LIVRES / RACINES

       par Belkacem Ahcene-Djaballah   

                                                      Livres

Wallada, la dernière andalouse. Roman-Journal de Sidali Kouidri Filali. Edition à compte d’auteur, Alger (Imprimé à Baraki) 2021, 252 pages, 1.000 dinars

L’auteur le dit dans une interview. Il a eu l’incroyable chance d’avoir entre ses mains un outil d’une incroyable puissance : internet. Il a pu lire des documents d’époque, rédigés pour certains par leurs auteurs et d’avoir sous la main toute la bibliographie nécessaire pour retracer la biographie de certains personnages. «Les sources sont disponibles, ensuite bien sûr, il faut tout un travail de recherche, de lecture, de synthèse et d’historiographie aussi, vu que je n’allais pas raconter l’histoire telle qu’elle a été présentée. J’ai dû puiser partout, chez Lévi-Provençal et chez l’imam Abou Zahra l’Egyptien, chez Pierre Guichard, Gabriel Martinez-Gros ou chez El Mokri Etlemçani ou Ibn Khaldoun. Certains personnages sont bien sûr plus mis en avant que d’autres. Pour Wallada, c’était plutôt facile, un peu moins pour le berbère Ziri par exemple ou même Ibn Hazm».

Ce qu’il propose, c’est donc une immersion dans l’Andalousie de l’an mille à travers une fresque de destins de personnages gravitant autour de la poétesse et princesse omeyyade Wallada Bint El Mostakfi, princesse, fille de calife, et de son entourage, témoins à deux reprises de la fin d’un règne et d’une période trouble.

Une fresque de destins improbables et de parcours atypiques, sur près d’un siècle, gravitant autour de la fille du dernier calife omeyyade de Cordoue, à l’image de son amant, le poète et vizir Ibn Zaydoun, de Zawi Ibn Ziri, fondateur de la dynastie ziride de Grenade, le poète Samuel Ibn Naghrella devenu chroniqueur et vizir, le nattier Khallaf devenu sosie du calife de Séville, ou encore de l’historien Ibn Hayane, témoin d’une époque trouble.

Wallada Bint El Mostakfi raconte, à près de quatre-vingt-dix ans, à sa servante Izza, la première chute de Cordoue après la mort de son père. Elle évoque également avec elle le retour dans sa ville natale, sa rencontre et sa relation passionnée avec Ibn Zaydoun, le poète de la péninsule et l’éternel amoureux.

Dans ce roman, l’histoire d’amour entre Wallada et Ibn Zaydoun devient très vite un argument pour parler d’un siècle d’histoire trouble de l’Andalousie, des tractations et manipulations politiques et parfois militaires, du rôle des berbères d’Afrique du Nord dans la création et la gouvernance de certaines villes (Cordoue, la capitale de l’Andalousie médiévale et son fleuve le Guadalquivir, Séville, Grenade, Tolède, …) ou encore pour évoquer la vie du sérail andalou caractérisé certes par la tolérance et la valeur accordée aux arts et au savoir… mais, aussi, par une certaine cruauté… surtout quand il s’agit de s’approprier ou de garder le pouvoir. Ce qui allait, au fil du temps, faciliter l’arrivée des Almoravides («qui ont toujours accusé l’Andalousie de luxure, d’extravagance»)… et, par la suite, la «Reconquista» chrétienne.

L’Auteur : Blogueur, chroniqueur et «passionné d’histoire». Premier roman d’une saga (annoncée) andalouse.

Extraits : «L’Andalousie est ce bout de terre que la géographie a situé au plus occidental de l’Europe, et dont l’histoire a fait en sorte qu’il soit le seul orientalisé de tout ce continent» (p 9), «Les Cités traversées par des fleuves ont toujours eu cette particularité de posséder deux rivages au lieu d’un, contrairement aux villes de la côte. Deux fois plus de rives pour les «au revoir», deux fois plus de rivages pour les rêves et deux fois plus de berges pour les désillusions» (p 11), «Pauvres peuples. A force d’aduler des mythes, vous serez toujours dirigés par des menteurs !» (p 59), «L’histoire est souvent le fruit de détails insoupçonnés. L’histoire est écrite par les vainqueurs, certes, mais ce sont des anonymes qui la font» (p 179)

Avis : Roman passionnant – avec des récits multiples qui se croisent – mais déprimant. La lente mais sûre descente aux enfers de l’Andalousie gouvernée par des roitelets jouisseurs et égoïstes.

Citations : «Devenir adulte n’est pas prendre de l’âge, mais s’éloigner de son enfance» (p 14), «La terre est le meilleur des trésors, c’est elle qui fait l’or» (p 21), «Les hommes excellent dans la politique. C’est ainsi qu’ils nomment la soumission et la bassesse, l’incompétence et la vanité, la trahison et l’impuissance» (p 29), «La politique, c’est l’art d’affaiblir l’autre quand on est incertain de sa propre force» (p 64), «Un homme averti en vaut deux, une femme avertie vaut une armée» (p 87), «La nuit est la folie des passionnés. On y voit s‘agenouiller les rois les plus intrépides et régner les esclaves» (p 115), «La politique, c’est l’art de précéder d’un pas son ennemi» (pp 126-127), «Les gens ne changent pas avec le temps, ils se découvrent seulement» (p,141), «L’amour pardonne tout, il ne possède pas de mémoire, et c’est là tout son malheur» (p 165)

