Jacques Baud, ancien analyste de l’OTAN, sur «Al-Aqsa Flood» : la défaite du vainqueur

par Jacques Baud

La directive Hannibal est toujours utilisée, bien sûr sans grande publicité : «Les diplomates européens sont frappés par le manque d’intérêt d’Israël pour la vie des otages détenus à Gaza».

Extrait du magazine The Postil :

«Nous avons le plaisir de vous présenter cet extrait du dernier livre du colonel Jacques Baud, qui traite du génocide à Gaza actuellement mené par Israël. Ce livre s’intitule “Opération Al-Aqsa Flood : La défaite du vainqueur». Nous mettrons à jour cette page dès que ce livre sera disponible, en attendant, voici l’extrait.

— Le magazine The Postil

Un appareil doctrinal inadapté à un conflit asymétrique
La doctrine BETHLEHEM

Cette doctrine a été élaborée par Daniel Bethlehem, conseiller juridique de Benjamin Netanyahou puis du Premier ministre britannique Tony Blair. Elle postule que les États ont le droit de se défendre préventivement contre une attaque «imminente». La difficulté étant ici de déterminer le caractère «imminent»d’une attaque, ce qui implique que l’action terroriste soit proche dans le temps et qu’il y ait un faisceau de preuves pour la confirmer.

En février 2013, NBC News a publié un «livre blanc» du ministère de la Justice définissant le terme «imminent» : «La menace imminente d’une attaque violente contre un pays ou une région représente une menace pour la Sécurité nationale».

La menace imminente d’une attaque violente contre les États-Unis n’exige pas que les États-Unis aient la preuve qu’une attaque spécifique contre des personnes ou des intérêts américains aura lieu dans un avenir immédiat.

Si le principe paraît légitime, c’est l’interprétation du mot «imminent» qui pose problème. Dans les milieux du renseignement, l’«imminence» d’un attentat est définie en fonction de sa proximité dans le temps et de la probabilité qu’il se produise. Or, selon Daniel Bethlehem, ce n’est plus le cas ici :

«Il doit être juste que les États puissent agir en légitime défense dans des circonstances où il existe des preuves d’attaques imminentes par des groupes terroristes, même s’il n’y a pas de preuve spécifique du lieu où une telle attaque aura lieu ou de la nature précise de l’attaque

Ainsi, une attaque terroriste peut être considérée comme «imminente», même si les détails et le moment ne sont pas connus. Ce qui permet, par exemple, de lancer une frappe aérienne simplement sur la base de soupçons d’une attaque imminente.

En novembre 2008, alors qu’un cessez-le-feu était en vigueur, un commando israélien a tué six personnes à Gaza. L’explication donnée par l’armée israélienne illustre la doctrine BETHLEHEM :

«Il n’y avait pas d’intention de rupture du cessez-le-feu, le but de l’opération était plutôt d’éliminer une menace immédiate et dangereuse posée par l’organisation terroriste du Hamas.»

Cette doctrine est similaire à celle énoncée en 2001 par Dick Cheney, alors vice-président des États-Unis, également connue sous le nom de «doctrine Cheney» ou «doctrine du 1%» :

«S’il y a une probabilité de 1% qu’une personne soit tuée ou blessée, c’est une probabilité de 1% qu’elle soit tuée ou blessée.»

S’il existe une probabilité de 1% que des scientifiques pakistanais aident des terroristes à développer ou à fabriquer des armes de destruction massive, nous devons traiter cela comme une certitude, en termes de réponse.

C’est la version stratégique/opérationnelle du «tir rapide» du Far West. C’est symptomatique de la façon dont nous interprétons le droit et dont nous faisons la guerre : sans valeurs et sans honneur.

Le problème de la doctrine BETHLEHEM est qu’elle a systématiquement été utilisée par Israël pour justifier les violations du cessez-le-feu. C’est le cas des exécutions extrajudiciaires, qui ne sont pas considérées comme des violations du cessez-le-feu. Une étude des tirs de roquettes palestiniens montre qu’ils sont toujours effectués en réponse à une attaque israélienne, qui n’apparaît généralement pas dans nos médias. De là découle notre perception que les organisations palestiniennes – le Jihad islamique palestinien et le Hamas en particulier – attaquent volontiers Israël avec leurs roquettes, et se livrent donc à des pratiques terroristes.

