Le Professeur et Académicien Mustapha Meghraoui plaide pour la prévention des séismes

Pr. Mustapha Meghraoui
Pr. Mustapha Meghraoui

          par Chems Eddine Chitour*

Le mardi 6 février 2024 dans la salle de conférence de la Maison de Culture, bondée avec la participation en masse des corps comme la Protection civile, les Centres de recherches de l’armée mais aussi de l’Enseignement supérieur, de l’Habitat, de l’Intérieur, nous avons assisté et écouté avec attention qui a fait preuve de pédagogie en évitant les « équations » pour faire toucher du doigt mais aussi montrer des images impressionnantes de la colère de la Terre et la détresse et la désolation des paysages.

L’Algérie est une zone sismique, au cours de son histoire, elle a subi plusieurs séismes destructeurs. On peut citer : des séismes de forte intensité et puissants, de magnitudes 7,7 – 8 – 7,5 – 6,2 et 7,2 ont frappé Blida en 1826, Alger en 1365, 1622 et 1716, Oran en 1790, 1365, 1715, séisme d’Alger ; 1954 séisme d’Orléansville (El-Asnam), magnitude 6,7 ; 1980 séisme d’El Asnam, magnitude 7,1, le séisme de Jijel de 1856 peut être équivalent à celui d‘El Asnam, car il a occasionné beaucoup de dégâts beaucoup de tsunamis d’amplitudes modestes qui ont affecté la côte algérienne, en plus, dans la région de Tafna.

Pour se prémunir des effets désastreux des forts tremblements de terre, l’homme a, depuis les deux derniers siècles, déploie des efforts pour prédire leur survenance. La meilleure des prédictions reste donc la connaissance des effets des séismes passés pour se préparer aux effets des séismes qui auront lieu dans le futur.

Les participants étaient nombreux : Les ministères suivants ont été représentés : Défense nationale, Affaires étrangères, Santé, Enseignement supérieur, Habitat et Urbanisme, Ressources en eau, Travaux publics, Transports, Energie, Environnement. Messieurs les représentants : Gendarmerie Nationale (CGGN) ; (DGSN) ; Direction Générale de la Protection civile (DGPC) ; (CRAAG) (ASAL) (CNERIB) (CTC) Office national de la Météorologie (ONM) (CNERU) (CTTP) Sonelgaz, Sonatrach, SNTF

– Qui est Mustapha Meghraoui ?

Le professeur Mustapha Meghraoui est diplômé de l’Université de la vénérable Faculté des Sciences de l’Université d’Alger en géophysique et géologie en 1974. Il a entamé un parcours de longue durée, en réalisant son mémoire de doctorat sur la sismicité de la région de Chlef, où il est citoyen d’honneur. Il soutiendra une thèse de Doctorat en tectonique active et géologie des séismes en juin 1988 à l’Université d’Orsay (France) Il sera chercheur au CGAAG de 1988 à 1993, avant d’entamer une carrière internationale en temps qu’enseignant à l’Université de Strasbourg. Il a travaillé sur plusieurs projets internationaux, notamment le projet méditerranéen financé par l’UE, ainsi que des projets dans le Moyen-Orient (Jordanie, Liban, Syrie et Turquie) et en Algérie (Boumerdès). Il a travaillé avec des étudiants de différents pays, tels que l’Algérie, le Liban, la Syrie, la Turquie, le Maroc et le Sénégal. M. Meghraoui est membre de l’Académie algérienne des sciences des technologies et vice-président de la Commission séismologique africaine. Il représente souvent l’Algérie, lors de grands symposiums et colloques internationaux.

De par son savoir et son savoir-faire, le professeur Meghraoui a souvent été appelé dans tous les pays où les séismes sont fréquents. Il travaillé en étroite collaboration avec le centre de recherche, syrien sur le projet « Apamée» « un site archéologique en Syrie situé près de l’Oronte, à 55 km au nord-ouest de Hama, juste à côté d’Idleb. Il a aussi travaillé avec les centres de recherche turcs dont l’Institut technique d’Istanbul de l’Université d’Istanbul.

– Prévision des catastrophes

Prévoir oui, prédire non. Déclare le professeur Meghraoui. Il faut nuancer, les chercheurs étudient et analysent les sols pour remonter l’histoire des régions, ce qui est important pour montrer que les régions où il y a eu un tremblement de terre auront probablement un autre tremblement de terre. Cependant, la période de récurrence de ces tremblements est variable et peut aller de 1 à 10 siècles, Même dans les régions où il n’y a pas eu de tremblement de terre, il y a une incidence sismique et un tremblement de terre se produira tôt ou tard. Cependant, il est crucial que les autorités compétentes veillent à l’application rigoureuse de ces codes dans le domaine de la construction. Sinon, en cas de séisme, les conséquences peuvent être dévastatrices, comme cela a été le cas à Boumerdès où les constructions ont été faites avec du sable des rives et du béton, ce qui a entraîné une tragédie. Les exemples de Turquie et de Syrie montrent l’importance de suivre les codes parasismiques pour éviter une catastrophe similaire. » (1)

