comme son nom l’indique travaille au sud du pays. Il en existe deux catégories : les chanceux et les misérables. Les premiers sont dans les sociétés pétrolières algériennes et perçoivent des salaires mirobolants tandis que les seconds sont les esclaves des sous-traitants» (p 38), «Dans le monde des mânes et des i‹!essasen, le pays du Djurdjura est l’équivalent de la Chine. Un pays surpeuplé d’esprits et d’âmes» (p 48), «Le chiffre cinq est le chiffre de l’équilibre, du centre, il est associé à la vie et aux saisons car depuis la nuit des temps, les Amazighs comptent cinq saisons» (p 63), «Personne ne sait pourquoi les singes s’appellent Messaoud et les chacals Mhand, mais une chose est sûre : ils se reconnaissent» (p 66), «Dans notre région, il y a deux façons de trouver quelque apaisement : le grand plongeon dans les cuves ou bien se faire tatouer sur le front et sur les chevilles les trois marques de l’obéissance et de la prosternation» (p 84), «C’est dans les magasins que sont commentées toutes les nouvelles colportées, tous les ragots; mais le plus grand, c’est le«Sénat»». L’établissement tient sa réputation du fait qu’il est fréquenté par les phénomènes des environs… On parle quand on sait quelque chose, on parle aussi quand on ne sait rien. Au «Sénat», il faut parler, parler; au moindre silence, vous cessez d’exister et alors, le sujet de discussion, c’est vous» (pp 87-88), «Un cassé est un homme qui, ayant tenté sa chance en ville, revient brisé par le chômage, la misère ou autre vicissitude de la vie. Un cassé n’avoue jamais son état; il est facile de déceler l’amertume du vaincu. Les villageois les appellent aussi les «revenants» parce qu’ils ont la démarche et l’existence légères : comme s’ils avaient honte d’être présents parmi les vivants» (p 111).

Avis : Bien écrit. Style fluide. De l’humour plein les pages. De la critique et de l’autocritique. On en arrive à oublier que de roman il n’y en a presque point, mais beaucoup d’analyses psychosociologiques d’une région et de sa population. A lire… avec compréhension car l’auteur a l’air d’adorer sa région maternelle. Un critique a écrit que «c’est un roman étincelant qui réinterroge avec une originalité déconcertante les lieux de la culture berbère et les mystères d’une langue qui a résisté aussi bien aux bourrasques du temps qu’aux accidents de l’Histoire».

Citations : «Éduquer use toutes les facultés, au point de faire des maîtres au mieux des dadais, sinon des démons» (p 15), «La rêve commun des habitants d’un pays crée l’image du pays» (p 51), «Pour parler des gens, il faut les aimer et moi j’en suis à me demander s’il faut leur pardonner d’abord» (p 93), «Au pays le plus dépensier du monde, les économistes ne pouvaient que chômer» (p 113).


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