Niger : un consensus se dessine autour de la position algérienne

 

Le projet d’une médiation algérienne dans la recherche d’une solution pacifique à la crise au Niger continue de faire son chemin.

La position algérienne commence à faire consensus, ce qui éloigne les risques d’une intervention militaire qui pourrait plonger ce pays et tout le Sahel dans le chaos, estime une source algérienne.

Toute la région, y compris le Maghreb, est exposée à des dangers incalculables en cas de détérioration de la situation au Niger, avec l’aggravation de la menace terroriste et la hausse des flux de migrants subsahariens.

C’est pour cela que l’Algérie a exprimé avec force son rejet de l’utilisation de la force pour réinstaller le président nigérien Mohamed Bazoum dans ses fonctions.

Dans ce contexte, l’Algérie présente à « priori un profil de médiateur acceptable par toutes les parties », remarque une source algérienne.

D’abord, les États-Unis, qui disposent de soldats stationnés au Niger, sont moins enclins à l’utilisation de la force, et penchent plutôt pour une solution diplomatique.

La crise nigérienne a fait partie des sujets urgents discutés entre le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le chef de la diplomatie algérienne Ahmed Attaf lors de la visite de ce dernier à Washington la semaine passée.

Les États-Unis ont toujours loué le rôle de l’Algérie dans le maintien de la stabilité de la région. Pour les Américains, c’est un pays « crédible » dans toute la région du Maghreb et en Méditerranée.

L’Algérie et les États-Unis partagent l’option d’une solution pacifique à la crise au Niger afin d’éviter à la région les dangers de l’option militaire, prônée par la Cédéao dès le coup d’État qui a évincé le 26 juillet dernier le président élu Mohamed Bazoum.

Jeudi, lors de son sommet extraordinaire à Abuja, le bloc ouest africain a validé le projet d’une intervention militaire au Niger et les chefs d’états-majors des pays devaient se réunir samedi pour étudier les options d’une action. Mais la réunion a été reportée.

L’option d’une intervention militaire au Niger semble ainsi de plus en plus difficile avec l’opposition de l’Algérie alors que les États-Unis n’ont pas apporté un soutien à l’utilisation de la force.

Une action militaire immédiate est donc peu probable. Antony Blinken a dit qu’il « est certain que la diplomatie est le moyen préférable » pour résoudre la crise au Niger. Ce qui laisse la place à la diplomatie et à la médiation.

Crise au Niger : convergence entre les États-Unis et l’Algérie

De par sa position et ses relations avec le Niger, l’Algérie avait rapidement offert sa médiation dont la proposition a été faite samedi 5 août par le président de la République Abdelmadjid Tebboune. L’Algérie est « prête à aider les Nigériens à s’unir », avait-t-il dit.

Voisin du Niger avec qui il partage 1.000 km de frontières mais aussi des intérêts stratégiques, l’Algérie veut éviter un scénario libyen au Niger. Le président Tebboune a dit qu’il « n’y aura aucune solution » à cette crise sans l’Algérie. « Nous sommes les premiers concernés. », a insisté le chef de l’État, en affirmant que la situation au Niger constitue une menace directe pour l’Algérie.

La rencontre entre Ahmed Attaf et Antony Blinken, a été « l’occasion de coordonner les approches américaine et algérienne sur la crise nigérienne », ajoute notre source.

En pesant de tout son poids pour éviter un bain de sang à Niamey, l’Algérie cherche surtout à trouver une issue pacifique à la crise qui secoue le Niger. Mais cela ne signifie qu’elle soutient une partie ou une autre du conflit. L’Algérie a condamné très vite le coup d’État militaire contre Bazoum, avec qui elle entretenait d’« excellentes relations ». Issu de la communauté arabe du Niger, Mohamed Bazoum est lié à l’Algérie par des connexions familiales.

Après son élection en février 2021, le président nigérien déchu a visité deux fois l’Algérie, une « fréquence qui témoignait du souhait des deux pays de se rapprocher encore davantage ». Mais elle ne fait pas du retour de Bazoum une condition préalable au règlement de la crise au Niger. L’Algérie réclame seulement un retour à l’ordre constitutionnel.

