Le drame palestinien : télescopage entre le récit biblique et l’histoire du temps présent

   

par Nadir Marouf *

Depuis quelque temps, je m’apprêtais à rédiger ce papier. Des amis proches m’en ont dissuadé au motif que le drame palestinien d’aujourd’hui en appelle à des protagonistes contemporains, dont les enjeux renvoient à la géopolitique du 21e siècle qui refaçonne, pour le meilleur ou pour le pire, les solidarités à l’échelle de la planète.

Quand le gouvernement de Netannyahou claironne que la Palestine est une terre promise à Israël, que les patriarches conduits par Abraham pour apporter la bonne parole aux mécréants de Canaan, ce peuple de Loth vivant à Sodome fut détruit par le feu. Cet épisode remonte au 19e siècle avant l’ère chrétienne.

L’arrivée des douze tribus d’Israël issues de Jacob, nommé Israël, correspond à un établissement humain couvrant l’Egypte et la Palestine. Sept siècles plus tard, la sortie d’Egypte de Moïse vers le Sinaï donne lieu à une appropriation de la Palestine, sous la conduite de Joshua, lieutenant de ce dernier, au nom d’une seconde éradication des Cananéens, passés par le fil de l’épée.

Il s’avère que ces derniers vouaient un culte à des divinités agraires, aux fins propitiatoires. Ainsi, Baal était le dieu du grain, Dagon le dieu de la charrue, Astarté la déesse de la fécondité, etc. Ces cultes ont existé dans le bassin méditerranéen, comme les Saturnales gréco-romaines. En Afrique du Nord, notamment dans les piémonts de l’Atlas, nous avons affaire au Panthéon de même nature, par-delà la religion monothéiste à laquelle les peuples du Maghreb étaient attachés. Abdellah Hammoudi a publié au Seuil, en 1988, un ouvrage intitulé : « La victime et ses masques. Essai sur le sacrifice et la mascarade au Maghreb ».

Il s’agit d’une enquête ethnographique rendant compte des rituels à l’occasion de fêtes religieuses comme Achoura, entre autres, dans la région de Beni Mellal, où les pratiques syncrétiques font apparaître des fidèles musulmans et juifs.

Ces rituels sont légion dans le milieu rural. Ils évoquent ceux des Cananéens du temps biblique. Il ressort que les motifs d’éviction de ce peuple n’avaient aucun rapport avec la religion monothéiste (cf. Livre de Josué, Pentateuque). Le motif non avoué était l’accaparement des terres de ces autochtones, gagnés à la civilisation agraire, par un peuple d’extraction nomade, venu de Mésopotamie, fuyant l’inclémence des terres arides abandonnées en Chaldée et autres régions du Tigre devenues trop exiguës pour un peuple qui a connu la Révolution néolithique et dont la transformation des comportements (cf. F. Engels, « L’origine de la famille, de la propriété et de l’Etat », s’inspirant de Lewis Morgan ) a donné lieu à une démographie disproportionnée par rapport à l’exiguïté de l’écosystème nourricier.

L’exode des populations mésopotamiennes, d’extraction acadienne, a donné lieu à ce que l’hagiologie biblique appelle « l’ère des patriarches ».

L’entrée à Canaan et en Égypte correspond à la quête de terres à exploiter et de terres de parcours pour le cheptel. Dans « Le judaïsme antique », Max Weber (ed. Pocquet 1917) montre que l’entrée à Canaan, voire même en Égypte, a été violente, contrairement à la légende arguant de l’hospitalité réservée aux primo-arrivants. C’est un fait avéré que le monde nomade procède de méthodes prédatrices quand il se fixe sur un territoire vital pour la survie. Ibn Khaldun nous révèle, dans son histoire des Berbères, que ce phénomène est immémorial.

Le « Livre de Josué » a fait l’objet de nombreuses controverses. L’historiographie récente (cf. Marcel Simon : « Étude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l’Empire romain, 135-425 », in : Revue d’histoire des religions, 1950) tend à montrer que l’épisode mosaïque du livre de Josué a laissé des traces historiques.

En effet, il s’avère que les Cananéens qui ont échappé au pogrom subi par les Cananéens, ancêtres des Palestiniens, ont pu trouver refuge plus au nord, en Phénicie (actuelle Syrie), notamment à Sidon. Au 12e siècle avant l’ère chrétienne, période contemporaine du Livre de Josué, la flotte phénicienne était prospère. Elle s’acheminait le long des côtes pour un commerce de cabotage couvrant tout le pourtour méditerranéen. Les Cananéens, réduits au sort de galériens, étaient recrutés pour ramer et pour d’autres tâches utiles durant le cabotage. Il ressort que certains transfuges décident de faire escale, voire d’élire domicile sur les petites bourgades du littoral.

Procope de Cesaree, un historien byzantin du 5e siècle, découvre à Tighisis, non loin de Constantine, une fontaine édifiée sur un socle rocheux laissant apparaître une inscription en langue punique : « C’est nous qui avons fui devant ce brigand de Josué, fils de Havé ». Il est probable que cette inscription soit tardive (environ 3e siècle avant l’ère chrétienne, qui correspond à l’Empire carthaginois). Il s’agit en l’occurrence d’un fait mémoriel de la part d’une diaspora palestinienne qui a gardé le souvenir de son exil.

