Algérie / Lutte contre la corruption : Un grand défi

 

      par Ghania Oukazi

La Haute autorité de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption (HATPLC) vient d’être dotée d’une stratégie nationale en la matière et dont le grand défi est de la mettre en œuvre durant le quinquennat 2023-2027.

C’est samedi dernier que le 1er ministre a présenté la stratégie en question à une assistance constituée, entre autres, des différents acteurs qui ont contribuée à son élaboration. La HATPLC marquait un an de son existence. L’on rappelle avant toute chose que l’Algérie a ratifié en 2004 à cet effet l’article 5 de la convention des Nations Unies qui l’oblige à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie nationale de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption. Mais ce processus n’a été lancé qu’en 2019 dans le sillage du changement politique et de gouvernants. Appuyée «techniquement et financièrement» par le PNUD, soumise à de larges consultations nationales et internationales, la stratégie nationale de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption devra être mise en œuvre durant la période 2023-2027. «C’est un grand défi qui incombe à la Haute autorité», estiment des experts. «La contribution du PNUD à la mise en place de cette stratégie a concerné l’appui méthodologique et technique et la mobilisation des expertises internationales durant l’étape des concertations, organisées en coordination avec l’Organisation de coopération et de développement économique (OECD), la Banque mondiale (BM), la Banque africaine de développement (BAD), l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et le Centre des politiques publiques du PNUD à Séoul », a-t-il été rappelé. Des consultations qui ont eu lieu les 16 et 21 juillet 2020 « en pleine crise sanitaire de la Covid-19 », tient-on à rappeler. «Durant le dernier trimestre de l’année 2019, pas moins de huit rencontres d’information, de sensibilisation et de concertation ont été organisées avec les départements ministériels, les instances de contrôle, les organes consultatifs, le secteur économique, les confédérations et chambres professionnelles, le secteur bancaire, les compagnies d’assurance, le monde universitaire et académique ainsi que la société civile », a indiqué Mme Blerta Aliko, représentante résidente du PNUD en Algérie.

Nécessité de «l’ampleur de l’implication et des efforts concertés de tous les acteurs»

Des experts notent ainsi que «pour enrichir le projet, 113 institutions, organes et organisations ont été consultés parmi lesquels il y avait le ministère des Affaires religieuses qui est appelé à sensibiliser la société contre la corruption ». La stratégie nationale de lutte contre la corruption repose sur 5 buts, 17 objectifs et 60 mesures. Le projet portant son élaboration lui accorde comme mission dans son article 2 d’«atteindre les objectifs nationaux suivants : la consécration de l’Etat de droit, la promotion des principes de bonne gouvernance, la moralisation de la vie publique, la promotion de la démocratie participative pour restaurer la confiance des citoyens dans les institutions publiques, la promotion de l’image de l’Algérie à l’échelle internationale ». Avec cet alinéa « la réalisation de cette vision et de cette mission nécessite une approche stratégique rigoureuse et planifiée qui définit clairement les activités sélectionnées, les initiatives proposées, les responsabilités et les délais de mise en œuvre, ainsi que les ressources nécessaires, le cas échéant ». L’article 3 portant « les buts et les objectifs stratégiques » stipule que « sur la base du diagnostic du contexte de la corruption en Algérie, et après les consultations organisées avec les différents acteurs au niveau national, un ensemble d’objectifs stratégiques a été fixé, dont la réalisation reste tributaire de l’ampleur de l’implication et des efforts concertés de tous les acteurs dans cette entreprise, qu’il s’agisse des institutions et organes de l’Etat ou de la société civile, des médias et du secteur privé ». Ainsi est-il mentionné que «la stratégie nationale de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption vise à atteindre cinq buts principaux, chacun se traduisant par une série de 17 objectifs stratégiques interdépendants».

On relève au titre du « Renforcement de la transparence et la moralisation de la vie publique, que l’ Objectif stratégique 1 consiste à « Promouvoir l’intégrité des agents publics : qu’il faut réactiver «le Conseil supérieur de la fonction publique, adopter un code de conduite pour les fonctionnaires, encourager les fonctionnaires à le consulter et mettre en place des mécanismes de contrôle de son application, adopter des systèmes de recrutement et de promotion fondés sur les compétences, les performances et l’égalité des chances, adopter une politique de rotation de postes au niveau des secteurs et institutions publics, renforcer les systèmes de formation permettant aux agents publics d’acquérir et d’améliorer les compétences professionnelles dans les domaines liés à la prévention et la lutte contre la corruption, prévenir les conflits d’intérêts et éviter les incompatibilités, installer et activer l’Organe chargé des enquêtes administratives et financières sur l’enrichissement illicite des agents publics ».