Pour l’Algérie, la stabilité du Niger est un « enjeu crucial » pour sa sécurité, en raison des risques liés à la hausse des flux migratoires et l’aggravation de la menace terroriste aux frontières ; les pays du Sahel étant devenus ces dernières années, des repaires pour les groupes armés.

En plus des problèmes liés à l’insécurité et à l’émigration clandestine, l’Algérie privilégie l’intégration économique des pays du Sahel pour lutter contre le sous-développement et la pauvreté dont lesquels pataugent ces pays. Parmi les projets qui pourraient changer la donne dans la région figure le gazoduc Nigéria – Algérie via le Niger. Le projet qui est au stade de la finalisation, est stratégique pour les pays concernés.

« Après l’interaction très positive entre Attaf et Blinken, on parle désormais de consensus, voire d’alignement autour de la position algérienne  sur la question du Niger », explique la source algérienne.

Une médiation algérienne dans la crise nigérienne est même « souhaitée par des acteurs majeurs » qui voudraient voir l’Algérie jouer un rôle clé dans la quête d’une solution diplomatique à la crise, d’autant qu’elle a prouvé par le passé sa capacité à gérer ce genre de conflits.


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La crise au Niger vise l’affaiblissement de l’Algérie (Abdelaziz Rahabi)


   Niger : La France doit cesser de jouer les incendiaires et sortir du déni en évacuant ses militaires

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Alors qu’une réunion des chefs d’état-major de plusieurs pays de la CEDEAO est imminente en vue de planifier une intervention armée contre les putschistes au Niger, l’association Survie, qui milite contre la Françafrique, appelle les autorités françaises à évacuer enfin ses 1500 militaires stationnés dans le pays. Dans le cas contraire, la France deviendrait co-belligérante et graverait dans le marbre son ingérence dans cette crise…

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source : Survie via Le Blog Sam la Touch