– Les principaux séismes en Algérie

L’Algérie est une région sujette à des séismes aussi bien au nord que dans le Hauts Plateaux. Ainsi, la région de Sétif est une région sensible aux tremblements de Terre. On raconte qu’à (Setifis) Setif qu’en l’an 202, un violent tremblement de terre sema la panique, amenant les gens à se convertir au christianisme. Bien plus tard, en l’An 419, Sitifis subit un violent tremblement de terre qui la détruisit au 5/6ème. En février 1960 le séisme provoqua la mort de quarante-sept personnes dans la région de Sétif. Deux douars ont particulièrement souffert du séisme : Melouza et Beni-Ilmane ne sont plus que ruine et chaos, Ce tremblement de terre, je l’ai ressenti en temps qu’élève du moyen au collège et fut pour moi une terreur du fait que la terre a tremblé plusieurs fois » Une étude intéressante sur les séismes en Algérie, a été faite. Elle rapporte le listing de plusieurs dizains de séismes de différentes intensités depuis ces trois derniers siècles : « Nous nous intéressons dans ce travail à la sismicité du xviiie siècle, ressentie à Alger, à travers les archives françaises. Cinquante séismes rencontrés ayant ébranlé fortement la capitale, quelques événements destructeurs sont dénombrés dans un rayon de moins de 100 km avec parmi eux le fameux séisme du 3 février 1716 produit près d’Alger, la séquence survenue en 1722, engendrant un séisme qui aurait provoqué la destruction de la ville de Miliana (90 km au sud-ouest d’Alger), la secousse qui aurait détruit, en 1760, une grande partie de la ville de Blida (40 km au sud), ou le séisme d’octobre 1790 ayant touché la ville de Médéa (60 km au sud), mais qui fut occulté par l’historique séisme de l’Oranie qui avait eu lieu quinze jours auparavant » .

« La sismicité ressentie à Alger au xviiie siècle est encore très peu connue. Dès 1847, Alexis Perrey à travers son mémoire intitulé : ‘Note sur les tremblements de terre en Algérie et dans l’Afrique septentrionale’. Le premier séisme qu’il mentionne aurait eu lieu à la fin du mois d’octobre de l’année 1541, « tremblement de terre qui fit manquer à Charles Quint son expédition contre Alger, parce qu’il fut accompagné d’une tempête qui dissipa la flotte ».

L’enchaînement des événements dans le catalogue de Perrey fait suite immédiatement aux séismes survenus en Algérie, au xviiie siècle ; on dénombre 10 dates.

« 1715. – 29 janvier, secousses à Alger ; elles durèrent plusieurs jours…magnitude 7.5, 20.000 morts

« 1716. – 3 février, 2 heures, du matin, à Alger, tremblement violent ; beaucoup de maisons renversées.

3 février 1716. Il fut dévastateur et aurait affecté toute la région comprise entre Alger et la rivière du Chéliff vers neuf heures moins le quart : « En mai et juin, violents tremblements à Alger ; plus de 20 mille personnes périrent. On les ressentit en Sicile ».

« 1755. – 1er novembre, fameux tremblement de terre de Lisbonne… À Alger, il n’y a pas eu une seule maison qui ne fut plus ou moins endommagée. »

« 1772. – 18 avril, 2h30 minutes, 4h 45 minutes, et 17h et quelques minutes, à Alger, trois fortes secousses. »

« 1790. – 8,9 et 10 octobre, à Oran, secousses violentes qui détruisirent la ville, ébranlèrent toute la côte africaine, et s’étendirent jusqu’en Espagne… »

« 1791. – 29 octobre, à Oran, un fort tremblement de terre. »

« 1792. – 7 mars, tremblement à Alger. »

Le tremblement de terre du mois d’octobre 1790 a considérablement endommagé le Fort. Une année plus tard, soit le 12 septembre 1791, suite au traité signé avec le Dey, les Espagnols quittent définitivement Oran et Mers el-Kébir. Les forts ont été détruits 1856 Djidjelli (Jijel) le port est détruit par un raz-de-marée avec des vagues de plusieurs mètres de hauteur.

1950 Béjaïa (Bougie) : 12 février 1950 magnitude 5.6, 264 morts, 1.000 maisons détruites.

1954 Chlef (Orléansville, EL Asnam): 9 septembre 1954 magnitude 6.7, 1.243 morts, 20.000 bâtiments détruits.

1960 Setif Melouza: 21 février 1960 magnitude 5.5, 47 morts.

1965 M’sila : 1er janvier 1965 magnitude 5.5, 5 morts.

2003 Boumerdès (algérois) : 21 mai 2003 magnitude 6.2 et 6.8, 2.278 morts, 10.261 blessés, 119. 000 personnes sinistrées. C’est le plus fort tremblement de terre enregistré et ressenti depuis le séisme d’Alger du 3 février 1716. Il a, par ailleurs, provoqué un raz-de-marée (mini tsunami) qui est arrivé jusqu’aux Baléares » (3).

