LIVRES / A L’OUEST… DU NOUVEAU !

par Belkacem Ahcene-Djaballah     

Livres
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De Robba à Hassiba. Dialogues avec les miens. Essai de Omar Benbekhti. Editions Haya, Oran 2023, 149 pages, 900 dinars.

Traverser les espaces et les siècles, se plonger dans les aventures des personnages illustres, voilà la grande tentation de l’auteur qui voulait aller à la rencontre de tous ceux qui avaient construit l’histoire du pays. Il propose donc propose un long, très long voyage, dans le temps, pour raconter l’histoire de l’Algérie à travers des entretiens qu’il a eus avec ses plus illustres personnages historiques. En dressant des esquisses de portraits et en en parlant au présent de l’indicatif, nos héros algériens deviennent des hommes et des femmes comme on en croise au quotidien, avec leurs qualités et leurs défauts, et leurs sentiments. La vérité «subjectivisée» prend alors le dessus sur la réalité. Il est vrai que l’auteur, sociologue de métier et éternel militant de la cause nationale, n’y va pas de «main morte», allant parfois jusqu’à tenter de démythifier certains pans et points (encore obscurs) de l’Histoire et jusqu’à être amer et sévère à l’endroit des «gens d’aujourd’hui»… «prédateurs, brigands, écumeurs, pillards, voleurs, parasites et indifférents au bien public, aux biens communs… irresponsables, sans scrupules, malhonnêtes, sans intégrité, rarement incorruptibles…» ou «Aujourd’hui, les Algériens ne rêvent plus, ils fantasment. Une humanité en berne en a fait des sourds parlant, muets sans langage ni signes, lecteurs aphones sevrés d’écrits… Orphelins de la pensée, interdits de séjour au royaume du doute et de la critique, inscrits au registre de la liberté provisoire»». Des vérités qui peuvent blesser certes, mais quelque part, des vérités quand même.

Le long périple à travers l’histoire du pays et de ses ancêtres, bien qu’assez sélectif (il y a tant et tant de moments, de lieux et d’hommes et de femmes d’héroïsme) a permis donc d’assister, presque en direct, aux rencontres avec : Massinissa, Syphax et les guerres puniques, Carthage et les Numides, Augustin et les Donatistes, Robba (la première femme berbère résistante), l’arrivée des Arabes et de l’Islam conquérant, Tarik Ibn Ziad, Ibn Khaldoun, Boabdil, l’Emir Abd El-Kader, Fatma N’soumer, Larbi Ben M’hidi, Hassiba Ben Bouali, le jour d’indépendance, les héros et les usurpateurs, octobre 88, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun…

L’Auteur : Enseignant universitaire, consultant, ayant occupé plusieurs fonctions administratives et scientifiques. Plusieurs ouvrages déjà publiés en Algérie (Opu, Dar El Gharb) et à l’étranger (Codesria Dakar, Riveneuve Editions Paris)

Table des matières : I/L’héritage mythique, II/L’héritage culture, Monologue pour un devenir

Extraits : «Les tyrans, ça pousse encore et partout comme des champignons… J’ai surtout appris qu’on ne peut pas l’exercer tout seul (note : le pouvoir), car beaucoup de tyrans finissent comme des chiens, ils finissent assassinés, ou dans la solitude et l’exécration de leur peuple… À exercer le pouvoir seul, on finit par en devenir possédé (p16), «Allez expliquer à un Algérien d’aujourd’hui (…) que dans ses veines coule probablement du sang romain, vandale ou byzantin ! Quatorze siècles plus tard, beaucoup prétendent n’être que des Arabes, voire descendants du prophète ! L’ignorance demeure indélébile quel que soit le détergent de la pensée utilisé» (p42), «Il ne peut y avoir en régime colonial ni saint, ni héros, pas même le modeste talent, parce que le colonialisme ne libère pas, il contraint ; il n’élève pas, il opprime ; il n’exalte pas, il désespère ou stérilise ; il ne fait pas communier, il divise, il isole, il emmure chaque homme dans une solitude sans espoir» (p137)

Avis : Une manière assez originale et attractive d’écrire et de raconter la très riche histoire du pays… même aux enfants. À travers des dialogues imaginaires, on a une multitude de rencontres et de découvertes de personnages et de lieux bien souvent (volontairement ou non) oublié ou méconnus. Un livre qui se déguste à petites doses.