Dans son rapport de février 2018, le Conseil des droits de l’homme (CDH) rapporte que lors des manifestations à la frontière de Gaza (Marches du retour), l’armée israélienne a abattu 183 civils, dont 154 qui n’étaient pas armés et 35 enfants. En février 2019, il rapporte que l’armée israélienne a «intentionnellement» tiré sur des enfants, du personnel médical (portant des badges et abattu dans le dos !), des journalistes et des personnes handicapées. Les enfants palestiniens abattus par des tireurs d’élite israéliens avec des balles à fragmentation alors qu’ils se tenaient simplement devant la frontière à Gaza en 2018, ou le jeune Palestinien menotté et aux yeux bandés abattu dans le dos en avril 2019, sont des crimes de guerre.

Les partisans d’Israël invoquent la légitime défense, mais c’est fallacieux, comme le montrent les vidéos publiées par les Nations unies. D’abord parce que les victimes se trouvaient dans une bande de sécurité de 150 m à l’intérieur de Gaza, séparée d’Israël par une clôture et un large talus, d’où tirent les snipers israéliens. Deuxièmement, parce que les personnes tuées n’étaient «armées» que de pierres et troisièmement, parce que certaines des personnes touchées (notamment des enfants) ont reçu une balle dans le dos.

Voilà pour l’armée la plus morale du monde, à qui les Nations unies ont demandé de cesser de tirer sur les enfants.

La doctrine DAHIYA

L’armée israélienne ignore délibérément les principes du droit international humanitaire et applique la «doctrine Dahiya», élaborée par le général Gadi Eisenkot, aujourd’hui chef d’état-major général. Elle préconise l’utilisation d’une «force disproportionnée» pour créer un maximum de dégâts et de destructions, et considère qu’il n’y a «pas de villages civils, ce ne sont que des bases militaires… Ce n’est pas une recommandation, c’est un plan».

C’est une doctrine qui se présente comme étant dissuasive, mais contrairement à ce qu’affirme Wikipédia, c’est une tactique qui ne peut fonctionner que dans un contexte symétrique, c’est-à-dire lorsque l’action a un effet linéaire sur l’affaiblissement de l’adversaire. Dans un contexte asymétrique, où la détermination des combattants dépend de la brutalité de l’adversaire, ces destructions ne font que stimuler la volonté de résistance et la détermination à utiliser une approche terroriste. C’est l’essence même du djihad.

En fait, l’existence même de cette doctrine montre que les Israéliens n’ont pas compris leurs adversaires et leur logique de fonctionnement. Cela explique qu’Israël soit le seul pays au monde à ne pas avoir maîtrisé la résistance en trois quarts de siècle.

En octobre 2023, la même logique sera appliquée. Le journal britannique The Telegraph a cité le contre-amiral Daniel Hagari, porte-parole de l’armée israélienne, qui a déclaré que concernant les frappes, «l’accent est mis sur les dégâts, pas sur la précision», l’objectif étant de réduire Gaza à une “ville de tentes» d’ici la fin de la campagne.

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La directive HANNIBAL

Nos médias ne mentionnent jamais la «directive HANNIBAL», entrée en vigueur en 1986 dans l’armée israélienne, destinée à éviter que les prisonniers israéliens ne soient utilisés comme monnaie d’échange par les Palestiniens. Elle stipule que ceux qui détiennent le prisonnier doivent être détruits par tous les moyens nécessaires (y compris au prix de la vie du prisonnier et de celle des civils de la région). Appliquée lors de l’opération PROTECTIVE EDGE, elle a été à l’origine de la destruction totale d’un quartier de Rafah le 1er août 2014, événement connu en Palestine sous le nom de Black Friday.

Cette directive semble toujours utilisée, naturellement sans grande publicité. Elle explique pourquoi les Israéliens ne sont pas impressionnés par les otages pris par le Hamas :

«Les diplomates européens ont également été frappés par le manque d’intérêt du gouvernement israélien pour la vie des otages détenus à Gaza.»