Nous avons en Afrique du Nord, précisément en Algérie, à savoir Ghazaouet, Sidna Youchaa, Honaïne, Ténès, Djidjel, localités littorales, le maintien de la prononciation du kaf ( ß ) au lieu du qaf ( Þ ), ce qui est le cas pour le peuple palestinien aujourd’hui. Cette convergence phonologique n’est sans doute pas suffisante, mais n’en est pas moins significative d’une réalité ethnographique que les spécialistes (protohistoriens, archéologues, etc.) devraient pouvoir creuser.

Quand Georges Bensoussan, historien français, déclare dans les vidéos qui lui sont dédiées que l’option de deux États palestinien et israélien n’est pas viable, et qu’il est plus réaliste d’envisager une expatriation des Palestiniens en Jordanie, voilà un homme de science qui préconise une énième nakba, après celle du 12e millénaire avant l’ère chrétienne, et celle de 1948, sans compter les exils intermédiaires, notamment des Palestiniens chrétiens, dont une partie vit au Chili depuis des lustres.

Le président Biden semble favorable à toutes les inepties de l’Etat israélien qui veut liquider le Hamas en essayant de liquider de facto toutes les populations civiles de Ghaza et de Cisjordanie au nom d’une politique coloniale qui rappelle par certains traits un épisode sanglant de la colonisation française en Algérie, qui n’a pas hésité à jeter dans les fours édifiés pour les besoins de la cause, dans le Dahra comme ailleurs, des milliers de paysans brûlés pour laisser place aux nouveaux colons.

Pour terminer à propos de Biden, sa traîtrise est misérable et grotesque.

Il fait le dos rond à Poutine aujourd’hui sous prétexte qu’il ne peut pas être sur tous les fronts. Il refuse le cessez-le feu à Ghaza, pour liquider le Hamas, alors que ce mouvement naîtra de ses cendres un siècle durant.

En fait, monsieur Biden s’aplatît devant Poutine et préconise l’extermination de Hamas, pour la même raison : se rendre crédible face à l’électorat républicain et barrer la route, si faire se peut, à Trump. En d’autres termes, le sort du peuple palestinien est fonction d’une variable d’ajustement électorale.

Quelle tristesse !…


N.M.

*Professeur Emérite des Universités


                    71e jour de l’agression contre Ghaza: Un massacre terrifiant

par Mohamed Mehdi

Moins de deux heures après l’enterrement, hier, du cameraman d’Al Jazeera, Samer Abudaqa, tombé en martyr vendredi dans une attaque au missile d’un drone de l’armée sioniste, c’est un autre journaliste, Assem Kamel Moussa, de rejoindre la longue liste de journalistes, photographes de presse et cameramen tués et ciblés dans des bombardements de l’aviation de l’occupation. Le journaliste Assem Moussa a été tué dans un bombardement israélien sur Khan Younes, dans le sud de la bande de Ghaza.

Hier, dans une déclaration à Al Jazeera, le secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) estime qu’en ciblant les journalistes et professionnels des médias, l’entité sioniste « tente de cacher ce qui se passe dans la bande de Ghaza ». « De nombreux journalistes extérieurs à Ghaza se voient interdire l’entrée dans la bande de Ghaza », ajoutant au répertoire désormais très riche de l’armée d’occupation que « 187 travailleurs médicaux ont été tués ».

Pour M. Dawson, « ce qui se passe à Ghaza ne s’est produit nulle part ailleurs dans le monde », annonçant qu’une plainte sera déposée devant la CPI. « Nous avons parlé au Syndicat des journalistes, qui a déposé une plainte auprès de la Cour pénale internationale », a-t-il précisé. Vendredi, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a publié un communiqué dans lequel elle considère que le ciblage des journalistes à Ghaza « c’est l’information qu’on assassine ». Appelant à une manifestation, prévue aujourd’hui à Paris, pour « réclamer un cessez-le-feu immédiat à Ghaza », la FIJ déclare : « Il est plus qu’urgent d’assurer une protection effective pour tous les journalistes dans la bande de Ghaza, mais aussi en Cisjordanie et à la frontière avec le Liban, ainsi que leur liberté de circulation. Il en va du droit à l’information au Proche-Orient, mais aussi en France et dans toute l’Europe ».