Citations : «La «communauté internationale» n’a pas de porte-parole, ni une adresse précise, ni de numéro de téléphone. Elle n’est qu’un mythe, comme tant d’autres, fabriqués par un Occident espérant ainsi asseoir sa seule domination, donc sa seule vision, sa seule volonté» (p19) , «La mer Méditerranée n’était pas une «mare nostrum» mais plutôt une «mare mortem», comme elle l’est d’ailleurs aujourd’hui, charriant des milliers de migrants qu’elle engloutit jour après jour» (p29), «Ce qui rend fou les humains : l’égo, l’argent, l’ambition et le pouvoir» (p38), «Ce n’est pas le fait d’être conseiller du pouvoir qui est dangereux, c’est le fait du prince qui est plutôt menaçant» (p63), «L’unicité amène à la perte avec le temps. Seule la diversité enrichit et régénère» (p66), «Il y a ceux qui ont besoin du pouvoir pour respirer, pour être, ou pour croire qu’ils vivent ; par contre, celui qui cultive son indépendance s’inscrit dans la solitude. L’orgueil, ça sert aussi à tenir debout» (p78), «Malheureusement, les Algériens se focalisent plus sur la religion que sur leur histoire. Seule l’histoire peut donner du sens à leur présent «(p100), «La croyance extrême conduit fatalement à une forme de déchéance de l’humain» (p135), «Les Algériens habitent un carrefour. On ne s’arrête pas à un carrefour, on le traverse et plusieurs directions se présentent. L’Algérie est coincée dans un carrefour, ne sachant pas quelle direction prendre ; et le peuple algérien ne sait pas qui il est. Il vit sous une identité escroquée» (p148)

Youmma ou les incertitudes de la vie. Roman de Ahmed Saifi Benziane. Editions Haya, Oran 2023, 135 pages, 900 dinars.

C’est une histoire pas banale du tout que celle racontée -avec simplicité et clarté- par l’auteur.

Une histoire pas banale seulement dans l’imaginaire populaire qui sévit depuis quelques décennies en Algérie en raison de fantasmes religieux et nationalistes radicaux ; fantasmes qui ont profondément déformé la pensée populaire… et aussi celle de certaines parties de notre «élite» juive

Une histoire d’amour -juste à la fin et juste après la guerre de libération nationale vécue intensément par un jeune Algérien de confession musulmane et une jeune fille de confession juive. Une histoire d’amour qui à mon avis n’est pas la seule ; le drame de ces grands amours (plus grands que celui de Roméo et Juliette) était qu’ils devaient rester cachés tant les a priori religieux et communautaires (ajoutez-y à l’époque ceux politiques), malgré les relations souvent très amicales, étaient empêchant tout «écart».

Une histoire pas banale qui commence -bien après l’Indépendance- la (més-)aventure d’un jeune journaliste, lequel revenant d’une soirée entre amis bien arrosée eut le courage (ou le culot) de regagner, en pleine nuit, le domicile familial en traversant le cimetière du quartier. A un certain moment… une voix de femme l’interpelle.

A partir de là, comme tout bon journaliste qui se respecte, il va chercher à savoir… en partant à la recherche d’informations sur des morts «oubliés»… ce qui n’eut pas l’heur de plaire à sa maman-poule, au vieux gardien du cimetière et à son oncle maternel.

Une histoire pas banale, disais-je,… qui se termine de manière assez surprenante… et, aussi pour notre journaliste célibataire, une fin heureuse… Un mariage d’amour !

L’Auteur : Économiste. Enfance de guerre, adolescence de pénuries et âge adulte tumultueux. Déjà un roman (en 2004), un recueil de chroniques (en 2021) et un essai sur « Repenser l’université» (un ouvrage collectif)

Extraits : «Le niveau de Terminale est idéal pour les belles-filles. Elles conservent leurs fraîcheurs de lycéennes et elles sont dispensées des doutes sexuels qui pèsent sur celles qui sont parties plus loin dans leurs études. En apparence. La Terminale demeure effectivement le meilleur niveau pour une carrière de mariage» (p25), «Le destin n’accepte que les histoires linéaires, celles qui partent de la naissance à la mort dans le respect des règles établies, sans déviations, sans résistances, sans volonté de changer en dehors de ce qui est écrit. Écrit sur le front de chacun, selon ma mère, et qu’aucune main ne peut plus effacer. Écrit mais illisible pour les mortels» (p128)

Avis : Ne serait-ce que parce qu’il aborde un sujet (sinon plusieurs) tabou, un roman (et un auteur) à (re-)découvrir.

Citations : «Vous n’avez, vous les vivants, aucun respect pour les sages. Seule la mort les rend importants à vos yeux. Une fois que vous les perdez, une fois que vous n’aurez plus personne à haïr, alors vous transmettez la haine aux autres vivants» (p54), «Il n’y a pas pire attitude que celle de laisser croire à quelqu’un qu’il a raison en sachant que la vérité n’est pas là» (p87)

PS : – Ouvrage publié en Algérie en arabe par un auteur Algérien : «Bachtarzi aux Etats-Unis, le voyage tardif» («Bachtarzi fi America/El Rihla El Moutaakhira»). Essai de H’mida Layachi (Préface de Saïd Khatibi). Editions Dar El Watan, Alger 2023, 66 pages. Un ouvrage qui met en lumière une portion méconnue d’un des noms les plus marquants du théâtre algérien.


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