Très rapidement après le début de l’opération du Hamas, Israël a annoncé la mort de 1 400 civils israéliens. Ce chiffre est devenu un leitmotiv pour refuser tout dialogue avec le Hamas et les autres groupes palestiniens. Mais ce chiffre a été revu à la baisse après que 200 corps carbonisés ont été reconnus comme étant ceux de combattants du Hamas. Puis, le 2 décembre 2023, il est à nouveau abaissé à 1 000 dans un tweet du gouvernement israélien.

Un colonel de l’armée de l’air israélienne confirmera plus tard que le 7 octobre, l’armée de l’air a ordonné un «tir libre», décrit comme un «HANNIBAL de masse».

La directive HANNIBAL est appliquée non seulement en cas de prise d’otages, mais aussi lorsque des soldats risquent d’être capturés. Par exemple, le 24 janvier 2024, près de Khan Younès, un char est endommagé par un tir de roquette et les militaires israéliens ne peuvent s’en approcher pour récupérer les trois blessés. L’état-major a donc préféré bombarder le char et ses occupants plutôt que de risquer qu’ils tombent aux mains du Hamas.

En tout état de cause, on constate que l’armée israélienne n’applique le principe de précaution ni aux Palestiniens, ni à ses propres hommes. On pourrait dire avec un certain cynisme que, au moins ici, Palestiniens et Israéliens sont traités sur un pied d’égalité.

À la mi-décembre 2023, la découverte de trois corps dans un tunnel à Gaza suscite la controverse. Il s’agit de trois hommes détenus par le Hamas, que le porte-parole de l’armée israélienne a déclaré tués par l’organisation palestinienne. Ils ne présentent aucune blessure apparente et semblent avoir été tués par empoisonnement. Ont-ils été tués par l’utilisation délibérée d’un toxique de combat ou accidentellement par des fumées toxiques provenant d’explosions (comme le monoxyde de carbone) ? Nous ne le savons pas, mais la mère de l’un d’entre eux, Ron Sherman, pense qu’il a été délibérément sacrifié par l’armée. En tout état de cause, cela illustre le non-respect du principe de précaution par l’armée israélienne.

Exécutions extrajudiciaires

Les exécutions extrajudiciaires sont un élément important de la politique israélienne de dissuasion à l’égard des mouvements palestiniens. Elles consistent à éliminer des militants en dehors de toute procédure judiciaire, en recourant à des tueurs ou à des frappes «ponctuelles» telles que des attaques aériennes. Juridiquement contestables, elles sont souvent stratégiquement inefficaces. Trois pays y ont recours régulièrement : les États-Unis, Israël et la France. Présentées comme des mesures préventives, elles sont généralement menées de manière punitive, à la manière des vendettas siciliennes, sans réelle évaluation de leurs conséquences stratégiques. En pratique, elles alimentent un processus croissant de violence et constituent une source de légitimité pour le terrorisme. En fait, elles reflètent souvent l’absence d’une véritable stratégie antiterroriste.

L’archétype de ce mode d’action est l’opération Colère de Dieu (Mivtza Za’am Ha’el), également connue sous le nom d’opération BAYONET, menée par le Mossad pour punir les auteurs de l’attentat contre l’équipe olympique israélienne à Munich en 1972 (opération BERIM & IKRIT). En l’espace d’un an, la quasi-totalité du commando palestinien a été éliminée : Wae Zwaiter (Rome, 16 octobre 1972), Mahmoud Hamchari (Paris, 9 janvier 1973), Abd El-Hir (Nicosie, 24 janvier 1973), Basil Al-Kubaissi (Paris, 6 avril 1973), Ziad Muchassi (Athènes, 12 avril 1973), Mohammed Boudia (Paris, 28 juin 1973), Kamal Nasser, Mahmoud Najjer et Kamal Adouan (Beyrouth, 9 avril 1973). Son chef, Ali Hassan Sala-meh, a été tué à Beyrouth le 22 janvier 1979, suivi de son second, Khalil al-Wazir (alias Abou Djihad), le 16 avril 1988 à Tunis. Finalement, seul un membre du groupe, Jamal al-Gasheï, semble avoir échappé à la Colère de Dieu, tandis qu’un innocent a été tué par erreur à Lillehammer (Norvège).