Un massacre à l’hôpital Kamel Adwan

Au 71e jour de l’agression contre Ghaza, et selon un décompte provisoire réalisé avant 15h à partir de différentes sources médiatiques, on a dénombré plusieurs dizaines de martyrs dans des bombardements visant des quartiers de Khan Younes (sud de Ghaza), Jabaliya (nord de Ghaza) et Shujaiya, le plus grand quartier de la ville de Ghaza situé à l’est. Selon CNN, « 21 corps ont été transportés à l’hôpital Nasser de Khan Younes », citant le chef du service de pathologie de l’hôpital. Parmi les 21 martyrs se trouvait Assem Kamel Moussa qui travaillait pour Palestine Online et plusieurs autres médias locaux. Al Jazeera a fait part de plusieurs martyrs dans des bombardements de plusieurs maisons à Jabaliya. Citant une source médicale, Al Jazeera a rapporté que « 14 martyrs sont tombés dans le bombardement qui a visé plusieurs maisons, dans la ville de Jabaliya, au nord de la bande de Ghaza ». Un autre correspondant d’Al Jazeera a rapporté que 5 martyrs sont tombés et d’autres blessés suite à un bombardement de l’artillerie israélienne qui a visé les quartiers Shujaiya et Al-Zaytoun au nord-est de Ghaza, samedi après-midi. Par ailleurs, et selon Al Jazeera English, citant Anas al-Sharif, d’Al Jazeera en langue arabe, des bulldozers israéliens ont écrasé les tentes des Palestiniens malades et blessés devant l’hôpital Kamal Adwan. Anas al-Sharif raconte un « massacre terrifiant et des scènes indescriptibles ». « Ce que l’occupation israélienne a fait à l’intérieur de l’hôpital Kamel Adwan est un crime horrible contre les citoyens et le personnel médical », a déclaré al-Sharif dans un message sur X (ex-Twitter). « Des dizaines de personnes déplacées, malades et blessées ont été enterrées vivantes. Les bulldozers de l’occupation [israélienne] ont piétiné les tentes des personnes déplacées dans la cour de l’hôpital et les ont brutalement écrasées », ajoute la même source.

De son côté, le ministère de la Santé à Ghaza a déclaré hier que l’armée d’occupation israélienne avait « complètement détruit la partie sud de l’hôpital Kamel Adwan », indiquant que « 12 nourrissons sont toujours dans les couveuses dans cet hôpital, sans eau ni nourriture ». A l’hôpital al-Awda, la situation est loin d’être meilleure. Son directeur, Ahmed Muhanna, affirme que « les fournitures médicales de base et essentielles n’ont pas encore atteint l’établissement situé dans le nord de Ghaza ». Dans un message audio envoyé à Al Jazeera, Muhanna a déclaré « qu’aucune aide médicale n’était parvenue à l’hôpital Al-Awda depuis 67 jours », affirmant « qu’il n’y avait pas d’oxygène disponible dans l’établissement ». « Des chars israéliens sont autour de l’hôpital (…) tandis qu’un autre a fermé l’entrée », a-t-il précisé. Il a ajouté : « ils ont ciblé deux étages de l’hôpital depuis l’extérieur, détruisant les services de chirurgie », appelant désespérément à un « soutien des entités internationales, en particulier du Croissant-Rouge et de l’Organisation mondiale de la santé ».

Au moins 20 soldats israéliens tués la semaine dernière

Au cours des derniers jours, les pertes de l’armée israélienne à Ghaza n’ont cessé d’augmenter, avec l’intensification des combats avec la résistance, notamment à Shujaiya et à Khan Younes au sud de la bande. La 12e chaîne israélienne a déclaré, hier, que 20 soldats avaient été tués dans les combats de Shujaiya, à l’est de la ville de Gaza, au cours de la semaine dernière. Mercredi dernier, l’armée d’occupation a annoncé la mort de 10 de ses soldats, dont plusieurs officiers, dans une embuscade dans le quartier de Shujaiya. Ces soldats font partie en majorité de la Brigade Golani, l’une des brigades d’infanterie d’élite de l’armée israélienne.

Hier également, un correspondant d’Al Jazeera a rapporté, citant des médias israéliens, qu’un hélicoptère de l’armée sioniste transportant des soldats blessés a atterri sur un terrain de football, près de l’hôpital Shaare Zedek, dans la ville d’Al Quds occupée.

Par ailleurs, l’armée d’occupation a reconnu vendredi avoir tué «accidentellement» trois détenus israéliens à Ghaza. Une « enquête préliminaire » a montré que « les trois détenus israéliens déclarés morts, vendredi à Ghaza, avaient brandi des drapeaux blancs et crié en hébreu «sauvez-nous» » avant d’être abattus par les soldats de l’occupation. Cité par Al Jazeera English, les conclusions du rapport d’enquête précisent que les 3 captifs « ont été tués parce que les soldats n’ont pas suivi les règles d’engagement de l’armée ». Selon la même source, « le soldat qui a tiré sur eux, s’est senti menacé ». « Deux (otages) ont été touchés et sont tombés. Le troisième a réussi à s’enfuir vers un immeuble voisin. Le soldat l’a signalé à son commandant. Un détachement de l’armée a suivi le troisième captif dans le bâtiment. Ce dernier est sorti avant de rentrer à nouveau en courant.

Les soldats ont déclaré qu’ils pensaient que c’était un membre du Hamas qui essayait de les attirer dans un traquenard. Ils entrèrent dans le bâtiment et tuèrent l’otage », ajoute Al Jazeera English. A noter que samedi, le Hezbollah libanais a déclaré que ses forces « avaient visé avec un missile un site où des soldats de l’occupation israélienne étaient retranchés à Birkat Risha, faisant des morts et des blessés ».

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