LIVRES / FEMMES MUSULMANES, FEMMES D’ALGÉRIE

      par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                                 Livres

    Femmes d’Islam en littérature. Essai de Mohammed Guétarni, Editions Les Presses du Chélif, Chlef 2023, 207 pages, 900 dinars

La femme musulmane, une grande incomprise… et souvent maltraitée ? Certainement, puisqu’elle est et reste, malgré toutes les explications, présentée globalement de façon négative voire caricaturale à l’excès. En Occident, enfoncé dans sa «guéguerre de civilisations» ne disant pas son nom, le débat se limite le plus souvent au problème (sic !) (si problème il y a… tout particulièrement en France) du port du «foulard islamique», au «voile», au «hidjab» et dernière trouvaille, la «‘abaya»)… Là, on les montre (dans les romans et bien des reportages de presse) comme des sujets soumis au bon vouloir des hommes qui les dominent et les asservissent à leurs désirs et à leur violence… avec, en arrière-plan, une religion «étouffante». Ici (Maghreb /Machrek), les textes littéraires, étant de valeur inégale, tournent autour d’une «femme condamnée au servage à vie parce qu’elle vit à l’ombre de l’homme, sous sa protection et sa dépendance pour le servir». Une «écriture-scalpel» qui n’est pas, pour autant, séditieuse contre l’ordre social établi. Bien qu’il soit vrai que, malgré tous les changements sociaux et réglementaires opérés çà et là, l’environnement sociétal ne peut inspirer qu’un certain pessimisme avec un poids certain de la pensée religieuse et ses interprétations bien souvent, sinon toujours, biaisées.

L’auteur tente de décrire, à travers les écrits (romans), la situation faite aux femmes en terre d’Islam. Il nous montre que les textes, d’horizons différentes de l’espace musulman (arabe et non arabe allant du Maroc à l’Algérie en passant par l’Egypte, le Yémen et l’Iran), sont, pour la quasi-totalité, étroitement reliés au réel et que les écrivains, chacun avec sa sensibilité et/ou son vécu et ses expériences, ont transcrit dans des fictions les revendications et les espoirs des mères, épouses, sœurs luttant pour une société plus juste. Angoisse, violence, incertitude du lendemain parsèment le chemin de la Musulmane, présentant une «femme cassée au visage brisée».

L’Auteur : Docteur ès-lettres (Université Montpellier III), enseignant universitaire (Chlef). Auteur de plusieurs publications et ouvrages (dont «Littérature de combat chez Dib, Kateb et Feraoun»)

Table des matières : Préface/ Préambule/ Introduction/ La voix féminine, écho ou sororité/ Les cris dans l’écrit/Statut de la musulmane/ Statut de la femme avant l’avènement de l’Islam/ L’Islam rend la dignité à sa fidèle/Relations parents-enfants/ L’Islam et la famille/ Écriture féminine ou féministe/ Le corps dans la littérature/La majorité mineure de la musulmane/La majorité de la musulmane est-elle envisageable ?/Conclusion/Bibliographie.

Extraits : «Il est vrai que nombre de pays arabes ont souffert des affres de la colonisation. Le colonialisme colonial a été suppléé par le colonialisme national appuyé, en cela, par l’intégrisme religieux et un Coran détourné de son acception originelle par des exégètes malintentionnés. Ce qui explique, en partie, le sous-développement endémique dans lequel se vautre, aujourd’hui, le monde musulman» (p13), «Si la femme est un chef-d’œuvre de son Créateur, son comportement reste l’œuvre de sa société qui le moule selon son processus culturel, économique, éducationnel, voire même politique» (p17), «Si le féminisme est une lutte idéelle sociopolitique menée par et pour la femme à dessein de conquérir ses droits imprescriptibles, il ne faut point l’assimiler à une guerre ouverte contre l’homme mais contre sa suffisance et son idéologie répressive» (p 131), «L’inégalité et l’illégalité (religieuses) attribuées, à tort, aux lois islamiques ne sont point l’expression de la volonté divine, comme on veut bien le faire croire, mais d’une invention «mâle-intentionnée» prenant des allures où «sacré cache secret» (p133), «(la Musulmane) Couvrir son corps avec un voile, hidjab ou foulard peuvent faire d’elle une belle mais pas nécessairement une bonne Musulmane. Ils peuvent servir de simples atours n’ayant aucune portée spirituelle. Même les péripatéticiennes les portent sans être, pour autant, plus Musulmanes puisqu’elles sombrent dans le plus vieux péché du monde» (p201)

Avis : A lire par tous les hommes «machos» afin qu’ils sachent… et par toutes les femmes de «modernité» afin qu’elles poursuivent leur lutte émancipatrice. Ni totalement essai, ni pamphlet mais une étude lisible, compréhensible… et compréhensive.

