Échec de la diplomatie des États-Unis au Niger ?

par Olivier Renault

Le nouveau pouvoir politique au Niger – ​le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) – agite et inquiète les diplomaties occidentales. En particulier, les États-Unis ont envoyé Victoria Nuland, au Niger pour y sauver leurs cartes géopolitiques. Mais, cette dernière n’a pas pu – à priori – obtenir ce que Washington souhaitait.

Au-delà, le déplacement de la numéro deux de la diplomatie américaine par interim, montre que la France est un lampiste de Washington. La France, ayant été violemment prise pour cible par les nouvelles autorités du Niger, un responsable US a dû faire le voyage pour tenter de sauver la mise occidentale sur ce pays du Sahel, là où la France a perdu son influence. Sur quoi a pu porter l’offre US ?

Défaite des États-Unis au Niger ?

Victoria Nuland, haute responsable de la diplomatie des États-Unis «n’a pu voir ni Abdourahamane Tchiani, le chef des putschistes, ni Mohamed Bazoum, le président nigérien toujours séquestré. «Cette visite diplomatique n’a pas abouti à un début de solution», annonce RFI.

«J’espère qu’ils garderont une porte ouverte à la diplomatie. Nous leur avons fait cette proposition. Nous verrons bien», a lancé, cependant, Victoria Nuland qui, d’après son tweet, «s’est rendu à Niamey pour exprimer sa profonde préoccupation face aux tentatives antidémocratiques de prise de pouvoir et a appelé au retour à l’ordre constitutionnel». 

Le Figaro rapporte qu’elle a, «seulement, rencontré le général de brigade Moussa Salaou Barmou, nouveau chef d’état-major de l’armée» avec d’autres officiers. Le même quotidien français complète : «Victoria Nuland a dit avoir proposé de nombreuses options» pour mettre fin au coup d’État, ainsi que les «bons offices» des États-Unis «s’il y avait un désir de la part des responsables de revenir à l’ordre constitutionnel».

Victoria Nuland s’est juste avant rendu en République démocratique du Congo (RDC) «pour promouvoir la promotion de la paix dans l’est de la RDC et le soutien des États-Unis à des élections libres et équitables en décembre». Encore avant la RDC, la diplomate US a visité la Côte d’Ivoire car «les États-Unis et la Côte d’Ivoire sont fermement solidaires dans la défense de la démocratie, de la sécurité et de la prospérité partagée».

La crainte de l’alliance russo-nigérienne des États-Unis

«Les personnes qui ont pris cette décision (du coup d’État) comprennent très bien les risques que fait courir à leur souveraineté une invitation de Wagner», a déclaré, selon Le Figaro, Victoria Nuland, en référence au groupe paramilitaire russe Wagner, présent notamment au Mali voisin. «Il y a environ 1000 soldats américains actuellement stationnés au Niger», note CNN.

Pour rappel, RTL a rapporté que 1500 soldats français sont déjà au Niger, sous l’autorité de l’armée nigérienne. Le média US fait savoir que le général de brigade Moussa Salaou Barmou avait travaillé avec les forces spéciales américaines au Niger pendant de nombreuses années. La diplomate US a, selon CNN, affirmé que «certains des putschistes auraient commencé à s’engager» avec Wagner alors que ce même média US a tenu à rajouter que «des responsables américains ont déclaré que [Wagner], qui a une présence significative en Afrique, n’a joué aucun rôle dans l’incitation au coup d’État».

Les USA privilégient les négociations avec le Niger

Malgré les annonces guerrières de la France (Emmanuel Macron ne tolèrera aucune attaque contre la France et ses intérêts) et de la CEDEAO consistant à rentrer militairement dans le Niger, pour selon leurs termes rétablir la démocratie, CBS-News fait remarquer que «ce que les dirigeants de la CEDEAO vont faire maintenant n’était pas immédiatement clair» car «la région est divisée sur un plan d’action. Il n’y avait aucun signe de rassemblement des forces militaires à la frontière du Niger avec le Nigeria, le point d’entrée probable par voie terrestre».

La CEDEAO avait, pourtant, lancé un ultimatum aux militaires ayant pris le pouvoir au Niger et exigé un rétablissement dans ses fonctions du président Mohamed Bazoum, sous peine d’une intervention armée. Dans un entretien à RFI, le chef de la diplomatie US, Anthony Blinken affirme vouloir tout d’abord jouer la carte de la diplomatie : «Il est certain que la diplomatie est le moyen préférable pour résoudre cette situation».