                                                     Le Niger à la croisée des chemins

Par Halim Benattallah,
                  ancien ambassadeur

Le coup d’É́tat qui s’est produit au Niger le 26 juillet a été unanimement condamné. Les appels au retour à l’ordre constitutionnel, ainsi que le rétablissement du président Muhamed Bazoum dans ses fonctions se sont multipliés.
La Cedeao a brandi la menace d’un recours à une intervention militaire, sans toutefois se résoudre à passer à l’acte au lendemain de son sommet du 10 août, au Nigeria. Elle a ordonné «le déploiement de la force en attente» tout en soulignant «son engagement permanent en faveur du rétablissement de l’ordre constitutionnel par des moyens pacifiques». Le président du Nigeria est le plus prompt à attaquer son voisin auquel il a coupé l’alimentation en électricité. Depuis peu, l’ancien président nigérien a été lâché par les siens dans son propre pays. Le scénario de l’option militaire est pour l’instant en stand-by.
La Cedeao a aussi déclenché un paquet de mesures de sanctions contre le Niger, infligeant au peuple nigérien des souffrances supplémentaires, sans que ces pressions aient quelque effet sur les nouveaux dirigeants à Niamey qui ont formé un nouveau gouvernement. Cela laisse penser qu’ils n’ont nullement l’intention de reculer.
Par-delà ces données factuelles, la question la plus importante me semble être : le retour à l’ordre constitutionnel est-il l’enjeu véritable ?
Voici quelques éléments d’évaluation au travers de quatre narratifs qui sont déclinés en ce moment sur cette crise. Jeux d’influence avec la Russie et la Chine et accès aux matières premières et aux sources d’énergie en Afrique sont en arrière-plan (surtout depuis que l’UE s’est mutilée en se privant du gaz russe).
D’abord, un narratif «sahélien» laisse entendre que la France jouerait un double jeu dans sa guerre contre le terrorisme au Sahel et partant, il sert d’argumentaire pour exiger le départ des troupes françaises du Niger. Des voix françaises autorisées contestent, quant à elles, ce narratif parce qu’elles considèrent que le Sahel fait partie du périmètre de sécurité de la France. Le bras de fer est engagé.
Deuxième narratif. En appui à l’option militaire, un courant d’opinion s’est fait jour pour engager des Africains à intervenir contre des Africains, au nom d’une lutte globale contre le terrorisme.
Des «experts» expliquent à une opinion internationale que ce pays est un hub du terrorisme international menaçant la sécurité dans le monde : «Sahel Region Coups Make Room for Terrorist Groups : Analysts» (Voice of America) ; «Why the nightmare in Niger is the world’s problem» (The Economist) ; «The coup in Niger will only embolden extremists, says a former jihadi fighter» (Associated Press).
Ce courant d’opinion naissant occulte volontairement une donnée majeure : le terrorisme dans le Sahel a flambé suite à l’intervention de l’Otan en Libye en 2011. Les gigantesques stocks d’armements récupérés par les noyaux terroristes ont été une cause majeure de l’insécurité qui s’est étendue à tout le Sahel, et cela nonobstant les mises en garde de l’Algérie sur les risques de déstabilisation de la région. La suite a malheureusement donné raison à son analyse. L’histoire risque de se répéter aujourd’hui à une plus grande échelle : une intervention militaire risquerait, à nouveau, de créer le chaos généralisé et de jeter le pays, et sans doute la région, dans des luttes intercommunautaires dont pourraient tirer profit les groupes terroristes.
Dans tous les cas de figure, si la Cedeao devait un jour intervenir militairement, le plus important serait de savoir ce qu’il adviendrait du Niger le jour d’après, et de façon plus générale, quelles seraient les conséquences dans l’ensemble sahélien. La Cedeao obtiendrait-elle le retour du président Muhamed Bazoum dans ses fonctions, et par voie de conséquence, le départ des auteurs du coup d’État ? Ce scénario me paraît improbable.
La Cedeao (composée majoritairement de pays pauvres) est impuissante à gérer un conflit régional majeur plus ou moins long. Elle n’a pas non plus les capacités ni les moyens d’une gestion post-conflit. Elle sera donc logiquement amenée à faire appel à un soutien américain ou européen.
Le Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères et les questions de sécurité et défense Josep Borell a proposé un soutien financier pour encourager l’intervention militaire. La Cedeao se verrait ainsi assumer un rôle de sous-traitant pour le compte de l’UE qui ne pourrait déployer sa force d’intervention rapide (5 000 militaires et 200 «experts»). L’UE s’ingérant par ce biais dans une affaire africaine.
Un troisième narratif fait observer que le terrorisme a conquis de nouveaux territoires et forcé les troupes françaises à battre en retraite. Redéployées en partie au Bénin, on peut penser que ces troupes auront des difficultés à enrayer la multiplication des attaques terroristes dans le nord de ce pays. Ce narratif fustige donc l’impuissance des troupes de l’ancienne puissance coloniale et appelle à son retrait. La France s’en défend mais les gouvernements du Mali, du Niger et du Burkina Faso ne lui font plus confiance. Le problème est là.
Quatrième narratif : les intérêts de la France. Ce narratif souligne le fait que l’enjeu véritable va au-delà du sauvetage du président Muhamed Bazoum, dans la mesure où le nouveau régime qui s’est installé à Niamey menace les intérêts de la France. Des intérêts par ailleurs ciblés par le regain de conscientisation politique des populations sahéliennes en général. Les élites politiques étant bien souvent perçues comme favorables aux intérêts de la France dans les pays du Sahel, les masses se révoltent contre leurs élites. C’est un sentiment en latence depuis des décennies.