Ces actions sont des opérations punitives. Ce que nos pays et Israël considèrent comme faisant partie du jeu est appelé terrorisme quand d’autres le font. En l’acceptant de la part d’Israël, nous créons un environnement permissif qui pourrait bien légitimer l’élimination de certains de nos dirigeants politiques.

Depuis 1988, Israël utilise des unités spécialement entraînées pour opérer clandestinement dans les territoires occupés. Connues sous le nom de «mista’aravim» ou YAMAS, il s’agit de formations ad hoc qui opèrent clandestinement (en vêtements arabes – d’où leur nom) dans les territoires occupés pour des missions de reconnaissance, des actions de commando ou des exécutions extrajudiciaires. Les actions des Mista’aravim sont principalement menées en Cisjordanie par la Sayeret Duvdevan (Unité 217).

La plus connue d’entre elles est la tentative du Mossad d’empoisonner Khaled Mashal, leader politique du Hamas en Jordanie, en 1997. Elle s’est soldée par un échec : les deux agents israéliens munis de passeports canadiens ont été arrêtés, puis Israël a dû fournir un antidote et libérer le cheikh Ahmed Yassine en échange de la libération de ses agents. Le résultat a été la perte de crédibilité d’Israël auprès de la communauté internationale et la méfiance de la Jordanie, avec laquelle Israël a signé un traité de paix.

Les Mista’aravim sont l’équivalent des unités du Groupe Antiterroriste de Libération (GAL) utilisées en Espagne dans les années 1980, considérées comme une forme de terrorisme d’État. Ce type d’action présente toutefois l’avantage d’éliminer un individu sans raser tout un quartier ni détruire des familles entières. Mais elle nécessite des agents d’autant plus compétents et courageux que les Palestiniens ont renforcé leurs capacités de contre-espionnage et de sécurité intérieure. C’est pourquoi ce type d’opération est devenu quasiment impossible à mener à Gaza, mais reste une pratique courante en Cisjordanie. A Gaza, Israël préfère mener ses actions «à distance», en utilisant des moyens plus sophistiqués comme les drones ou les missiles guidés, qui ont un effet dévastateur sur la population civile.

Avec quelque 2 300 assassinats connus, Israël rivalise avec les États-Unis en tant que pays assassinant régulièrement des opposants et des terroristes. Lorsqu’elle est réalisée en territoire étranger, une «élimination» est une opération complexe, qui s’appuie sur un réseau d’informateurs locaux («sayanim»), le plus souvent recrutés dans la diaspora juive. Mais cela a un effet pervers : la communauté juive, auparavant bien intégrée, devient un objet de méfiance, perçue comme une «5ème colonne» [partisans cachés au sein d’un État ou d’une organisation d’un autre État ou d’une autre organisation hostile] dans de nombreux pays du Proche et du Moyen-Orient.

Mais les exécutions extrajudiciaires ne comportent pas seulement un risque politique important en cas d’échec, elles tendent à légitimer la violence illégale et le terrorisme, comme le montre le magazine Inspire de l’Arabian Peninsula Jihad Base (APJB) :

[L’assassinat des dirigeants des incroyants civils et militaires] est l’un des arts les plus importants du terrorisme et l’un des types d’opération les plus avantageux et les plus dissuasifs. Ces méthodes sont également utilisées par les ennemis d’Allah. La CIA a l’autorisation du gouvernement américain d’assassiner des présidents, si c’est dans l’intérêt national des États-Unis, et elle y a eu recours plus d’une fois. À la CIA, il y a un département spécial pour cela ! Je ne sais donc pas pourquoi on nous empêche de le faire.

 

C’est un cas d’asymétrie islamiste : le «remède» est pire que les «maux». L’assassinat de dirigeants n’a pas d’effet dissuasif. Il fait du mort un martyr et un exemple à suivre. Il ne conduit pratiquement jamais à l’arrêt de l’action, mais entretient la flamme de la résistance qui prend des formes plus variées.