Déjà en avril dernier Anthony Blinken a exprimé sa «profonde inquiétude» concernant les activités d’une société militaire privée russe au Soudan alors que les combats continuaient de s’intensifier dans ce pays d’Afrique de l’Est. Les États-Unis ne veulent pas perdre le Niger et tentent encore de retourner la situation politique par des négociations alors que la France y a perdu ses cartes géopolitiques. Mais, le retour bredouille de la main droite d’Anthony Blinken du Niger – Victoria Nuland – semble montrer que les États-Unis tout comme la France ont perdu de leur pouvoir au Sahel. La question est de savoir si les négociations au Niger entre les États-Unis et la nouvelle autorité du pays portent sur un accord de vouloir, au final, reconnaître les putschistes si ils refusent la présence de Wagner dans le pays car Victoria Nuland a bien dit : «J’espère qu’ils garderont une porte ouverte à la diplomatie. Nous leur avons fait cette proposition». Cela pourrait expliquer – pour le moment – la non-intervention militaire de CEDEAO si cette dernière en a, en fait, réellement le pouvoir militaire.

Olivier Renault   source : Observateur Continental


 

        Victoria Nuland a révélé quelques détails intéressants sur ses discussions au Niger

par Andrew Korybko

Les principales conclusions sont les suivantes : les États-Unis font un effort public d’une sincérité douteuse pour montrer au monde qu’ils ne veulent pas d’une guerre régionale ; la rencontre de Nuland avec la société civile nigérienne signifie qu’une révolution de couleur ne peut être exclue ; le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires ne recule pas malgré le fait que son nouveau chef de la défense soit un partenaire étroit du Pentagone depuis des années ; et ses relations envisagées avec la Russie et Wagner après le coup d’État restent floues.

La vice-secrétaire d’État par intérim, Victoria Nuland, actrice du tristement célèbre «EuroMaïdan», s’est rendue au Niger pour s’entretenir avec le gouvernement intérimaire dirigé par l’armée, après l’expiration du délai d’une semaine accordé par la CEDEAO pour réinstaller le président évincé Mohamed Bazoum. Une guerre régionale menace l’Afrique de l’Ouest si ce bloc soutenu par l’OTAN envahit le pays comme il a menacé de le faire précédemment et/ou si l’ancien colonisateur français agit unilatéralement, c’est pourquoi il est important d’analyser ce qu’elle a révélé sur son voyage.

Son briefing spécial à la presse a commencé par des platitudes sur le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger à la suite du coup d’État militaire patriotique du mois dernier, puis a fait référence à l’aide que les États-Unis seraient légalement obligés d’interrompre si cela ne se produisait pas. Nuland a ensuite indiqué qu’elle avait également rencontré «un large échantillon de la société civile nigérienne. Ce sont des amis de longue date des États-Unis. Il y a des journalistes. Il y a des activistes démocratiques. Il y a des militants des droits de l’homme».

Compte tenu de son rôle dans la révolution de couleur en Ukraine, qui a finalement conduit à la guerre par procuration entre l’OTAN et la Russie dans ce pays, il est raisonnable de penser qu’elle pourrait avoir signalé à ces forces de la société civile que les États-Unis les soutiennent dans le lancement de protestations émeutières à grande échelle contre les autorités militaires. Ce scénario pourrait se dérouler soit avant une invasion du Niger par la CEDEAO, soutenue par l’OTAN et éventuellement par la France, comme prétexte pour justifier publiquement ce qui précède, soit au cours d’une telle invasion.

Néanmoins, cela ne semble pas avoir été la raison principale de son voyage puisque de tels signaux pourraient être envoyés à ces forces à distance de manière plus pratique et plus sûre sans qu’un haut responsable diplomatique américain n’ait à le faire directement en personne, mais cela ne peut tout de même pas être exclu. Nuland a ensuite révélé que ses discussions «avec le chef autoproclamé de la défense de cette opération, le général Barmou, et trois des colonels qui le soutiennent […] ont été extrêmement franches et parfois très difficiles».

Elle a expliqué que c’était parce que «nous poussions à une solution négociée», ce qui pourrait soit être un effort insincère destiné à faire baisser la garde de l’armée nigérienne avant les scénarios de déstabilisation potentiellement imminents qui viennent d’être décrits, soit être en fait la voie préférée des États-Unis. La première possibilité est plausible en raison du précédent ukrainien, tandis que la seconde pourrait être due à la crainte qu’une guerre régionale plus large ne dérape et ne crée finalement un espace permettant à la Russie d’étendre son influence.

