Si Joe Biden est intronisé président des États-Unis, il pourrait soutenir les projets des présidents iranien et turc. Il pourrait favoriser la constitution d’un empire régional iranien au Levant et d’un empire régional turc dans le Caucase, tous deux au détriment de la Russie. Thierry Meyssan examine ici les changements survenus en Iran.
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- Le président iranien, cheik Hassan Rohani, est un partenaire de longue date d’Israël. il entend rétablir l’Iran dans le rôle de « gendarme régional » qu’il avait durant la dynastie Pahlavi.
Un très fort antagonisme oppose le gouvernement de cheik Hassan Rohani aux Gardiens de la Révolution. Ces derniers ne sont pas placés sous ses ordres, mais dépendent directement du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei.
Le projet du président Rohani : capitalisme et impérialisme régional
Cheik Rohani est un membre du clergé chiite, comme l’ayatollah Khamenei, mais pas les Gardiens de la Révolution qui sont des soldats.
Les Gardiens de la Révolution sont des disciples de l’imam Rouhollah Khomeiny. Ils entendent exporter sa Révolution anti-impérialiste et libérer le monde de l’empire anglo-saxon (USA + UK + Israël) dont leur pays a tant souffert. Ils n’ont aucun rapport avec l’armée régulière iranienne qui, elle, dépend du président de la République islamique et entend uniquement défendre le pays.
Cheik Rohani était parlementaire durant la longue guerre que l’Iraq avait déclaré à son pays pour le compte des États-Unis. Il fit pression sur Washington pour obtenir la libération d’otages US au Liban en échange d’armes états-uniennes. Il fut contacté par la suite par Israël pour armer puissamment son pays. C’est lui qui fit entrer dans ce jeu son mentor, le président du Parlement, l’hodjatoleslam Akbar Hashemi Rafsanjani. Ensemble, ils organisèrent le trafic d’armes Iran-Contras qui fit le malheur des révolutionnaires nicaraguayens et la fortune du déjà très riche Rafsandjani.
Beaucoup plus tard, il fut choisi par l’ayatollah Khamenei pour succéder au président Ahmadinejad dans le cadre d’une nouvelle négociation secrète avec les États-Unis à Oman. Durant cette campagne électorale, il se présenta comme un partisan du capitalisme financier naissant et déclara que l’Iran devait cesser de financer les révolutionnaires étrangers, fussent-ils chiites comme le Hezbollah libanais. Ce faisant, il donnait des gages aux États-Unis et à Israël.
Une fois élu, il négocia immédiatement avec Washington, conformément aux instructions du guide, l’ayatollah Khamenei. Il ambitionnait de retrouver le rôle de « gendarme régional » que l’empire anglo-saxon avait attribué au shah Reza Pahlevi (puis à l’Iraq de Saddam Hussein, puis encore à l’Arabie saoudite). Comme cet objectif est en totale contradiction avec l’héritage de l’imam Khomeiny, les deux États présentèrent ces négociations comme visant à mettre fin au programme nucléaire iranien. Ils firent participer les autres membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne à des rencontres à Genève qui débouchèrent rapidement sur un accord nucléaire (2013). L’Allemagne, la Chine, la France, le Royaume-Uni et la Russie n’en furent pas surpris car tous savaient que l’Iran avait abandonné toutes ses recherches en armes de destruction massive depuis 1988. Puis, un an de pause fut utilisé pour poursuivre les négociations bilatérales entre Téhéran et Washington. C’est durant cette période qu’Hassan Rohani retira discrètement son ambassadeur et ses crédits de Syrie. Seuls y subsistaient les Gardiens de la Révolution face à l’Otan et aux jihadistes. Enfin, l’accord qui avait été négocié avec les 5+1 fut signé en public, le 14 juillet 2015, à Vienne.
Au passage, cheik Rohani négocia un accord avec l’Autriche afin d’exporter le gaz iranien en Europe au détriment de la Russie. Mais cet accord ne put jamais être concrétisé.
Ce n’est que durant sa seconde campagne électorale présidentielle, en 2017, qu’Hassan Rohani révéla son projet : rétablir l’empire savafide. Encore agit-il avec prudence puisqu’il le fit révéler par une publication de son think-tank, mais continua à s’exprimer lui-même en utilisant la rhétorique de l’imam Khomeiny. L’empire safavide était constitué autour de la religion chiite. Le « Grand Iran » comprendrait le Liban, la Syrie, l’Iraq, l’Iran et l’Azerbaïdjan, sous l’autorité du guide de la Révolution.
