Débat
Par André Prudent *
Une frange de l’élite économique a induit en erreur quelques 500 mille Haïtiens en investissant plusieurs millions de dollars pour fabriquer le candidat Jovenel Moise devenu Président en février 2017.
Une autre frange, associée à un secteur politique, exploitant la mobilisation populaire autour de la reddition de compte sur la gestion du fonds PetroCaribe – évaluée à plus d’un million de personnes les 17 octobre et 18 novembre 2019, soit le double des votants – réclame la démission de Jovenel Moise.
Aujourd’hui, la plupart des secteurs sociaux, économiques, politiques et intellectuels s’accordent sur le fait que l’ « Ingenieur » Jovenel Moise, épinglé dans le rapport de la Cour supérieure des comptes sur le gaspillage des fonds PetroCaribe, doit démissionner pour se mettre à la disposition de la justice.
Le deuxième rapport de la Cscca sur la gestion du fonds PetroCaribe, paru le 31 mai 2019, est sans ambiguïté sur l’implication de Monsieur Moise dans des combines de corruption contre le peuple haïtien.
Un démocrate peut-il encore continuer à appuyer le maintien de Monsieur Moise au pouvoir et inviter les secteurs politiques à attendre leur tour aux prochaines élections ?
Il est vrai que le Président Moise a été élu avec 500 mille voix. Il est tout aussi vrai que l’approche coercitive adoptée par le pouvoir pour répondre à plus d’un million de personnes qui se sont soulevées contre la corruption est anti-démocratique. La démocratie exige, au delà des élections, le respect des valeurs et le consentement – non par la coercition – pour la conservation du pouvoir.
Le massacre d’État de la Saline (72 morts selon la Direction centrale de la police judiciaire) et celui de Carrefour-Feuilles, le silence du Président et la confusion créée autour des 7 mercenaires lourdement armés ayant foulé illégalement le sol d’Haïti, les viols ciblés contre des étudiantes, forces motrices de la mobilisation contre la corruption et les exécutions sommaires de personnalités dénonçant la prolifération des gangs, ne peuvent constituer, dans ce contexte, qu’une stratégie mise en place par le pouvoir pour instaurer un climat de terreur, réprimer la population et casser la mobilisation.
Les libertés fondamentales, l’une des caractéristiques de la démocratie représentative, se trouvent par conséquent menacées. Les libertés d’expression, d’opinion, d’association et de mouvement s’amenuisent.
L’équité électorale est un des principes déterminants dans la pratique de la démocratie représentative. Elle suppose un traitement égal accordé par l’État à tous les candidats qui sont soumis aux mêmes obligations et bénéficient des mêmes opportunités. Les fonds publics dont a bénéficié Monsieur Moise de connivence avec ses acolytes au pouvoir en 2014 et 2015 pour des travaux d’infrastructures qui ne seraient pas exécutés, ont tout l’air d’un stratagème du pouvoir Tet Kale pour faire émerger son candidat et mettre à sa disposition des ressources susceptibles de financer partiellement sa campagne électorale et ce, au détriment de ses adversaires.
La primauté du droit est également un fondement de la démocratie représentative. Elle établit l’Egalité des citoyens devant la loi. Tout citoyen indépendamment de sa fonction est assujetti à la loi. Monsieur Moise n’échappe pas à cette règle. En revanche, bénéficiant de la présomption d’innocence, il doit organiser sa défense. Le tribunal est le seul lieu prévu pour que les avocats développent leurs moyens afin de prouver l’innocence de leur client. Toute initiative prise par des amis-propagandistes du Président pour établir son ingénuité dans les médias, ne peut constituer qu’un accroc à la démocratie.
La mobilisation citoyenne pour obtenir le rapport d’audit de la gestion des fonds PetroCaribe, fixer les responsabilités des ordonnateurs et les responsables des firmes indexées pour que justice soit rendue au peuple haïtien, participe de la dynamique de reddition de compte, un pendant de la démocratie.
Qui est-ce qui peut, tout en se revendiquant démocrate, plaider en faveur du maintien du Président Jovenel Moise au pouvoir pour faire obstacle à la tenue du procès PetroCaribe ?