Dans le cas de structures très décentralisées, l’élimination des cadres n’affaiblit pas nécessairement le groupe terroriste, mais elle oblige sa hiérarchie à se renouveler plus rapidement, et à appliquer de nouvelles méthodes et politiques d’action. C’est ce qui s’est passé avec le Hamas.

Mais le 21 août 2003, les forces israéliennes ont éliminé Ismaïl Abou Shanab. Considéré à l’époque comme un modéré du Hamas, son assassinat a suscité une large condamnation et une mobilisation sans précédent de la population palestinienne. Les attentats ont repris au fur et à mesure des éliminations effectuées par Israël.

En septembre 2023, sur la chaîne LCI, où le journaliste Darius Rochebin vante les assassinats perpétrés par les services secrets ukrainiens, le général Christophe Gomart explique que la France les pratique également. Il est l’illustration parfaite du mode de pensée occidental. Comme les Israéliens, il pense qu’il est utile d’abattre un chef «parce qu’en fait ce sont les chefs qui décident, et qu’il faut plus de temps pour former un chef que pour former un simple soldat», donc :

«On déstabilise, on désorganise, et l’idée en guerre c’est de désorganiser l’adversaire pour l’affaiblir et permettre de gagner, donc de le renverser… c’est ce qu’on a fait au Sahel contre les chefs terroristes : on a cherché à désorganiser le terroriste ou le djihadiste Non seulement cela illustre une approche tactique de la lutte contre le terrorisme, mais ce n’est pas valable pour des structures insurrectionnelles très décentralisées, composées de petits groupes quasi-autonomes. Cela explique en partie l’échec opérationnel et stratégique de l’action française au Sahel.»

Cette vision quelque peu infantile de la guerre peut fonctionner dans un conflit conventionnel, mais pas dans un contexte non conventionnel, et encore moins dans un contexte djihadiste. Elle va à l’encontre de ce que m’a dit un officier SAS britannique lors de ma formation à la lutte contre le terrorisme en Grande-Bretagne pendant la guerre en Irlande du Nord au milieu des années 1980. Les Britanniques disposaient de dossiers et d’informations extrêmement détaillés sur les différents commandants de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), allant jusqu’à connaître leurs moindres faits et gestes. Lorsque j’ai demandé pourquoi ils ne les éliminaient pas, l’officier a répondu :

«Parce que nous les connaissons. Nous connaissons leur psychologie, leurs familles, leurs réseaux, leur façon de combattre, et nous pouvons mieux anticiper leurs actions, voire les devancer. Si nous les tuons, d’autres arriveront, peut-être plus efficaces, plus agressifs, sans que nous ne sachions rien d’eux.»

Bien sûr, une telle réponse n’est possible que si l’on a bien étudié son adversaire et qu’on le connaît dans les moindres détails. Le fait est qu’aujourd’hui, nous connaissons très peu nos adversaires. Même des personnalités comme Vladimir Poutine sont si mal connues qu’on lui diagnostique des maladies qu’il n’a pas. C’est la même chose en Palestine.

L’expérience montre que les exécutions extrajudiciaires n’ont aucun effet opérationnel. Au contraire, elles incitent à l’esprit de vengeance et tendent à mobiliser l’esprit de résistance. Ce phénomène est d’autant plus fort que des civils sont tués au cours du processus. Ils inspirent le mépris plutôt que l’admiration, car ils représentent un succès qui n’a pas été obtenu lors d’un combat loyal. De plus, comme dans le cas de l’opération Al-Aqsa Flood, les militaires israéliens ne mènent pas de combat «courageux». C’est pourquoi ces exécutions deviennent un substitut à un véritable succès contre le terrorisme. Elles apparaissent donc plus comme une preuve de faiblesse et d’impuissance que comme une démonstration d’efficacité.

Selon certaines informations (non confirmées), le SHABAK aurait mis en place une unité clandestine, sous le nom de code INDIGO, dont la mission est de traquer les auteurs des crimes du 7 octobre 2023. Mais comme il est de plus en plus évident que la grande majorité de ces crimes sont le résultat d’erreurs de conduite, la question de savoir dans quelle mesure ce groupe punira les véritables auteurs des massacres reste ouverte.

