LIVRES / DESTINÉES CROISÉES !

     par Belkacem Ahcene-Djaballah   

                                                 Livres

Les Gens du Peuplier. Roman de Arezki Metref, Casbah Editions, Alger 2023, 233 pages, 1 200 DA

Un quartier populaire et populeux, «Le Peuplier», juste avant et juste après l’Indépendance du pays. Et, une bande d’adolescents, malmenés par la guerre et les privations vivant presque en vase clos, se nourrissant de rencontres de foot interminables (avec des balles faites de chiffons), d’illustrés (quand ils étaient disponibles), de films bas de gamme (quand cela était possible financièrement… sinon l’un d’entre eux assistait à la séance grâce à la cotisation puis devait raconter le film), d’échos, bien souvent confus, sur la résistance anticoloniale clandestine et la guerre de libération nationale… L’établissement scolaire était partagé à parts égales avec les soldats de l’armée coloniale. Une situation qui va nourrir l’imaginaire des enfants de la cité, qui vont chacun à sa manière s’inscrire dans une résistance à l’ordre établi.

Dans cette école, refuser de se plier aux injonctions des militaires était perçu comme un acte héroïque digne des moudjahidine, alors qu’exécuter les corvées imposées par les soldats était proche de l’acte de trahison pour ces enfants. Puis, par la suite, avec l’indépendance du pays l’émergence de nouveaux héros (dont Col. Mao, le premier président du pays), et surtout la fréquentation d’adultes originaux racontant leurs «vies» d’antan et d’ailleurs. Toujours enjolivé, cela allait de soi.

On a donc des jeunes vies se croisant : Boubekeur Atamar (fraîchement arrivé dans cette cité en 1958, à l’âge de six ans), le fou de cinéma qui, après les études de cinéma en Urss, s’en ira à Hollywood et sous le nom de Bob Atmar, sera, après avoir été simple script, «oscarisé», Jam, son grand copain, lui aussi fou de cinéma mais qui finira bistrotier à Paris, Lavraq le footeux séduisant par ses tirs et dribbles qui deviendra joueur de l’équipe nationale, Mouloud, futur Dg de l’hôtel le plus prestigieux d’Alger,… Dans le camp des adultes, on a, entre autres, Bouftika le boucher philosophe, Omar l’affabulateur, le «Homère» de la «Cité du Peuplier» et Zoubir alias Zampano «véritable bonimenteur de foire, habile à faire passer le jour pour la nuit»… mais qui a tout même réussi à restaurer son image quelque peu écornée par un gros mensonge à ramener, un jour… à la cité, au Café des Amis,… Anna Karina (venue à Alger tourner un film).

Destins croisés avec, pour certains, des amours d’adolescents se limitant à des échanges furtifs de petits mots ! Destinées différentes ! Portraits d’une génération et, avec elle, d’un pays malmené par les tourments de la guerre puis de la violence. Plus tard, Bob Atmar revient à la cité «Le Peuplier», à ses bras, incognito, la plus célèbre et «la plus rentable» des stars d’Hollywood. Une idée fixe depuis qu’il avait décroché son Oscar de meilleur scénariste de l’année : remettre le Trophée à Baba Salem. Pourquoi donc ? Gabriel Garcia Marquez disait que «la vie n’est pas ce qu’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient».

L’Auteur : Né en mai 1952 à Sour El-Ghozlane. Sciences Po’ Alger. Journaliste-chroniqueur (El Moudjahid, Algérie Actualité, Horizons, Nouvel Hebdo, Le Soir d’Algérie…), écrivain, poète, documentariste, auteur de plusieurs recueils de poésie, de nouvelles et de romans, de pièces de théâtre, d’essais…

Table des matières : Prologue/ Le Peuplier de la cour de l’école/ Aïcha, mère d’un Oas/ Le boucher philosophe/ Omar, notre Homère/ Le sosie de Col. Mao/Zampano amena Anna Karina au Café des Amis/ Maya

Extraits : «On finit pas déduire que parler était un boulot et que ça nourrissait son homme (…).On en était arrivés à la conclusion qu’il était urgent de permuter le dicton, que c’était la parole qui était d’or, et non le silence» (p 84), «Notre vie était partagée entre l’amour de la patrie et l’amour du foot. Souvent, l’un et l‘autre se rejoignaient» (p 105) «Le bon vieux docteur Benriben (qui) avait tant côtoyé les malades désargentées qu’il avait fini par devenir lui-même un remède» (p107),» Notre existence se tenait là, dans cette rotation de chiffes enroulées en globe. Rouler cette balle sur un terrain boueux ou un tapis de cailloux, était notre raison d’être. Nous en oubliions de boire, de manger, de jouer à d’autres jeux et même parfois d’aller à l’école» (p115), «Par l’un de ces processus imbéciles qu’on finit un jour par comprendre, nous assimilions le foot à la guerre. Il fallait gagner. L’indépendance était en jeu» (p117), «Puis était venu le temps des assassins et de la peur, d’un nouvel exil… Âmes en peine, âmes morts, âmes sans repos, errant à travers la topographie des exils, des villes et des pays des autres» (p231)

Avis : Démarrage de la lecture quelque peu laborieux mais la suite et la fin sont un régal de récit et d’écriture. Avec des portraits savoureux de personnages et des moments… qu’on a, presque tous, à un moment ou à un autre de notre (jeune) vie croisés, affrontés, rencontrés, écoutés… Il ne s’agit nullement d’une chronique du temps qui passe, mais aussi et surtout une interrogation originale sur l’exil, l’amour et le destin du pays.

