Qassaman n’en déplaise à qui veut

    

  Par Abdelkader Leklek

Depuis plus d’une semaine, dans toutes les rédactions des médias, sur tous les supports, de France et de Navarre, l’hymne national algérien est au sommaire de tous les journaux des chaînes générales, d’information ou celles dites à thèmes. Des tables rondes de consultants, de spécialistes et d’experts s’exercent à casser de l’Algérie, chacun selon sa chapelle.

Cependant, toutes et tous sont d’accord pour avouer que le décret présidentiel n°23-195 du 21 mai 2023 modifiant et complétant le décret n°86-45 du 11 mars 1986 déterminant les circonstances et les conditions d’interprétation, intégrale ou partielle, de l’hymne national, ainsi que les partitions musicales, complète et réduite, interprétées lors de cérémonies officielles, est passé inaperçu. Pour sous-entendre que ce règlement aurait un parfum de clandestinité et d’être passé sous cape. C’est, au final, une tournure de rhétorique introductive à toutes les formes de débinage sur le sujet. Car toutes les lois et tous les règlements promulgués sont publiés au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire, dont la consultation est publique et libre. Et puis, si ces panels de virtuoses du scoop, que dis-je, du tuyau crevé n’ont pas été si vigilants, ils n’ont qu’à changer de métier, ils ne manqueront à personne. Peut-être à leurs banquiers, et encore. Mais alors, de quoi s’agit-il ? Il est question en l’espèce d’une procédure normale, usuelle et courante qui consiste à modifier ou compléter des textes juridiques, pour les adapter, les ajuster, les remanier ou bien les rectifier. Dans le cas de ce décret polémique, selon l’entendement canalisé et téléguidé de ce microcosme de bobardiers français, trois articles de la précédente énonciation de cette réglementation régissant la question ont été modifiés pour ré-inclure le troisième couplet de l’hymne national Qassaman, duquel il aurait été expurgé. Assertion sans fondement car aucun changement structurel au substratum du texte n’est intervenu en cette occurrence modificative. Il s’agit de : en italique l’ancienne stipulation,
«Art. 3. — L’hymne national est exécuté, chant et musique, dans ses cinq (5) couplets, selon le cérémonial approprié, lors :
L’hymne national est exécuté chant et musique selon le cérémonial y afférent lors :
1) …………………… (sans changement) ……………………… ;
2) des commémorations officielles en présence du président de la République ; ………………… (le reste sans changement) ……………………».
la prestation du serment constitutionnelle du président de la République.
«art. 4. — l’hymne national est exécuté dans sa partition réduite au cours de cérémonials appropriés, lors :
l’hymne national est exécuté dans sa partition musicale réduite et suivant le cérémonial y afférent lors :
1) de la communication solennelle du président de la République à la nation ;
de communication solennelle du président de la République à la nation
2) des cérémonies officielles en présence du président de la république ;
de cérémonies et commémorations officielles impliquant la présence du président de la République.
3) des visites officielles des chefs d’état et des personnalités de même rang, hôtes de l’algérie, où l’hymne national est exécuté après l’hymne du pays étranger ; de voyages officiels de chefs d’état et de gouvernements hôtes de l’Algérie. et un rajout
4) des cérémonials militaires organisés au sein du ministère de la Défense nationale.
Pour ainsi dire, il n’y a eu aucun changement dans l’objet des termes du décret, à travers cette reformulation, et à chacun d’en juger preuves à l’appui. Pourtant, à partir de ce simple agencement circonstanciel de ce règlement, une levée de boucliers s’était engagée avec, en toile de fond, une surenchère, à qui alignerait la plus grosse enfilade d’accusations et de calomnies. Un bashing en bonne et due forme, avec une très large palette de coups de bec, en veux-tu, en voilà. Le florilège des attaques allait de «un couplet violemment hostile à la France vient d’être réintroduit dans l’hymne national algérien par décret du président Abdelmadjid Tebboune» au «un couplet aux accents anti-français réintroduit dans l’hymne algérien» en passant par «l’Algérie réintroduit dans son hymne Qassaman un couplet anti-France, ‘‘un peu à contretemps’’ pour Paris». Comme s’il s’agissait d’une amusette avec ce jeu, pour ne pas le citer, de constructions éphémères, constitué de pièces en plastique qui s’emboîtent, se déboîtent, se montent, se démontent, s’associent, se dissocient selon la dextérité et à la joie des gosses. Il s’agit, messieurs dames, de l’hymne d’une nation aussi important et apte à recevoir une dimension de vénérabilité intangible et inviolable. D’ailleurs, le recueil législatif et réglementaire algérien le mentionne explicitement depuis la loi 86/06 du 04 mars 1986 relative à l’hymne national, qui énonce dans son article premier que «la République algérienne démocratique et populaire a pour hymne national Qassaman dont le texte intégral, composé de cinq (5) couplets…».
Par ailleurs, depuis 1976, toutes les Constitutions algériennes, dans leurs révisions et leurs modifications, avaient institutionnalisé Qassaman hymne national de l’Algérie, avec une disposition notable et fondamentale contenue dans l’article 5 de la Constitution de 2008, qui dispose : «L’emblème national et l’hymne national sont des conquêtes de la Révolution du 1er Novembre 1954. Ils sont immuables. Ces deux symboles de la Révolution, devenus ceux de la République, se caractérisent comme suit : 1. L’emblème national est vert et blanc, frappé en son milieu d’une étoile et d’un croissant rouges. 2. L’hymne national est Qassaman dans l’intégralité de ses couplets.» Alors, de là à nous exhumer cette éculée antienne, que sous le règne de feu le président Chadli Bendjedid, le troisième couplet, qui, d’un coup, pose problème aux Français, aurait été retiré ou bien occulté. C’est une contre- vérité puisque en vertu de la loi de 1986 citée supra, l’hymne national en sa totale entièreté avait été légalement consacré quand Chadli était aux commandes du pays. Entre les intentions de bobardiers et la loi, il n’y a pas photo, comme disent en France les turfistes. Cette prétendue ré-exhumation de ce troisième couplet qui fâche est prétexte à tout. On évoque la visite du président Tebboune en Fédération de Russie, au lieu de se rendre en France. Il est aussi question du quota de visas accordé par la France aux Algériens, et également l’exfiltration par les services français d’une binationale algéro-française à partir d’un pays voisin de l’Algérie, alors qu’elle était sous condamnation judiciaire. J’en passe, et des meilleurs. Et enfin, la litanique ritournelle de la rente mémorielle.