Journal d’une jeune schizophrène. Roman (Récit ?) de Rabéa Douibi. Anep Editions, Alger 2021, 173 pages, 800 dinars

Dounia une jeune fille, enfant d’une famille aisée (mère médecin, gros entrepreneur et… chef d’un parti politique islamique… «modéré»), étudiante en sciences politiques brillante et promise à un bel avenir, dotée d’une intelligence naturelle supérieure, met fin à ses jours. Une overdose de neuroleptiques ! Laissant des parents qui s’interrogent sur les raisons profondes de l’acte fatal. Tout en sachant que leur enfant, ni gâtée, ni opprimée, traversait depuis quelque temps une mauvaise passe psychologique et était même suivie par une psychiatre.

Chacun y va, bien sûr, de son raisonnement pour chercher les raisons de l’issue fatale : le père, la mère, la psy… Chacun, bien sûr, tentant de se déculpabiliser. Le père qui a tout fait pour rendre heureuse la vie de ses enfants et ne leur imposant pas ses idées d’ «islamiste» et de conservateur (mis à part le foulard). La mère, une «maman-douce». La psy’ qui a «tout essayé»… Le hasard a voulu que le journal intime de Dounia soit découvert après sa mort… journal où elle y raconte, avec détails, sa schizophrénie. Lisez-le, vous irez de découverte en découverte… sur une vie de famille (en apparence heureuse et comblée de biens… mais pas en affection, en bisous et en loisirs), sur la communication parentale, sur le viol d’une enfant encore toute jeune par un cousin pervers, sur la vie estudiantine, sur la perfidie du monde extérieur, l’égoïsme des gens, la superficialité des rapports humains, sur l’aliénation mentale… Pour un naïf, de quoi récolter une masse de pensées morbides. De quoi se suicider ?

L’Auteure : Née en 1957 à Bordj Bou-Arréridj. Licence d’enseignement de la langue française et maîtrise en didactique. Auteure de plusieurs autres ouvrages. Vit entre Tamanrasset et Alger.

Extraits : «C’est fou comme les jeunes rejettent l’autorité parentale pour mieux affirmer leur personnalité et se démarquer du modèle social imposé par leur milieu» (p 24), «Nos enfants nous renvoient un reflet fidèle à notre image. Si le tableau esquissé est parfois blessant, il n’en demeure pas moins que des vérités nous sont assénées comme des coups de massue» (p 50), «Les femmes sont les plus lésées dans notre pays car on exige d’elles une soumission à des normes dépassées qui n’ont rien à voir avec la religion. Elles souffrent en silence ou affrontent leurs problèmes avec courage» (p 63), «Beaucoup de gens se laissent vivre et traversent leur destinée comme on passe un pont, satisfaits d’avoir à vivre leur petit bonhomme de chemin. Je les appelle les bienheureux de la désolation» (p 93), «Je me demande souvent pourquoi on ne nous laisse pas exprimer nos peines et nos joies dans la rue. Pourquoi vouloir faire de nous des robots tristes et sans étoffe qui déambulent comme des automates ?» (p 97), «Supporter les orientations de mon paternel revient à porter des chaussures trop étroites et m’empêcher donc de marcher. Faire quelques pas dans ce cas-là s’effectue en titubant jusqu’à en perdre l’équilibre» (p122).

Avis : Roman ? Récit ? Une écriture entre deux mondes, deux vies vécues en même temps dans un monde qui n’est plus celui de la «jeune schizophrène». Écriture toute simple et toute claire qui vous amène à découvrir (ou à prendre conscience) les déchirements et les souffrances des «autres».

Citations : «Le génie s’accompagne de folie et il est source de désespoir dans certains cas» (p33), «Nul ne peut influencer une personne intelligente et instruite qui ne se fie qu’à ce qu’elle découvre par elle-même. Ce sont des éclairés (….) qui redoreront le blason de notre religion» (p 72), «L’insatiabilité crée le manque et plonge l’individu dans une existence basée sur le superflu» (p 93), «L’intelligence est une arme à double tranchant. Elle offre de fantastiques aptitudes mais peut mener à tout remettre en question et à créer des courts-circuits» (p 96), «La cellule familiale est la première structure d’emprise sur les femmes. C’est là que commence à s’exercer le pouvoir des sexes» (p99), «Ce qui manque à notre corporation (note : journalisme), c’est le style et la précision. Le caractère emphatique de la langue arabe qu’ils transposent maladroitement à la langue française nuit considérablement à la qualité de leurs articles» (p143).


PS : -Ouvrage paru récemment en Algérie en langue arabe… «L’homme qui écrit sur son confort» (Erradjoul elladi iktoub ‘ala rahatouhou ) de Djilali Khellas. Casbah Editions, Alger 2021, 446 pages, 1000 dinars. Le parcours du romancier «Jamal Lakhal», une des victimes du terrorisme des années 90.

– Ouvrage d’auteur algérien paru à l’étranger (en langue arabe)… «Je suis devenue toi» (Açbaht enta) de Ahlam Mosteghanemi. Editions Naufal et Hachette -Antoine, 302 pages.


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