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Opération Al-Aqsa Flood
Objectifs stratégiques

Au-delà des objectifs historiques de la résistance palestinienne, qui visent à créer un État palestinien ou à retourner sur les terres qui leur ont été confisquées, les objectifs de l’opération Al-Aqsa Flood concernent essentiellement la situation à Gaza.

L’objectif stratégique central de l’opération est de mettre fin au blocus de la bande de Gaza et de rétablir des conditions de vie normales pour la population. Cela passe par la fin de la surveillance permanente par les forces israéliennes, les restrictions sur les échanges de marchandises et les mesures qui empêchent le développement économique et social. Cet objectif fait suite aux «Marches du retour», menées par la société civile, mais accueillies par des tirs de snipers.

La réalisation de cet objectif passe par des objectifs facilitateurs, dont le plus important est de ramener la question palestinienne sur la scène internationale. En novembre 2012, l’Assemblée générale des Nations unies a accordé à la Palestine le statut d’«État observateur non membre des Nations unies». Mais depuis, aucun progrès n’a été réalisé dans le traitement de la question palestinienne, et la situation s’est même dégradée avec l’arrivée au pouvoir des ultranationalistes israéliens.

Le deuxième objectif intermédiaire était d’interrompre le processus de normalisation entre Israël et certains pays arabes. Non pas à cause de la normalisation elle-même, mais parce qu’elle mettait à l’écart la question palestinienne. Les Palestiniens ont toujours souhaité que ces questions soient liées, afin de disposer d’un levier pour contraindre Israël à appliquer les décisions de l’ONU.

Le troisième objectif intermédiaire était de rallier la communauté musulmane autour de la question de l’avenir de l’Esplanade des Mosquées (ou Mont du Temple), étroitement liée à la question palestinienne. Comme l’indique Ihsan Ataya, membre du bureau politique du Jihad islamique palestinien (PID) et chef du département des relations arabes et internationales du PID, l’objectif de l’opération AL-AQSA est d’aider la communauté musulmane à s’approprier la question de l’avenir de l’Esplanade des Mosquées :

L’objectif de l’opération AL-AQSA RELIEF a été énoncé dès le départ : empêcher que la mosquée Al-Aqsa (à Jérusalem) soit attaquée, que les rites religieux musulmans soient insultés ou diffamés, que nos femmes soient agressées, que les efforts visant à judaïser la mosquée Al-Aqsa et à normaliser son occupation par Israël soient mis en œuvre, ou que la mosquée soit divisée dans le temps et dans l’espace.

Force est de constater que, si le blocus de Gaza n’a pas été levé, ces trois objectifs stratégiques intermédiaires ont été au moins partiellement atteints. La question de savoir dans quelle mesure ils conduiront à une solution durable et juste de la question palestinienne reste ouverte, mais le Hamas a clairement souligné la responsabilité de la communauté internationale dans l’application des décisions qu’il a prises.

Objectifs opérationnels
Premier objectif : La division de Gaza

Le premier objectif était de détruire les éléments de la division de Gaza et les installations de surveillance encerclant la bande de Gaza. Le 12 octobre, Abu Obeida, porte-parole des Phalanges Al-Qassam, explique :

«L’opération AL-Aqsa Flood visait à détruire la division de Gaza, qui a été attaquée en 15 points, puis en 10 autres. Nous avons attaqué le site de Zikim et plusieurs autres colonies à l’extérieur du quartier général de la division de Gaza».

Cet objectif peut nous sembler dépassé, car il était clair dès le départ que l’opération palestinienne ne pourrait pas maintenir son élan très longtemps, et que les combats se poursuivraient nécessairement dans la bande de Gaza elle-même. Par conséquent, la destruction des infrastructures ne pouvait être que temporaire, mais hautement symbolique.

Pour comprendre cela, il faut se mettre dans la peau des Palestiniens. La victoire ne s’obtient pas en détruisant l’adversaire, mais en maintenant la détermination à résister. En d’autres termes, quoi que fassent les Israéliens, quelles que soient les destructions et les morts qu’ils causent, les Palestiniens sont déjà sortis victorieux de cette opération. Face à un adversaire plus fort numériquement et matériellement, la victoire au sens occidental du terme est impossible. En revanche, vaincre la peur et le sentiment d’impuissance est déjà une victoire. C’est l’essence même de la notion de djihad.