La partie suivante de son exposé était très intéressante. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas été autorisée à voir Bazoum, bien qu’elle lui ait parlé au téléphone, ni à rencontrer le président intérimaire, le général Abdourahamane Tchiani. Le fait de la tenir à l’écart de Bazoum pourrait avoir pour but de maintenir une certaine ambiguïté quant à son statut afin de décourager les scénarios de déstabilisation susmentionnés tout en réaffirmant la légitimité du président Tchiani, alors que le refus de ce dernier de rencontrer Nuland était une rebuffade délibérée.

Elle a ensuite déclaré : «J’espère qu’ils garderont la porte ouverte à la diplomatie. Nous avons fait cette proposition. Nous verrons bien. Comme je l’ai dit, ils ont leurs propres idées sur la façon de procéder. Leurs idées ne sont pas conformes à la constitution, et ce sera difficile pour nos relations si c’est la voie qu’ils prennent. Mais nous leur avons donné un certain nombre d’options pour continuer à discuter et nous espérons qu’ils en tiendront compte». En d’autres termes, le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires ne recule pas, même si cela met en péril les liens avec les États-Unis.

Un autre détail intriguant a été révélé lors de son briefing : «Le général Barmou, l’ancien colonel Barmou, est quelqu’un qui a travaillé en étroite collaboration avec les forces spéciales américaines pendant de très nombreuses années. Nous avons donc pu examiner de manière très détaillée les risques liés à certains aspects de notre coopération qui lui tiennent particulièrement à cœur». Il est remarquable qu’un proche allié militaire des États-Unis ait fini par participer au renversement de son dirigeant soutenu par les États-Unis, qu’il soit devenu le nouveau chef de la défense et qu’il n’ait pas fait marche arrière.

Cela montre que même les hauts responsables militaires étrangers qui coopèrent étroitement avec certaines des forces les mieux entraînées des États-Unis «pendant de très nombreuses années» ne deviennent pas toujours leurs marionnettes, ce qui laisse supposer que d’autres responsables occupant une position similaire ailleurs en Afrique pourraient suivre les traces du général Barmou. Il n’est donc plus possible de tenir pour acquis que les programmes militaires américains à l’étranger permettent de cultiver avec succès des proxys d’élite. Ils se retournent parfois contre eux, comme le prouve ce cas particulier.

Vers la fin de son briefing, Nuland a répondu à deux questions sur Wagner et la Russie de la manière suivante :

«Bien sûr, j’ai parlé de Wagner et de la menace qu’il représente pour les pays où il est présent, en leur rappelant que la sécurité se dégrade, que les droits de l’homme se détériorent lorsque Wagner entre. Je ne dirais pas que nous en avons appris beaucoup plus sur leur façon de penser à ce sujet. […]

En ce qui concerne Wagner, vous aurez vu Prigozhin se vanter à Saint-Pétersbourg. Je dirai que j’ai eu l’impression, lors de mes rencontres d’aujourd’hui, que les personnes qui ont entrepris cette action ici comprennent très bien les risques pour leur souveraineté lorsque Wagner est invité».

Ces déclarations étant manifestement contradictoires, soit elle s’est embrouillée, soit elle a menti dans l’une de ses réponses.

Quels que soient les signaux que le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires aurait pu envoyer à Nuland concernant les spéculations sur le fait qu’il pourrait demander les services de «sécurité démocratique» de Wagner, ils auraient probablement été destinés à des fins de dissuasion. Le fait d’envisager ce scénario pourrait laisser entendre que les États-Unis risquent de perdre encore plus de leur influence s’ils n’empêchent pas une guerre régionale d’éclater, tandis que le fait de le minimiser pourrait avoir pour but de convaincre les États-Unis qu’ils ne doivent pas réagir de manière excessive aux conséquences du coup d’État.

Dans l’ensemble, les principaux enseignements du voyage de Nuland sont les suivants : les États-Unis font un effort public d’une sincérité douteuse pour montrer au monde qu’ils ne veulent pas d’une guerre régionale ; sa rencontre avec la société civile nigérienne signifie qu’une révolution de couleur ne peut être exclue ; le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires ne recule pas malgré le fait que son nouveau chef de la défense soit un partenaire étroit du Pentagone depuis des années ; et les relations envisagées avec la Russie et Wagner après le coup d’État ne sont pas encore claires.

Andrew Korybko

source : Andrew Korybko   traduction Réseau International


 

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