Il est d’ailleurs reproché à l’ancien Président d’avoir reconduit la présence militaire française perçue par la population comme une force d’occupation. Pour la France, un retrait du Niger perturberait grandement le redéploiement de ses forces dans le Sahel.
Si les intérêts de la France pouvaient être préservés à court terme à la suite d’une éventuelle intervention militaire, c’est le Sahel qui en paierait le prix à moyen et long terme. L’instabilité et l’insécurité n’en seraient moins chroniques et très probablement.
à̀ l’infraction première du coup d’État viendrait s’ajouter une seconde erreur, celle d’un conflit régional aux conséquences incalculables et imprévisibles. Un nouveau désastre humanitaire surviendrait immanquablement, suivi d’un déferlement de réfugiés qu’aucun des pays belligérants ne serait en mesure de contenir.
le terrorisme trouverait une justification supplémentaire en prenant pour cible tant les intérêts de la France que les troupes de la Cedeao.
Dans le bras de fer en cours entre le Niger et la Cedeao, la France a déjà perdu un «round». Le Niger a dénoncé quatre accords de coopération de défense, dont deux textes sur le statut des forces françaises au Niger. Ce qui signifie qu’au-delà du préavis du 5 septembre, la présence des forces françaises deviendrait illégale.
D’autre part, la France ne pourra vraisemblablement pas compter sur un soutien américain. Les États-Unis seraient réticents à ouvrir un nouveau champ de confrontation ou à apporter un appui à la Cedeao. Leur priorité sont l’Ukraine (le président Biden aurait demandé au Congrès 24 milliards de dollars d’aide supplémentaire) et la Chine.
Pragmatiques comme ils savent l’être, ce ne serait pas le retour de l’ordre constitutionnel qui les intéresserait, mais la préservation de l’accord militaire signé en 2015 avec le Niger. Les États-Unis ont une base aérienne au nord d’Agadez qui leur permet de déployer des drones, des aéronefs de surveillance et des moyens de renseignement. Ils ont aussi un contingent d’un millier d’hommes à Niamey. Ils s’inquiètent donc que le Niger puisse un jour faire appel aux hommes de «Wagner».
Pour la France, cette menace n’est pas moindre dans la mesure où cette présence russe risquerait de la prendre à revers dans son «pré carré historique». Elle développe d’ailleurs un narratif au sujet de la dangerosité de «Wagner» qui ne semble cependant pas produire d’effet sur les dirigeants actuels des pays du Sahel, au contraire.
Dans ce contexte de grande incertitude, une intervention militaire de la Cedeao serait primordiale pour la France. Une présence des troupes de la Cedeao lui servirait de rempart face à «l’ingérence» russe et lui permettrait de protéger ses intérêts. Première bénéficiaire d’une intervention militaire, la France serait également le premier perdant si l’intervention de la Cedeao n’avait pas lieu.
La France étant devenue le premier exportateur d’électricité d’Europe, en bonne partie produite par ses centrales nucléaires, elle ne peut envisager de se voir privée de sa source d’approvisionnement d’uranium du Niger.
Un accord du mois de mai avec le gouvernement du Niger lui permet l’exploitation d’un site jusqu’en 2040, tandis que le groupe Orano (ex-Areva) étudie l’exploitation d’un nouveau gisement d’uranium qui serait l’un des plus grands au monde. Rappelons que les compagnies françaises exploitant l’uranium font peu de cas de l’environnement et du développement local.
Les déchets radioactifs sont abandonnés à l’air libre, exposant les populations locales à un niveau de radioactivité d’une dangerosité inadmissible.
Une menace potentielle supplémentaire pour elle serait de voir la Chine se rapprocher des sources de matières premières. L’enjeu est crucial, bien que certains analystes français laissent entendre que la part des importations de l’uranium du Niger a fortement diminué. Soit. Mais alors, quels seraient ces intérêts évoqués par le Président français ? «Aucune attaque contre la France et ses intérêts ne serait tolérée.» (sic). La France répliquerait «de manière immédiate et intraitable» (sic).
Cette seule mise en garde devrait alerter les dirigeants de la Cedeao sur le risque d’un engrenage militaire qui échapperait à tout contrôle et enflammerait la région.
Au vu des nouvelles données, un nouveau cycle historique semble s’ouvrir au Sahel : en ce qui concerne le Niger, serait-ce une volonté de reprise en main de son destin ou simple prise de pouvoir par des militaires ?
Les populations africaines, quant à elles, connectées à la globalisation, informées en temps réel sur ce qui se passe dans le monde et conscientes du double standard de la part des grandes puissances, accordent de moins en moins de crédit au narratif démocratique.
Les réactions de la France d’aujourd’hui rappellent celles de la Quatrième République qui voulut contrer le vent de la décolonisation.
La France se grandirait en prenant conscience que le retrait total de ses troupes du Sahel, réclamé depuis des décennies, est inéluctable. Ce retrait serait une mesure de confiance bienvenue et peut-être laisserait-elle une fenêtre ouverte sur l’avenir ?
Lors de sa tournée dans certains pays africains, le président Macron avait prophétisé depuis Libreville, au Gabon, le 2 mars 2022, que «l’âge de la ‘’Françafrique’’ est bien révolu». Il avait vu juste. Le crépuscule de la «Françafrique» se joue peut-être à Niamey.
H. B.



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