Les tenants de cette thèse évoqueront évidement la stabilité, l’alternance démocratique à travers les urnes. S’il est vrai que la démocratie représentative fait des élections l’unique voie d’accession au pouvoir, elle établit aussi les moyens et conditions pour y accéder. La cooptation, la manipulation, la corruption, la compétition déloyale voire la fraude, sont entre autres, les pratiques reprouvées qui méritent d’être sanctionnées.
Le décret électoral de mars 2015, sous l’égide duquel Monsieur Jovenel Moise est élu Président, est sans équivoque. Il stipule en son article 239.1 qu’ « Au cas où il s’avérerait qu’un candidat ou candidate, parti, ou partisan d’un candidat ou candidate avaient utilisé la fraude pour se faire élire, le BCEN, sur simple requête du CEP, invalidera le pouvoir de l’élu et ce, sans préjudice des poursuites pénales à engager par le parquet compétent contre les fautifs ».
Il n’est pas incongru de rappeler que la réclamation de la démission du Président Jovenel Moise émane du mouvement citoyen authentique contre la corruption, suite à l’appel à manifestater le 9 juin 2019, après la remise au sénat du deuxième rapport de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif. Plusieurs autres acteurs, pour des raisons d’ordre divers, souhaitaient le départ du Président Jovenel expriment leur adhésion aux revendications du mouvement. Cette conjonction de forces, dans ce contexte, n’autorise aucun démocrate à minorer le mouvement citoyen, comme quoi il serait manipulé par un secteur financier et politique. L’arme de la manipulation a été puissamment utilisée en 2015 à travers des sondages orientés et des matraquages publicitaires pour fabriquer de toute pièce le « produit » Jovenel.
Seulement un an après son installation au Palais National, Monsieur Moïse s’est révélé sous son vrai jour : un imposteur, un usurpateur, un faussaire et un incompétent qui n’est pas en mesure d’assurer la stabilité des institutions et le fonctionnement des pouvoirs publics tel que prescrit par la Constitution en son article 136. Cette incompétence avérée a occasionné une situation économique désastreuse avec de sérieux impacts sur la vie de la population, notamment les couches les plus défavorisées et les classes moyennes qui s’appauvrissent. Le pays n’a jamais connu un taux d’inflation aussi élevé : 20%.
Qu’on arrête de raconter des histoires cousues de fil blanc. Qu’on arrête le discours faisant croire que Monsieur Jovenel Moïse a de bonnes intentions et que ce sont ceux qui détiennent le monopole politique et économique qui l’empêchent de diriger. Durant ses six mois de grâce, aucun acte allant dans le sens d’une vision progressiste, n’a été posé. Un « adoquin » en réponse aux revendications portées par les syndicats sur le réajustement du salaire minimum. Un budget criminel attribuant des enveloppes faramineuses à la Présidence, le Parlement au détriment des secteurs de la santé et de l’éducation. Une loi inféodant l’Unité Centrale de Renseignement Financier (UCREF) à l’exécutif dans l’optique de protéger les ordonnateurs des accusations de blanchiment des avoirs.
Quel est le démocrate qui peut encore prétendre vouloir sauver le soldat Jovenel, sinon ceux-là qui n’ont pas fini de tirer totalement leur plus-value ou encore ceux de la classe moyenne qui s’accrochent aux miettes. Défenseurs d’intérêts particuliers !
De toute évidence, la démission du Président Jovenel Moise est un impératif pour la démocratie. A ce carrefour, il ne reste que très peu d’option. Au cas où la démission ne peut pas être obtenue volontairement ou institutionnellement (le pays dispose de deux institutions compétentes en matière de destitution d’un président élu, soit pour fraude, soit pour crime de haute trahison), le peuple fera recours au forceps. Aux élites intellectuelles, morales\religieuses, politiques et économiques de choisir l’option susceptible de faire le moins de casses et moins de tort au pays !
* Chercheur, militant social
Lire : Haïti / Manifestation pour exiger la démission du président Moïse
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