– Des normes exceptionnelles mais dont l’application devrait être améliorée

En plus de soixante ans de développement l’Algérie a quintuplé son parc logements et décuplé le reste de ses infrastructures et de son environnement bâti. Ce patrimoine est exposé à un certain nombre d’aléas naturels dont le plus important est l’aléa sismique auquel est soumise toute la partie nord du pays, avec 90 % de la population et du domaine bâti et l’essentiel de son potentiel économique

L’une des premières lois récentes est La loi 04-20 sur les risques majeurs et la gestion des catastrophes qui entre dans le cadre du développement durable et qui a été adoptée en 2004. S’en est suivi ensuite plusieurs textes, de plus en plus contraignants en matière de construction.

Pour le Professeur Meghraoui, l’Algérie possède l’un des meilleurs codes parasismiques au monde grâce à l’expertise de mes collègues du Centre parasismique d’Hussein Dey à Alger et des sismologues de Bouzaréah. Je suis fier dit-il de leur travail qui a permis de modéliser et d’affiner un code parasismique impeccable.

Il faut dire que l’Algérie est actuellement le seul pays en Afrique et dans le monde arabe à disposer d’un règlement parasismique d’application obligatoire Ce règlement de conception et de calcul associé aux autres règlements techniques de construction édictés par les pouvoirs publics contribuent à obtenir des constructions résistant aux sollicitations sismiques et à réduire ainsi l’essentiel du risque sismique lié aux nouvelles constructions..

Cependant, le professeur Belazougui directeur du Centre national de Recherche appliquée en génie parasismique (CGS), spécialiste de la sismicité en Algérie avait déjà, il y a quelques années fortement douté du respect strict des normes parasismiques dans toutes les constructions érigées au cours de ces dernières années. Il y a donc une vigilance accrue à mettre en œuvre.

– L’élite du pays dans le domaine sismique

L’Algérie compte des compétences avérées dans ce difficile domaine où il faut tout le temps être gardé. Professeur Meghraoui a évoqué le souvenir du premier directeur du CRAAG, le regrétté Hadj Benhallou. Il a évoqué la perte de Assia Harbi Directrice de recherche au CRAAG. Dans le même ordre, à l’Ecole Polytechnique le professeur Boualem Tiliouine ancien de Stanford élève du professeur Shah, comme le professeur Bendimered lui-même, ancien de l’Ecole et qui a poursuivi une carrière à Stanford ; Il a d’ailleurs été appelé lors du séisme de Boumerdès. Boualem Tiliouine continue encore à faire soutenir des thèses, alors qu’il a été mis à la retraite parce que il a dépassé le couperet des 70 ans qui tombe d’une façon indifférenciée sur ceux qui continuent à produire de la science et ceux qui à l’évidence sont en bout de course.

Nous ne pouvons pas conclure cette contribution sans citer le travail remarquable de la Protection civile, qui a tout le temps répondu présent avec professionnalisme. Cela va même plus loin beaucoup de pays où la Protection civile a intervenu n’ont pas tari d’éloges sur leur compétence et empathie. De même le Croissant-Rouge a aussi bien représenté honorablement le pays

Conclusion

La conférence du Professeur et Académicien Mustapha Meghraoui était passionnante et beaucoup de questions lui ont été posées. Le maître mot est la formation pour être toujours up to date, mais aussi et plus largement la prévention au niveau des autorités avec des textes qui encadrent la construction ; A ce titre, au Sénat nous avons adopté après l’Assemblée une nouvelle loi qui est beaucoup plus complète où la notion de catastrophe est étendue à toutes les « agressions » qu’elles soient naturelles (séisme, inondation, incendie) mais aussi scientifique (cybercriminalité). Il reste à mettre en conformité les textes d’application avec la loi

Nous devons, plus que jamais, faire honneur à la science , un professeur qui peut encore enseigner et faire de la recherche devrait se voir proposer un contrat souple qui permettrait à l’Université algérienne de dispenser ce qu’il y a de mieux dans la science au plus grand nombre et notamment aux jeunes universités qui auraient l’honneur de recevoir des sommités scientifiques mais aussi des références en termes d’éthique et de déontologie./


*Professeur , Ecole Polytechnique Alger


Notes

1.Mustapha Meghraoui, .https://www.elmoudjahid.com/fr/actualite/mustapha-meghraoui-sismologue-l-algerie-possede-l-un-des-meilleurs-codes-parasismiques-au-monde-195292

2.Marcel Thiebaulthttps://www.lemonde.fr/archives/article/1960/02/23/quarante-sept-morts-dans-le-tremblement-de-terre-de-melouza_2101218_1819218.html

3.Amal Sebaï , Pascal Bernard ++-https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1631071308000977


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