Dès lors, cours-moi après que je t’attrape. Ce sont les gens du FLN qui gouvernent depuis l’indépendance de l’Algérie. Tous les officiers de l’Armée nationale populaire ont été formés en URSS et qu’ils auraient presque tous épousé des femmes soviétiques et que cela créait des liens. Ainsi, à court d’arguments qui tiennent la route, de pareilles allégations qui prennent des raccourcis qui n’en sont pas, font que la boucle est bouclée et on passe à autre chose avec la fausse assurance du devoir accompli. Monnayer les valeurs d’un peuple avec des visas, sinon les conditionner par la révision des accords algéro-français de 1968, et plus indécent de surcroît, marchandiser son mémoriel est réducteur pour des femmes et des hommes qui avaient libéré leur pays de la pire forme de colonialisme : la colonisation de peuplement, au prix fort. Inventer des réseaux de soviéto, sinon russophiles en Algérie, c’est du pur fantasme de péroreurs bien installés dans des salles de rédaction, ou bien campés face à des caméras, attendant de faire le buzz.

Combien d’Algériens ont fait des études en France et se sont mariés avec des Françaises, les militaires et les militants du FLN y compris ? Alors, messieurs les gazetiers en mal de netteté, pourquoi ce qui est vrai pour les uns ne le serait-il pas pour les autres ? Alors basta ! Suffit ! Toute cette faune de pseudochroniqueurs à la semaine conserve une endurance émotionnelle anachronique. Une forte dose d’irrésistibles pulsions qui les empêche de conscientiser les incalculables violences qui jalonnent indéfiniment leur histoire et les irrémissibles conséquences sur la vie et le quotidien des peuples dont ils avaient, par leur impérialisme, anéanti les structures sociétales et abruti les femmes et les hommes, jusqu’à les dépersonnaliser et à les abêtir. Il nous est demandé, pas moins, de renier notre mémoriel collectif et d’être infidèles à nous-mêmes. Soit ! Que les laudateurs français, et les officiels aussi, que le troisième couplet de Qassaman indispose exécutent eux-mêmes ce parjure et l’on avisera après. Quant à nous et sans chercher à nous cramponner à une quelconque spéculation, l’hymne national de l’Algérie nous invite à la fin de chaque couplet, surtout le troisième, à témoigner encore et encore, par trois fois. Cela nous suffit. Dans leurs élucubrations, quand l’argumentaire vint à se faire aride, et qu’il n’y a plus rien à tirer même en essorant, les télé-analystes s’accrochent, pour se valoriser, à n’importe quelle perche qui viendrait à leur être tendue.