«Promouvoir la culture du rejet de la corruption»

Et pour l’Objectif stratégique 2: «Instaurer la transparence dans la gestion des affaires publiques », il faut « Mettre en place un dispositif garantissant le droit d’accès à l’information, assurer la qualité et la clarté des textes réglementaires afin de garantir la sécurité juridique, réviser et élaborer le cadre juridique de la déclaration de patrimoine, afin de corriger les lacunes constatées et d’introduire la déclaration électronique, moderniser et promouvoir la transparence dans la gestion des biens et des deniers publics, faciliter l’accès des citoyens aux informations relatives à la gestion des finances publiques, élaborer et numériser le système national de passation des marchés publics ».

L’Objectif stratégique 3 : « Renforcer la responsabilité dans la gestion des affaires publiques»: à savoir «établir des mécanismes d’évaluation des politiques publiques, adoption de procédures de contrôle interne et de gestion des risques liés à la corruption , mettre en place des mécanismes d’évaluation périodique de la performance et de la responsabilité des agents publics , évaluer la performance des institutions publiques ». Au titre du « Deuxième but: Promotion de la participation de la société civile et des médias à la prévention et à la lutte contre la corruption, on relève l’Objectif stratégique 5: « Promouvoir la culture de rejet de la corruption au sein de la société : instaurer une culture de rejet de toutes les formes de corruption chez les jeunes et sensibiliser les écoliers, sensibilisation de toutes les franges de la société sur les dangers de la corruption, encourager les universités et les centres de recherche à intégrer la question de la corruption comme objet de recherche et d’enseignement ».

Objectif crucial: «l’indépendance de la justice et l’intégrité des magistrats »

Autres Objectifs stratégiques : Renforcer la démocratie participative et le contrôle sociétal dans la gestion des affaires publiques, dynamiser le rôle du mouvement associatif dans la prévention de la corruption, impliquer les médias dans la prévention et la lutte contre la corruption, encourager la dénonciation de la corruption, prévention et lutte contre le blanchiment d’argent, renforcement du rôle et des capacités de la justice et des organes de contrôle dans la lutte contre la corruption». Il est en outre question de «Renforcer le rôle de la Haute autorité de transparence de prévention et de lutte contre la corruption, renforcer ses prérogatives et son indépendance, faire de l’Autorité un point de contact des organisations régionales et internationales concernées par la lutte contre la corruption, renforcer la coordination entre l’Autorité, les départements ministériels, les institutions nationales et les organes de contrôle ». Autre Objectif stratégique crucial : « Renforcer l’indépendance de la justice et l’intégrité des magistrats: Moralisation de l’activité judiciaire, améliorer le fonctionnement du système judiciaire et réduire le fardeau qui pèse sur les tribunaux et les cours de justice, renforcer les capacités des magistrats dans le domaine de la lutte contre la corruption et les délits connexes ».

Qualifiée par des experts de «très cohérente et conforme aux lois internationales », la stratégie nationale de lutte contre la corruption a « 68% de chance de succès durant les 5 prochaines années » et ce, en référence aux réponses de citoyens algériens « de toutes les wilayas » qui ont eu à répondre à un questionnaire élaboré à cet effet et mis sur les réseaux sociaux par les autorités publiques avec « l’aide des opérateurs nationaux de la téléphonie mobile ».


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Une rencontre a été organisée le 15 juillet 2023 à Alger pour le lancement officiel de la Stratégie nationale de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption (2023-2027) Pour éviter les erreurs du passé, les organes dépendant de l’exécutif soit du ministère de la Justice ou de celuui des Finances ne sont pas neutres et l’expérience récente des détenus de hauts responsables dont des ex Premiers ministres et des ministres en est la preuve et l’important est de s’attaquer à la source de ce cancer qui ronge la société. Mais, il ne faut pas confondre la corruption avec acte de gestion, la dépénalisation de l’acte de gestion que je réclame depuis de longues années, afin d’éviter de freiner les énergies créatrices, la définition du manager étant de prendre des risques, pouvant gagner ou perdre.

Le combat contre la corruption, pour son efficacité doit reposer sur la mise en place de mécanismes de régulation transparents