Par conséquent, tous les outrages faits par les Israéliens à leurs prisonniers ou à la population civile ne peuvent que renforcer le moral des Palestiniens et réduire les velléités de vengeance de l’armée. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans le monde entier : les Israéliens sont obligés d’utiliser la censure pour dissimuler les crimes commis par leurs soldats, et l’idée de «l’armée la plus morale du monde» est aujourd’hui totalement discréditée.

Deuxième objectif : Faire des prisonniers

Le deuxième objectif était de s’emparer de prisonniers afin de les échanger contre ceux détenus par Israël. Très vite, des témoignages dans la presse israélienne ont montré que l’objectif des combattants du Hamas et du Jihad islamique palestinien (PID) n’était pas de perpétrer un «pogrom», mais de s’emparer de soldats pour les échanger contre des Palestiniens détenus par Israël. L’objectif était de disposer d’un levier pour reprendre les négociations interrompues par le gouvernement israélien en novembre 2021. Depuis, on sait que le Hamas mènera une telle opération. Le chef d’état-major adjoint des Phalanges Al-Qassam, Marwan Issa, avait déclaré que «le dossier des prisonniers sera la surprise des futures surprises réservées à l’ennemi».

Il est clair que l’objectif n’était pas de tuer des civils, mais plutôt d’obtenir une monnaie d’échange pour la libération de quelque 5 300 prisonniers détenus par Israël. Des témoignages rapportés par la presse israélienne suggèrent que l’idée initiale était de ne prendre que des prisonniers militaires (qui ont «plus de valeur»que les civils dans le cadre d’un échange). Ces mêmes témoignages montrent que les Palestiniens ont été surpris de trouver si peu de militaires sur place, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’une partie des garnisons avait été redéployée en Cisjordanie quelques semaines plus tôt. Le témoignage de Yasmin Porat, mentionné plus haut, montre que les combattants du Hamas sont restés avec les civils dans leurs maisons, en attendant que les forces de sécurité interviennent. Les témoignages indiquent que les combattants palestiniens ne sont partis avec les prisonniers civils qu’après l’intervention des militaires israéliens, qui ont tiré sans discernement sur les maisons avec leurs chars. Il apparaît donc que la capture de civils a été davantage le résultat d’un concours de circonstances que d’une décision prise à l’avance.

La mort de civils n’était donc pas un objectif, et le fait que les otages libérés aient déclaré avoir été traités avec respect, et même de manière amicale, tend à confirmer qu’il ne s’agissait pas d’un «pogrom» contre la population israélienne.

Les échanges de prisonniers de novembre 2023 illustrent la stratégie du Hamas, au cœur de laquelle se trouvaient des prisonniers militaires et non des civils. C’est pourquoi les Palestiniens ont d’abord libéré les femmes et les enfants, et ont gardé les militaires (surtout les hauts gradés) pour plus tard. Nous y reviendrons plus loin.

Objectifs tactiques

L’attaque du Hamas visait 25 objectifs militaires situés dans l’«enveloppe de Gaza». Les trois principaux objectifs tactiques de l’opération étaient les suivants

  • la base navale de Zikim, au nord de la bande de Gaza, attaquée par les commandos de marine du Hamas, lesquels ont résisté aux contre-attaques israéliennes pendant plusieurs jours
  • le poste de contrôle d’Erez, au nord de la bande de Gaza, qui gère une partie des installations de surveillance de la clôture. Le poste de commandement de la division de Gaza sur le site de Re’im, où se dérouleront les combats les plus violents le 7 octobre, et le centre de renseignement d’Urim, à quelque 17 km de la bande de Gaza, afin d’endommager les installations de surveillance israéliennes.
  • Un document découvert près du kibboutz Mefalsim, à 2 km de la bande de Gaza, contenant des données sur le nombre de soldats et de forces de sécurité, montre que l’opération a été minutieusement préparée et dirigée contre des installations militaires.

source : Scheerpost via Spirit of Free Speech

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