Ainsi, un général de l’armée française à la retraite, pour se gonfler sur un plateau télé, avait cru reconnaître dans la musique du texte de Qassaman un timbre et une sonorité militaires, mais avec quelque part une tonalité française. Chacun a le droit de prendre ses propres illusions pour des réalités, même face à une évidence frontale. Cependant, il est de notoriété commune et manifeste que la quasi-totalité des hymnes nationaux de tous les pays du monde adoptent des partitions musicales occidentales, rythmées, saccadées et cadencées. Le contraire aurait été interpellant, mon général. Le fil à couper le beurre a été inventé aux temps bibliques. Ses comparses éditorialistes, quant à eux, focalisaient sur cette propriété du troisième couplet qui cite nommément la France et affirment que ce serait le seul hymne national au monde qui cite en la teneur de son texte un autre pays. Ceci n’est pas exact, même si cette particularité nous singulariserait parmi les nations.
«La seule manière de résister au mondial, c’est la singularité», dit le philosophe français Jean Baudrillard. Dans le corps du texte de l’hymne national de Pologne, «Marche Dabrowski», l’Italie et la Suède sont expressément citées, mais aussi un illustre Français, Napoléon. Ceci dit, selon les linguistes et les philologues, un texte doit se conformer à cette exigence élémentaire pour dire ce qu’il en est : être en conformité avec le réel. C’est pour cette simple raison et en respect de ce principe que le grand poète algérien Moufdi Zakaria s’était-il adressé à la France. Cette France colonialiste, impérialiste, qui, sourde, indifférente, cruelle, tyrannique et sanguinaire, n’avait accordé aucun crédit à toutes les initiatives de dialogue portées par des Algériens sincères dans leurs démarches avant le déclenchement de la glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954. C’est le philosophe français Michel Foucault qui disait pour essayer de dégager la matrice du discours philosophique : «un étrange discours qui prétend arriver à la vérité à partir du maintenant qui la supporte.» Ce maintenant est polysémique, c’est le temps du moment, celui du lieu occasionnel dans lequel l’auteur, dans notre cas, c’est Moufdi Zakaria, qui déclame ses vers dans une actualité précise et factuelle. Moufdi place son texte au sein de son époque, c’est son présent qu’il questionne, qui lui promet point de palabres et que désormais est venu le temps de la réponse adéquate. Moufdi scanda alors en tonnant :
«Ô France ! Le temps des palabres est révolu
Nous l’avons clos comme on ferme un livre
Ô France ! Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes
Prépare-toi ! Voici notre réponse
Le verdict, Notre révolution le rendra
Car nous avons décidé que l’Algérie vivra
Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! Soyez-en témoin ! »
À travers notre hymne national, loin de nous la prétention à travers ce symbole d’être universalistes. D’ailleurs, le premier terme du préambule de notre Constitution le déclare explicitement : «Le peuple algérien est un peuple libre, décidé à le demeurer.» C’est ce que vient de rappeler Monsieur le Président de la République le vendredi 16 juin 2023 à partir du Forum économique international de Saint-Pétersbourg, en Russie.
La beauté de ce texte, conquête de la Révolution du 1er novembre 1954, fut merveilleusement mise en musique par l’Égyptien Mohamed Fawzi.
Par ailleurs, chacun ses références. C’est ainsi que le texte de l’hymne français la Marseillaise clame : «L’étendard sanglant est levé.» «Que veut cette horde d’esclaves.» «Quoi ! Des cohortes étrangères.» «Mais ces despotes sanguinaires.» Chacun également se fera son propre jugement sur ces affirmations pour le moins bellicistes envers et contre tous. Et pareillement en direction de ces Français effarouchés, donneurs de leçons et colporteurs de post-vérité. L’étau de la logique inventé par les Grecs, qui, selon Max Weber, «a été un facteur décisif dans le processus de démythologisation de la civilisation occidentale», demeure valable et d’actualité. Il commande en tout état de cause une adéquation de la chose avec l’intellect. En clair, mesdames et messieurs de France et de Navarre, on ne revient pas sur l’Histoire. Quand, par un concours de circonstances, on a, dans sa propre histoire, raté le nanisme, il ne faut pas essayer de jouer aux géants dans l’histoire du monde.


A. L.


 

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