Les conséquences du projet du président Rohani
Ce texte a immédiatement été traduit en arabe par Anis Naccache. Il a bouleversé le Moyen-Orient élargi. En effet, si l’Azerbaïdjan est presque unanimement chiite, ce n’est pas le cas des autres États désignés.
• Au Liban, le Hezbollah s’est profondément fracturé entre son secrétaire général, sayyed Hassan Nasrallah, qui a défendu une ligne nationaliste libanaise, et son adjoint, cheik Naïm Qassem, qui au contraire a bruyamment applaudi cheik Rohani.
• En Syrie où les chiites sont très minoritaires, le président Bachar el-Assad (lui-même chiite, mais profondément laïque) a retenu sa colère et a fait semblant de tout ignorer.
• En Iraq, où les chiites sont majoritaires, mais d’abord nationalistes, la plupart d’entre eux —dont Moqtada el-Sadr— se sont tournés vers l’Arabie saoudite sunnite.
• En Iran, le général Qassem Soleimani des Gardiens de la Révolution est devenu le principal rival du président Rohani.
• En Azerbaïdjan, pays à la fois chiite et turcophone, la classe dirigeante s’est tournée vers la Turquie avec laquelle elle a finalement lancé la guerre contre l’Arménie.
C’est dans ce contexte que le président Donald Trump a brisé l’accord 5+1 (JCPoA) sur le nucléaire. Contrairement à la lecture ouest-européenne des évènements, il ne s’agissait pas pour lui de détruire l’œuvre « pacifique » de son prédécesseur, le président Barack Obama, mais bien de s’opposer à la réorganisation régionale qu’implique le projet Rohani : le Levant pour l’Iran et le Caucase pour la Turquie. Le seul critère de la Maison-Blanche était de prévenir de nouvelles guerres nécessitant un déploiement de troupes US.
L’écart trop visible entre le mode de vie des familles des membres du gouvernement Rohani et celui de la population provoqua de vastes émeutes, fin 2017. L’ancien président Ahmadinejad s’y impliqua à la fois contre lui et désormais contre le guide également. La répression fut terrible. Il y eu un grand nombre de morts, peut-être un millier, et d’anciens membres du cabinet Ahmadinejad furent jugés en secret et condamnés à de lourdes peines de prison pour des motifs inconnus.
Tenant à montrer que Washington ne jouerait plus les sunnites contre les chiites, ni les Arabes contre les Perses, le président Trump ordonna d’assassiner successivement les deux principaux chefs militaires de chaque camp : le calife sunnite Abou Bakr al-Baghdadi de Daesh et le général chiite Qassem Soleimani de la Force Al-Qods.
Ce faisant, il manifestait que les États-Unis sont toujours les seuls maîtres de la région. Sans le vouloir, il favorisait en Iran le camp de cheik Rohani. Ce dernier ne ménagea pas ses efforts pour dénoncer « le Grand Satan » et accusa le chef des services secrets iraquiens, Moustafa al-Kazimi, d’être complice des États-uniens. Cependant lorsque celui-ci fut nommé quelques semaines plus tard Premier ministre à Bagdad, le président Rohani fut un des tous premiers à le féliciter et à s’en féliciter.
Les amis israéliens de cheik Rohani firent alors assassiner le général Mohsen Fakhrizadeh, savant nucléaire et compagnon du général Soleimani. La tendance khomeiniste se trouvait décapitée.
Le président Rohani et Israël
Le président Rohani est prêt à abandonner l’Azerbaïdjan à la Turquie si on lui donne le Levant. Il peut compter sur l’aide d’Israël qui, contrairement à une idée répandue en Occident, loin d’être un ennemi est un partenaire de longue date.
C’est lui qui fut le premier contact israélien dans l’affaire Iran-Contras, ainsi que nous l’avons déjà noté.
C’est encore lui qui gère la moitié du pipe-line Eilat-Askhelon et ses deux terminaux, indispensables à l’économie israélienne. Fin 2017, la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset a réprimé toute publication à ce sujet d’une peine de 15 ans de prison.
C’est toujours lui qui reçoit périodiquement à Téhéran le frère de Benjamin Netanyahu, Iddo, un dramaturge discret qui partage sa vie entre les États-Unis, Israël et l’Iran, trois pays où il dispose d’une résidence permanente.
Cheik Rohani espère aujourd’hui qu’il pourra réaliser son projet si Joe Biden est intronisé président des États-Unis. Il ne sera pas nécessaire de rétablir l’accord factice sur le nucléaire, mais juste de laisser Téhéran redevenir le « gendarme de la région ».
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