Citations : «Avoir grandi dans la guerre prédestine à la résistance ou, du moins, à l’une de ses formes, la persistance. Quoi qu’on ait fait de nos vies, elles se sont poursuivies à la fois banales et singulières» (p 28), «Lire, c’est pouvoir relire, et cela permet de se repasser le film, de telle sorte que son organisation permet de relier et de synchroniser l’imagination à son propre rythme» (p 95), «Cette discrétion (note : l’origine) est une vertu américaine reposant sur le postulat : à l’exception des Indiens, tout Américain vient à un moment ou à un autre de quelque part. Ce n’était pas le cas en France…» (pp182-183), «Je ruminais de savoir si l’échec collectif de tout un peuple était la somme des échecs individuels, ou si au contraire l’échec générique de notre peuple avait été distribué en une sorte de rente proportionnelle à chacun» (p207)

Mes cousins des Amériques. Récit de Arezki Metref. Koukou Editions, Alger 2017, 214 pages, 800 dinars. (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel, extraits. Fiche de lecture complète in www.almanach-dz.com/ tourisme/ bibliothèque dalmanach)

Les textes avaient été présentés en «morceaux» par «Le Soir d’Algérie». Hélas, c’est un phénomène lié à la lecture -actuelle- dans notre pays : nous lisons mal notre presse, nous contentant, la plupart du temps, soit d’un parcours très rapide, des titres (et, bien sûr, ce sont les plus «accrocheurs» qui prennent le pas) et «en diagonale» des textes, soit des informations sportives et/ou des mots croisés. D’où, peut-être, car je n’en suis pas sûr, l’ignorance et/ou l’oubli rapide… sauf chez les amis et les mordus du journal ou de la signature.

Heureusement, les «morceaux» sont, aujourd’hui, recollés avec un résultat «magni-fake», qui se lit d’un seul trait. L’histoire d’un «road-trip» comme on en a vu rarement dans notre édition (Peut-être Chawki Amari avec «Nationale 1», un carnet de route sur la légendaire route de 2400 km menant de Bir Mourad Raïs à In Guezzam, Casbah éditions, 2007 ? Peut-être Reda Brixi avec ses grands reportages publiés par Le Quotidien d’Oran ?) et qui devrait se multiplier pour faire connaître certes nos journalistes-écrivains mais aussi et surtout pour mieux (faire) connaître notre pays et le monde, et sortir nos concitoyens de l’enfermement culturel… et idéologique.

L’auteur, grand admirateur de Jack Kerouac (écrivain, poète et romancier américain ; un des chefs de file de la «Beat génération» et des «beatniks», auteur, entre autres, d’un ouvrage, en 1957, qui avait fait date : «Sur la route»), c’est-à-dire bouffé par la «démangeaison du vagabondage» et élevé, fort heureusement, comme beaucoup d’entre nous, au biberon des mythes de la «culture de masse» des années 60-70, a réalisé son rêve : partir à la recherche de l’Algérien en Amériques (Usa et Canada). D’abord au States (San Francisco, Bonanza, Silicon Valley, Salinas, Hollywood, San Diego…), ensuite au Canada «Un berbère au pays des Iroquois» : Montréal, Ottawa…), et une virée marathonienne à New York.

L’Auteur : Voir plus haut

Extraits : (…) «L’Amérique m’a appris à ne pas juger mais à essayer de comprendre» (Un «cousin» d’Amérique, p 62), «Sans doute, y a-t-il un savoir-faire américain, une sorte d’ingénierie dans l’art de créer une histoire avec trois fois rien» (p 65), (…),«A New York, il faut tout le temps tout nettoyer, et quand on a fini c’est juste «pas sale» (Andy Warhol, p 199)

Avis : Du grand, du très grand «grand reportage» !

Citations : «Un voyage se fait en trois fois. Et chacune de ces fois est différente :1-La première en est la conception. C’est la préparation et la projection… 2- La seconde fois, c’est le voyage physique, autrement dit le déplacement…3- Mais pour moi, le meilleur voyage, c’est le troisième. Le moment où l’on écrit les deux premiers…» (p 11), «Où que tu ailles, un Algérien te précède» (p 26), (…)

PS : Ouvrage d’auteur algérien et édité à l’étranger (en français): «L’Algérie juive. L’Autre moi que je connais si peu» par Hedia Salhi (finaliste du Prix Mohamed Dib 2022). Editions Altaya, Paris 2023. «Une des nuances les plus authentiques d’un creuset multiculturel et multiethnique plusieurs fois millénaire».

Ouvrage d’auteur algérien édité en Algérie (en arabe) : «Cinquante clés pour l’Indépendance» par Abdelmadjid Merdaci (traduit du français par Khalsa Goumazi).Editions El Hibr, Alger 2023. «Articles de presse sur le mouvement indépendantiste. Des éclairages historiques»


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