1.- Si l’on excepte la mauvaise gestion de certaines entreprises qui accaparent une partie importante du financement public, il ne faut jamais oublier l’administration et les services collectifs dont les infrastructures qui accaparent souvent une grande fraction du budget de l’Etat.
S’est-on interrogé une seule fois par des calculs précis le prix de revient des différents Ministères des wilayas, des ambassades (qui doivent favoriser la mise en œuvre d’affaires profitables aux pays ), du coût des différents séminaires, et réceptions et commissions par rapport aux services rendus à la population algérienne ? A ce titre, il convient de se poser la question de l’efficacité des transferts sociaux souvent mal gérés et mal ciblés qui ne s’adressent pas toujours aux plus démunis. Il semble bien qu’à travers toutes les lois de finances l’on ne cerne pas clairement les liens entre les perspectives futures de l’économie algérienne et les mécanismes de redistribution devant assurer la cohésion sociale, donnant l’impression d’une redistribution passive de la rente des hydrocarbures sans vision stratégique, bien qu’existe certaines dispositions encourageant l’entreprise.
Dans ce cadre, de la faiblesse de la vision stratégique globale, le système algérien tant salarial que celui de la protection sociale est diffus, et dans la situation actuelle, plus personne ne sait qui paye et qui reçoit, ne connaissant ni le circuit des redistributions entre classes d’âge, entre générations et encore moins bien les redistributions entre niveaux de revenus ou de patrimoine. C’est la mauvaise gestion et la corruption expliquent que le niveau des dépenses est en contradiction avec les impacts économiques. Le contrôle le plus efficace passe par une plus grande démocratisation et nécessairement par une lutte contre la bureaucratisation. Combien d’entreprises publiques possèdent-elles la comptabilité analytique, les banques des comptabilités répondant aux normes internationales, afin de pouvoir déterminer leur efficience loin de l’ancienne culture mue par l’unique dépense monétaire. Combien d’entreprises établissent un budget prévisionnel cohérent- du personnel, des achats, des ventes déterminant les écarts hebdomadaires, mensuels entre les objectifs et les réalisations, ces opérations budgétisées étant la base du plan de financement, sans compter la faiblesse des différents travaux comptables de base.

Par ailleurs, l’absence d’observatoire de l’évolution des cours boursiers, permet des prix à l’achat exorbitants en devises pour ne pas parler de surfacturations, gonflant la rubrique achat de matières premières du compte d’exploitation où bon nombre de produits comme le blé, le rond à béton, etc. sont cotés journellement à la Bourse.
La compréhension des mécanismes boursiers, de l’évolution du dollar de l’euro représentant plus de 80% des transactions internationales en 2022 a des incidences sur le pouvoir d’achat et pour le niveau des réserves de change libellées en ces monnaies et en or.

2.-L’efficacité du contrôle doit s’insérer dans le cadre d’une vision stratégique.
Les mécanismes de contrôle en économie de marché doivent définir la nature du rôle de l’Etat pour favoriser le contrôle, ainsi qu’ une coordination sans faille des institutions de contrôle., Or, la dilution des responsabilités à travers la mise en place de différentes commissions témoignent de l’impasse du contrôle institutionnel en dehors d’un cadre cohérent, où les règlements de comptes peuvent prendre le dessus. Qui est propriétaire, car pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable ?Peut-on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe? Un directeur général d’entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large-sans un véritable pouvoir de décision-de son entreprise? Qui est propriétaire de l’ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes? C’est toute la problématique du passage de l’Etat propriétaire gestionnaire à l’Etat. Régulateur ou stratège que n’ont résolu jusqu’à présent à travers les différentes organisations de 1965 à 2023, grandes sociétés nationales 1965/1979- leurs restructurations de 1980/1987, les fonds de participations vers les années 1990, les holdings 1995/1999, puis entre 2000/2019 les sociétés de participation de l’Etat SGP et récemment au retour à la tutelle ministérielle. Ces évolutions s’expliquent par les interférences entre le politique et l’économique dans le cadre de la gestion des capitaux marchands de l’Etat, dont le système financier enjeu de pouvoir.

Pour Transparency International une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un haut niveau de corruption, entre 3 et 4 un niveau de corruption élevé et les affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, la corruption favorisant surtout les activités spéculatives et le manque de confiance dans les institutions témoignent d’où la nécessité d’une plus grande intégrité politique. L’ONG relève que « les pays où les réglementations sur le financement des campagnes sont complètes et systématiquement appliquées ont un score moyen de 70 sur l’IPC, alors que les pays où ces réglementations sont soit inexistantes, soit mal appliquées n’obtiennent qu’une moyenne de 34 et 35 ».

En résumé, il existe un lien crucial entre la lutte contre la corruption, la sécurité et le développement. Selon le rapport des Nations unies, le monde d’aujourd’hui est confronté à certains de ses plus grands défis depuis de nombreuses générations – des défis qui menacent la prospérité et la stabilité des populations du monde entier, le fléau de la corruption étant étroitement lié à la plupart d’entre eux .comme la difficulté de récupérer les transferts illicites de capitaux placés dans les paradis fiscaux ou investis dans des sociétés anonymes. Comme l’a mis en relief l’économiste de renommée mondiale, John Maynard Keynes, il vaut mieux que l’homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens. Comme je le rappelais dans une interview donnée au grand quotidien financier les Echos -Paris le 07 aout 2008, le terrorisme bureaucratique et la corruption sont les obstacles principaux au frein à l’investissement porteur en Algérie. Dans les pays où règne un Etat de droit, la Cour des comptes est l’organe suprême du contrôle des deniers publics, ce qui est d’ailleurs inscrit dans la nouvelle constitution algérienne
La lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoie à la question de la bonne gouvernance et de la rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective.


Abderrahmane Mebtoul, Pr des universités, expert international


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