Citations : «(Dans le vaste espace musulman, le constat est le même), la Musulmane vit dans l’angoisse, dans la violence, voire dans l’incertitude de son lendemain» (p 5), «Les œuvres n’inventent rien. Elles dénudent la vérité et déshabillent le réel… cependant, les œuvres ne construisent pas une réalité «haute fidélité» (p 9), «La femme est une création divine au même titre que l’homme. D’où le terme : « indivi-Dualité», une dualité (couple) indivisible» (p 11), «Femme arabe, femme arable» (p 24), «A la question : pourquoi écrire un roman ? Balzac répond, «C’est résoudre un grand problème d’actualité» (p 51), «Si le Saint Coran a octroyé des droits à la femme, l’homme reste le maître de céans» (p.73), «Si la parole est action, l’écriture est une arme lourde qui change la face du monde sans le détruire» (p.165), «Après avoir obtenu sa Carte Nationale d’Identité, au lendemain des indépendances, la Femme arabe veut obtenir sa «Carte Nationale d’Humanité» que l’Homme refuse de la lui délivrer» (p.167), «Oser parler, pour une femme, c’est déjà exister, c’est recouvrer son statut de personne» (p.171), «La littérature arabo-musulmane est une littérature de détresse» (p.196).

La femme algérienne, citoyenne au cœur de la nation. Essai de Allaoua Bendif, Editions El Qobia, Alger 2023, 165 pages, 800 dinars

C’est un fait connu et reconnu, les Algériennes ont toujours été fidèles et très engagées lors des grands rendez-vous de l’Histoire du pays. Déjà, bien avant le déclenchement de la guerre de libération nationale, les noms lumineux et éclairés de combattantes existent en grand nombre. Durant la révolution armée… sans attendre un quelconque décret ou une fatwa, elles ont participé, par millions, activement à la révolte populaire en tant que soutien ou en tant que combattante, les armes à la main… tout en préservant la plupart du temps la famille et l’honneur… et ce, sans «flouter» leur visage. Durant la décennie noire, elles ont, par centaines de milliers, activement et résolument dénoncé l’obscurantisme quitte à le payer de leurs vies… et ce, sans «flouter» leur visage.

Hélas, une fois la souveraineté nationale restaurée et une fois la barbarie terroriste vaincue, elles se sont retrouvées face à une régression notoire et irrationnelle par rapport aux acquis que l’on croyait pérennes et exemplaires. Pourquoi ? Deux causes principales pour l’auteur : une application déficitaire et lacunaire d’un environnement juridique pourtant égalitaire en dehors du Code de la famille. Un problème de mentalité… et, la double référence qui caractérise le système juridique national et qui fait des Algériennes des citoyennes à part entière dans toutes les dimensions de la vie nationale mais des mineures à vie dans le Code de la famille. La voie pour s’en sortir : une éducation transversale à la citoyenneté et de la formation de l’Homme algérien… au dialogue et au débat.

L’Auteur : Né à Skikda le 17 mars 1953. Docteur en psychologie clinique (Constantine et Lille 3/France). Déjà auteur d’un ouvrage : «Violences algériennes», chez Koukou Editions 2019.

Table des matières : Introduction/ Première partie : L’Algérienne dans la citoyenneté : Entre la volonté officielle et la réalité, analyse des chiffres/ Deuxième partie : L’Algérienne hors des droits citoyens, la question sensible du code de la famille à l’origine de la référence juridique duelle en Algérie/ Troisième partie : La citoyenneté pleine et entière des Algériens est au cœur de la problématique de la modernisation, de la société, de la construction de l’Etat national démocratique et citoyen et du développement national/ Conclusion

Extraits : «Depuis le début des années quatre-vingt, un nouveau discours religieux a fait irruption dans la société algérienne et y a pris une place très importante. Ce n’est plus du tout la religiosité cultuelle traditionnelle de nos aïeux, c’est un discours religieux extrêmement politisé structurant une vision sociétale quasi totalement dominée par la pensée religieuse» (p 64), «Que de fois avons-nous entendu, face aux revendications féminines et même quelquefois face à l’application du droit en faveur des femmes, cette répartie sous forme de package discursif bloquant : «nous avons nos coutumes et nos traditions», dans une posture biophasique d’alternance évidemment opportuniste et pour tout dire mentalement corrompue, entre le droit et la tradition, même quand elle est dépassée, dans certaines configurations clairement iniques» (p 121), «La société algérienne est livrée, depuis au moins trois décennies, à la lutte entre les courants du modernisme occidentaliste et universaliste, ceux de l’islamo-nationalisme et ceux de l’islahisme politico-religieux supranational, «Oummiste»…» (p139), «Ce qui les (note : les cadres et les jeunes ) pousse à fuir leur pays, c’est l’immobilisme fataliste de notre société, c’est aussi la violence et la brutalité de la censure des idées, de la réflexion et l’absence des «possibles» qui nourriraient leurs motivations, leur ambition et leur besoin structurel de s’affirmer dans un projet de vie personnel» (p152).

Avis : un essai réussi… Des vérités sur la société algérienne… défense et illustration de la femme algérienne.

Citations : «L’âge d’or du statut social des Algériennes est incontestablement la guerre de libération nationale» (p29), «L’agressivité est provoquée par la frustration et la violence naît de la contrainte injuste» (p.66), «Il est, aujourd’hui, indispensable de corriger cette manipulation ethnographique majeure «les Berbères et les Arabes» par l’expression plus juste «les Berbères berbérophones et les Berbères arabophones» (p.83), «La problématique de la femme en Algérie est fondamentalement sociétale» (p.129), «L’homme algérien est coincé dans une posture mentalement perverse, structurée dans l’incohérence» (p131), «Interdire, censurer, limiter et apostasier sont des postures s’inscrivant dans la démarche de la facilité et de l’incompétence , de la dictature décadente, voire, de la déchéance intellectuelle et morale» (p 153).


 

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